GLOCAL

Les Français de Suisse et la présidentielle

Après avoir stigmatisé la Suisse, les grands partis de l’Hexagone tentent par tous les moyens d’imposer leurs candidats aux électeurs installés en Suisse. Rencontres.

Vendredi 23 mars, 21 heures. Dans la salle cossue du Restaurant du Théâtre à Lausanne, une dizaine de personnes de la section locale du Parti socialiste français dînent avec Hélène Conway-Mouret.

La sénatrice PS des Français établis à l’étranger a fait le déplacement depuis Paris. Objectif: récolter des suffrages pour François Hollande. A la table, l’ambiance est conviviale, presque amicale. Il ne s’agit pas d’un meeting de campagne mais d’une réunion informelle où les confidences de la sénatrice alimentent les débats des militants, renforcent leur mobilisation.

L’importance de la Suisse n’a pas échappé aux candidats à l’élection présidentielle: avec une communauté estimée à près de 160’000 personnes, sur les 2,5 millions d’expatriés français dans le monde, la Confédération représente en suffrages l’équivalent d’une ville moyenne telle que Dijon. «C’est un enjeu très important, confie Nicolas de Ziegler, vice-président de l’UMP Suisse. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la Suisse n’est pas acquise à l’UMP.»

En 2007, Nicolas Sarkozy avait remporté facilement le pays avec 57% des suffrages exprimés contre 43% pour sa rivale, Ségolène Royal. Depuis, la donne a changé: «Quarante pour cent des Français de Suisse inscrits aujourd’hui sur les listes électorales ne l’étaient pas en 2007, souligne Claudine Schmid, candidate UMP aux législatives pour la circonscription Suisse-Liechtenstein. On ne les connaît pas électoralement parlant. Il est donc difficile de prédire pour qui ils vont voter.»

Surtout, la stigmatisation récurrente par Nicolas Sarkozy de la Suisse et des Français qui y vivent a fini par dégoûter une population qui lui était jusque-là acquise. Retour arrière. Lors du sommet de Cannes en 2009, auquel la Suisse n’est pas invitée, Nicolas Sarkozy dénonce les «déficiences» et les «sérieuses carences» de la Confédération en matière de fiscalité, alors que le pays a déjà adopté les standards de l’OCDE.

«Quand le président a commencé à débiter des stupidités, j’ai rendu ma carte alors que je m’étais inscrit à l’UMP en 2007, raconte Frédéric, employé depuis cinq ans dans une grande banque à Genève. Et je ne pense pas être une exception. Désormais, je me demande si voter utile, ce n’est pas voter pour François Bayrou. L’abstention reste aussi une option.»

«L’électorat est particulier en Suisse, explique Nicolas de Ziegler, de l’UMP. Plus de 50% des inscrits sont des binationaux. Lorsque le pays est attaqué, ils réagissent comme des Suisses. Ils ont mal vécu la manière dont l’Etat a été traité durant le quinquennat. D’autant, il faut l’avouer, que sur la forme le discours n’a pas toujours été adapté.»

Conscient de ce déficit d’image, le candidat- président tente de reconquérir l’étranger tout en multipliant, en France, les propositions destinées à séduire les classes populaires. Ainsi, le lundi 12 mars, Nicolas Sarkozy annonce sur TF1 la création d’un nouvel impôt pour les exilés fiscaux. Quatre jours plus tard, les Français de Suisse reçoivent un courriel de l’UMP expliquant que «le président a opéré une distinction très nette entre “exilé fiscal” et “expatrié” […]. Cet impôt ne touchera pas les expatriés qui, par leur activité professionnelle à l’étranger, font rayonner la France hors de ses frontières.»

Suivront, la même semaine, deux autres courriels signés Nicolas Sarkozy. En parallèle, le candidat- président a lancé un site, La France forte à l’étranger, qui comprend un bilan de son action en termes de politique étrangère, ainsi que des témoignages de Français expatriés.

François Hollande n’est pas en reste. Le socialiste a lui aussi exprimé le souhait de taxer les exilés fiscaux, mais en renégociant les conventions fiscales bilatérales avec la Suisse afin d’imposer les hauts revenus. Pour rassurer les Français de l’étranger, ses équipes ont elles aussi procédé à du mailing et le candidat s’est adressé directement à ces derniers par un message vidéo.

De quoi convaincre les Français de Suisse? Les énerver plutôt. «Cela fait dix jours que je me fais “spammer” ma boîte mail par les candidats à la présidentielle. J’en ai assez, martèle une Française installée à Lausanne. L’ambassade ne m’a jamais prévenue que mon adresse serait distribuée aux candidats lorsque je me suis inscrite sur les listes électorales.»

«Les Français de l’étranger supportent assez mal de recevoir des courriels de campagne», confirme Louis Lepioufle, secrétaire de la section de Genève du Parti socialiste français. Le meilleur moyen de les convaincre reste les rencontres avec des acteurs politiques de premier plan.

A la table du Restaurant du Théâtre à Lausanne, la sénatrice Hélène Conway-Mouret raconte son voyage en Suisse, durant lequel elle s’est notamment entretenue avec des fonctionnaires internationaux, a visité le Théâtre de Vidy et déjeuné à l’Ecole hôtelière de Lausanne. «J’ai été particulièrement impressionnée par le professionnalisme des étudiants de cette institution. Ils nous ont servi un déjeuner savoureux.» Une visite pas complètement désintéressée: 40% des élèves de l’EHL sont français…

«Pour aider François Hollande, je vais partout où il me dit d’aller», poursuit Hélène Conway-Mouret. Depuis le début de la campagne, son agenda s’est ainsi transformé en tour du monde: 20 mars à Dublin, 22 à Genève, 23 à Lausanne, 26 à Bruxelles, 28 à Paris, 3 avril aux Pays-Bas…

«Contrairement à ce que prétendait un article paru dans la Tribune de Genève, selon lequel “François Hollande snobe la Suisse”, le Parti socialiste n’a jamais laissé ce pays de côté, précise Louis Lepioufle. La venue de la sénatrice Hélène Conway-Mouret en est la preuve. Après elle, Catherine Trautmann, présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen, viendra en avril à Genève s’adresser aux Français de Suisse.»

Prise de conscience. Côté UMP, l’ambiance semble plus morose: «A Paris, ils considèrent, à tort ou à raison, que le vote suisse est acquis, lâche Nicolas de Ziegler, vice-président de l’UMP Suisse. Jusqu’ici, ils ne prévoyaient pas d’envoyer quelqu’un.» Preuve d’une prise de conscience au sein du parti présidentiel, la donne vient de changer: «Michèle Alliot-Marie se déplacera à Genève le 16 avril pour soutenir le président. Et je serai à ses côtés, révèle Claudine Schmid, candidate UMP aux législatives, qui vient de recevoir la confirmation de la venue de l’exministre. J’informerai nos militants ainsi que la communauté française.»

Une visite importante fixée opportunément avant le premier tour de la présidentielle: «En Suisse, MAM est particulièrement appréciée, détaille Nicolas de Ziegler. Lorsqu’elle était ministre, à chaque fois qu’elle venait dans le cadre de ses fonctions, elle prenait toujours le temps de passer dire bonjour aux militants locaux. C’est l’une des rares politiciennes à avoir ce genre de geste.»

Dans la salle du Restaurant du Théâtre à Lausanne, la fin du repas approche. C’est l’heure des requêtes: «S’il vous plaît, dites à François Hollande de ne pas nommer Laurent Fabius premier ministre, demande une militante à la sénatrice. Nous avons besoin de têtes nouvelles…»
_______

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.