- Largeur.com - https://largeur.com -

Vélos électriques, la révolution silencieuse

large090412.jpg«Il y a quinze ans, nous vendions 600 vélos électriques par année, à présent ce chiffre est atteint en deux jours.» Kurt Schär, directeur du premier producteur suisse Flyer, peut sourire: dans les villes romandes comme en périphérie, le vélo avec assistance au pédalage est en passe de supplanter le traditionnel city bike roulant à la seule puissance humaine. La fièvre de l’e-bike a gagné les populations les plus variées: jeunes cadres contournant les bouchons, mères de famille de retour des courses ou encore livreurs heureux de ne plus arriver à bout de souffle chez leurs clients.

A Lausanne, le responsable du Service des parcs de la Ville Michaël Rosselet-Christ utilise depuis quatre ans le vélo électrique pour inspecter les chantiers en cours: «Je n’y vois pratiquement que des avantages: mes déplacements sont rapides et écologiques, et je suis plus réactif car je peux m’arrêter à l’improviste. » Dans cette ville à forte déclivité, un engin puissant se révèle rapidement indispensable, souligne ce cycliste chevronné de 44 ans: «Parfois, je peux presque me sentir frustré du peu d’effort que demande un déplacement à vélo électrique!»

Alors que les ventes de bicyclettes classiques et de scooters ont tendance à se tasser, on observe un boom exponentiel du marché du vélo électrique depuis une décennie. En 2011, près de 50’000 e-bikes ont trouvé preneur en Suisse, un quart de plus que l’an précédent. «Il y a huit ans, j’étais un peu pionnière du vélo électrique et j’adorais pouvoir dépasser avec le sourire les cyclistes musclés dans les montées, raconte la journaliste Isabelle Moncada, présentatrice de l’émission 36.9° sur la RTS. Aujourd’hui, c’est plus dur, car ils en ont un eux aussi!»

Parmi les utilisateurs en costume-cravate figure Michel Dérobert, secrétaire général de l’Association des banquiers privés suisses: «Le vélo électrique représente le moyen le plus efficace d’aller rapidement à mon travail sans transpirer. Il me faut dix à vingt minutes de moins qu’en voiture pour arriver à mon bureau au centreville. Ce n’est pas vraiment un acte de foi écologique, plutôt un acte de foi contre la situation du trafic à Genève!»

Automobilistes repentis. Le vélo électrique étant particulièrement adapté au milieu urbain, les pendulaires forment le gros de la clientèle des magasins spécialisés. «La hausse du prix du carburant, les problèmes de places de parking et d’embouteillages ont conduit beaucoup de ménages à abandonner leur deuxième voiture pour un e-bike, constate Vincent Ebiner, gérant des magasins Easycycle à Gilly (VD) et Genève. Certaines entreprises vont jusqu’à subventionner l’achat d’un vélo électrique si leur employé restitue sa place de parc.»

En ville, le moteur permet de franchir les dénivelés que l’on croyait insurmontables sans devoir prendre de douche à l’arrivée: «Je ne me pose plus la question du chemin à prendre, témoigne Delphine Demeure, psychomotricienne genevoise de 32 ans. Auparavant, je regardais toujours la carte à l’avance pour contourner les plus grandes montées.»

Lausanne, citadelle réputée difficile d’accès aux deux-roues classiques, «se transforme en ville cycliste grâce au vélo électrique », relève Vincent Ebiner. Même phénomène à Neuchâtel, une autre cité en pente: «J’ai reçu un vélo motorisé pour mes 60 ans car je commençais à avoir de la peine en montée, explique Marie-Claire Evard Rodrigues, technicienne dentaire. La première année, j’ai fait mille kilomètres!»

Pour Manon Giger, coordinatrice romande de l’association Pro Velo, «l’ebike présente l’avantage de toucher des personnes qui ne faisaient pas forcément de vélo auparavant». Isabelle Moncada se définit comme une automobiliste et conductrice de scooter repentie: «Lorsque j’ai installé un petit moteur sur mon vélo, cela a été une révélation.»

La nouvelle silhouette du cycle électrique, dont le poids varie entre 20 et 30 kilos, est pour beaucoup dans ce succès: «Il y a quelques années, le look des vélos électriques était très typé pour les dames d’un certain âge, qui constituaient la majorité des clients, explique Jérôme Steimer, associé responsable de production chez le fabricant genevois Wattworld. Aujourd’hui, ils ressemblent beaucoup plus aux deux-roues traditionnels et séduisent aussi les jeunes et les hommes.»

Marques suisses de renom. Profitant de l’engouement actuel pour les vélos électriques, les magasins spécialisés fleurissent en Suisse romande. Même les grands distributeurs s’y mettent: M-Way, filiale de Migros consacrée aux véhicules électriques, vient d’ouvrir deux surfaces de vente à Genève et à Lausanne. Pour son directeur marketing Thomas Schröder, «il y a une forte demande en Suisse romande, qui n’est pas encore satisfaite».

Le responsable observe une clientèle plus juvénile qu’en Suisse alémanique: «L’ebike attire beaucoup de couples entre 25 et 40 ans, qui apprécient de rouler avec une remorque pour les enfants et les courses.» Le vélo électrique s’est implanté un peu plus tôt de l’autre côté de la Sarine. Vincent Ebiner, du magasin Easycycle, donne une explication culturelle: «Les Suisses alémaniques avaient déjà intégré la notion de vélo utilitaire avec les bicyclettes classiques. Ici, c’est un peu une révolution de penduler à vélo.»

