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Innovation: les entreprises font appel au public

Grâce aux concours d’idées sur internet, n’importe qui peut participer à la conception de nouveaux produits. Pour les entreprises, une manière économique et rapide d’améliorer leur capacité d’innovation.

large280312.jpgQuel mélange d’ingrédients pour une nouvelle confiture? Comment freiner la consommation d’alcool des jeunes dans les transports publics? A quoi pourrait ressembler le kiosque à journaux du futur? Pour répondre à ces questions, entreprises et gouvernement se tournent vers le grand public. Leur outil: le crowdsourcing et les concours publics d’idées organisés sur internet, qui donnent à chacun l’occasion de se muer en innovateur du dimanche et espérer toucher une part de la prime totale distribuée aux meilleurs fournisseurs d’idées (quelques milliers de francs en Suisse, souvent le décuple aux Etats-Unis). Par exemple, un nouveau thé froid bio de la marque Bischofszell du groupe Migros a récemment été conçu grâce à un brainstorming en ligne. La marque a bien saisi l’intérêt du procédé en termes d’image et ne se prive pas de rappeler sur l’étiquette l’origine «participative» du produit.

Le recours au crowdsourcing dans le marketing et la conception de nouveaux produits a déjà conquis un certain nombre d’entreprises pionnières. Plus de la moitié des nouveaux produits de Procter & Gamble auraient été développés grâce à l’innovation participative, selon la multinationale américaine. «Pendant longtemps, on a cru que l’intelligence artificielle révolutionnerait nos sociétés, analyse Antoine Perruchoud, professeur de gestion à la HES-SO Valais. Or, la nouvelle ère sera celle de l’intelligence collective: la mise en réseau de tous les cerveaux qui veulent bien se concerter sur un problème donné pour trouver des solutions rapides à coûts réduits.»

Le leader mondial des sites proposant des solutions de crowdsourcing aux entreprises, l’américain InnoCentive, a développé un réseau de quelque 250’000 innovateurs depuis son lancement il y a dix ans. En comparaison, le marché suisse fait figure d’un Petit Poucet encore peu mature avec un seul acteur qui domine le marché: Atizo, une start-up de 12 personnes créée il y a trois ans à Berne. «Le crowdsourcing implique un modèle d’affaires particulier, souligne Antoine Perruchoud. Il exige un gros volume d’entreprises clientes et la publication très régulière de concours pour survivre. Atizo a été favorisé par son rôle de pionnier en Suisse.» L’entreprise a lancé quelque 150 concours en ligne et compte parmi ses clients des poids lourds tels que BMW, Migros ou encore les CFF. Pour solliciter les idées des 13’000 innovateurs inscrits sur le site bernois, une entreprise doit débourser entre 10’000 et 20’000 francs.

«Le noyau dur des visiteurs des sites de crowdsourcing est formé par des utilisateurs assidus qui sont devenus de vrais chasseurs de primes pouvant gagner plusieurs dizaines de milliers de francs par année», poursuit Antoine Perruchoud. Le professeur de gestion souligne néanmoins que la motivation première des innovateurs en herbe reste la reconnaissance sociale développée au sein de la communauté des inventeurs et mesurée par des systèmes de points accumulés au fil des idées déposées. D’autres utilisateurs, enfin, profitent de la plateforme «dans le but d’approcher les entreprises mandataires afin de les rejoindre», relève la responsable clientèle d’Atizo Nicole Rothen.

Le crowdsourcing clame sa modernité mais le concept est ancien: en 1969 déjà, la marque de friandises française Carambar rassemblait une communauté d’enfants afin d’imaginer des gags imprimés sur les emballages. Aujourd’hui, l’exercice s’avère bien entendu autrement plus facile: il ne s’agit plus de réunir physiquement une multitude d’individus, mais simplement sur internet.

Craintes sur la propriété intellectuelle

Malgré son nom, le crowdsourcing s’adresse la plupart du temps non pas à une foule anonyme, mais à des communautés bien précises comme, par exemple, celle des «early adopters » sollicités par la firme danoise Lego pour concevoir de nouveaux jouets. Atizo propose également des concours internes aux sociétés: «La première communauté interrogée reste celle des employés de l’entreprise mandataire, souligne Nicole Rothen. Ce sont souvent eux qui ont les meilleures idées.» Le crowdsourcing, dans ce cas, prend le rôle de la désormais désuète boîte à idées en carton placée autre fois dans les entreprises à côté de la machine à café. «La boîte à idées n’a pas fonctionné car elle n’était pas transparente, estime Antoine Perruchoud. Elle n’offrait pas de mise en réseau, une clé cruciale pour la reconnaissance sociale.»

Mais les entreprises ont parfois de la peine à accepter un processus de réflexion public qui menace de leur échapper. «La propriété intellectuelle constitue le gros point d’incertitude du crowdsourcing», souligne Hervé Lebret, professeur en gestion de la technologie à l’EPFL. Pour diminuer le risque de «fuite», les concours d’idées restent souvent volontairement vagues: elles sont limitées à des textes de 500 signes sur Atizo.

Avoir une bonne idée n’est que le début du processus d’innovation, souligne Marie-Laure Berthié, vice- présidente adjointe pour l’innovation et le transfert technologique à l’EPFL. «Il y a un écart très important entre une idée et son application. Si l’on donne une même idée à 100 personnes, il en ressortira 100 applications différentes.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.