C’est aussi dans la partie germanophone du pays que se concentrent les poids lourds du secteur, les marques spécialisées Flyer, Stromer ou encore Dolphin, qui jouissent d’une réputation internationale. Le numéro un suisse Flyer, basé à Huttwil, dans le canton de Berne, a sorti 50’000 e-bikes de ses usines en 2011, dont la moitié pour l’exportation, vers l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Autriche. «En raison de la popularité croissante des vélos électriques, toutes les grandes marques de vélos classiques attaquent désormais ce marché, observe Lucas Girardet, fondateur du réseau romand de vélos en libre-service Velopass. Même les constructeurs sportifs proposent des VTT électriques.»

Selon lui, cette concurrence accrue est susceptible d’entraîner une baisse du prix à débourser pour un vélo électrique, qui s’établit en moyenne à 2800 francs selon l’Office suisse de conseil pour deux-roues (OSCD), mais grimpe facilement à 5000 francs pour un modèle aux performances routières et à l’autonomie optimisées.

Subventions généreuses. De nombreuses communes romandes se sont mobilisées pour encourager leurs habitants à opter pour le vélo électrique. Encore récemment, la ville de Gland proposait par exemple de prendre en charge jusqu’à 1200 francs pour l’achat d’un vélo électrique d’une valeur supérieure à 3000 francs. «Face au succès de l’initiative, nous avons légèrement diminué les subventions, afin de mieux les répartir sur l’ensemble de l’année, précise Thierry Genoud, municipal chargé des Bâtiments et de l’Urbanisme. En 2011, nous avons consacré 50’000 francs à la subvention de vélos, dont une moitié d’e-bikes.»

De même, la Ville de Fribourg propose désormais, et jusqu’au 31 décembre 2012, à ses habitants et aux pendulaires, d’échanger gratuitement leur automobile contre un vélo électrique.

Reste maintenant à adapter les infrastructures routières: «L’aménagement s’améliore certes, mais pas assez rapidement au vu du trafic croissant de deuxroues », constate Christophe Perrin, architecte et pendulaire genevois de 38 ans. A terme, les embouteillages rencontrés en voiture risquent de se transposer sur les pistes cyclables. «Nous sommes en retard par rapport aux autoroutes cyclistes que l’on trouve en Allemagne ou aux Pays-Bas», estime Jérôme Steimer, de Wattworld.

Marcel Maurer, président de la Ville de Sion, connaît bien les difficultés rencontrées par les cyclistes. L’élu libéral- radical parcourt 2000 kilomètres par année avec son vélo électrique pour se rendre à l’Hôtel de Ville: «En pratiquant, j’ai pu remarquer les points à améliorer pour la mobilité urbaine. Nous avons introduit plus d’espaces de rencontre, qui permettent aux vélos d’emprunter les sens uniques automobiles. Grâce aux aménagements et aux subventions, la culture du vélo se développe à Sion.»

Casque obligatoire. Autre inquiétude liée à l’augmentation du nombre de vélos électriques dans le trafic urbain: les accidents. «Il faudrait mieux sécuriser les pistes, car nous sommes encore trop souvent en conflit avec les automobilistes et les piétons», estime la journaliste Isabelle Moncada. Au Bureau de prévention des accidents (BPA) à Berne, le porte-parole Rolf Moning souligne que le vélo électrique ne provoque pas plus d’accidents que les bicyclettes classiques, mais que les conséquences sont plus graves, en raison de la vitesse atteinte par les e-bikes: en 2011, 35% des accidents à vélo motorisé ont mené à des lésions graves ou à une issue fatale, contre 26% pour les deux-roues traditionnels.

«Les automobilistes sous-estiment trop souvent la rapidité des vélos électriques, avant de prendre un virage par exemple», précise le porte-parole. Face aux risques croissants, la loi change: dès le 1er juillet, le port du casque de vélo sera obligatoire pour les utilisateurs d’engins équipés d’une assistance au pédalage fonctionnant au-delà de 25 km/h. Les détenteurs d’e-bikes dépassant les 20 km/h sans pédalage doivent même se munir d’un casque de moto.

«Avec le vélo électrique, la frontière entre le vélo et le scooter est brouillée», souligne Lauriane Altwegg, responsable pour la Suisse romande de NewRide, une plateforme de promotion et d’information sur les deux-roues électriques. La jeune femme en profite pour attirer l’attention sur la disparition cette année d’un symbole suisse, la vignette pour vélos: «Désormais, avec une assistance jusqu’à 25 km/h, chaque utilisateur doit faire jouer son assurance responsabilité civile privée en cas de dégâts à des tiers.» Prescrit contre la transpiration, le vélo électrique peut aussi provoquer des sueurs froides.
_______

PRATIQUE

Fonctionnement
Les e-bikes sont équipés d’un moteur électrique et d’une batterie rechargeable, qui servent à amplifier le mouvement du pédalier sur ces vélos dont le poids varie entre 20 et 30 kilos. Le moteur ne s’actionne qu’une fois le pédalage lancé.

Vitesse
Les modèles les plus courants ont une assistance jusqu’à 25 km/h et leur moteur n’excède pas 250 watts. Les vélos électriques «rapides» (classe des 500 watts) fonctionnent sous assistance électrique jusqu’à 45 km/h. Ils doivent porter une plaque jaune et sont soumis à la réglementation des cyclomoteurs, impliquant d’être en possession d’un permis de conduire.

Batterie
Elle est en principe amovible pour être rechargée à la maison ou au travail. Le temps de charge varie de deux à six heures pour une autonomie moyenne de 40 à 80 kilomètres, en fonction du poids du cycliste, de la motorisation et de la topographie.

Prix
Hors action spéciale, un bon modèle d’entrée de gamme coûte environ 2000 francs, tandis que le haut de gamme dépasse les 4000 francs.
_______

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.