TECHNOPHILE

Bientôt en Suisse, la forêt d’antennes la plus dense du monde

Quatre concessions pour le système UMTS de téléphonie mobile seront vendues aux enchères cet automne. La législation sur les radiations est si stricte qu’il faudra installer des milliers d’émetteurs pour rester en dessous des seuils légaux.

Cet automne, quatre concessions pour la prochaine génération de téléphones mobiles seront mises aux enchères. Il s’agit du système UMTS (parfois aussi appelé IMT-2000), qui succédera au réseau GSM utilisé pour les téléphones mobiles actuels.

Les promesses des réseaux UMTS (pour «Universal Mobile Telecommunications System») font rêver: avec une vitesse de transmission de 2 Mbps sur un appareil portable – soit plus de 35 fois la vitesse d’un modem d’ordinateur de bureau aujourd’hui et plus de 200 fois celle d’un téléphone mobile –, l’UMTS ouvrira la voie à de nouveaux services interactifs comme le visiophone et le Net à haut débit dans la paume de la main. La mise en service des premiers réseaux UMTS en Suisse – comme en Europe – est prévue pour 2002.

C’est la Commission fédérale de la communication (ComCom) qui organise l’octroi des licences pour UMTS, un savant dosage de politique, de volonté libérale et de lobbying toujours supposé mais jamais démontré. A Berne (et à Bienne où siège l’Office fédéral de la Communication, l’Ofcom), on avoue avoir planché longtemps pour mettre en place un subtil stratagème afin d’assurer une concurrence optimale entre les opérateurs tout en préservant la population et l’environnement.

Les aspects écologiques ont pris une place politique essentielle depuis que les Suisses ont développé une particularité biologique unique au monde: la phobie chronique des ondes éléctromagnétiques (ces «rayonnements non-ionisants» comme les appellent les scientifiques) émises par les antennes. «Non seulement nous avons la législation la plus sévère du monde, mais en plus, nous l’appliquons», ironise Fulvio Caccia, président de la ComCom.

Une ordonnance fédérale interdit l’installation des émetteurs de téléphonie mobile à moins de 45 mètres des zones habitées. De plus, la puissance de chaque antenne est très limitée : les opérateurs ne peuvent donc pas regrouper leurs cellules sur un même site sans dépasser les seuils autorisés. Dans les villes, pour respecter la réglementation, les cellules doivent être placées à des distances respectables les unes des autres.

Conséquence: les opérateurs sont contraints d’installer un plus grand nombre de relais pour couvrir le même territoire.

«La législation actuelle sur le rayonnement a pour conséquence une prolifération considérable des antennes dans notre pays, reconnaît Fulvio Caccia. L’idée de contraindre les opérateurs à utiliser la même infrastructure afin de limiter le nombre de pylônes a été évoquée. Mais l’objectif n’aurait pas été atteint: en réunissant toute la clientèle sur un même réseau, il faut des émetteurs plus puissants. Comme la législation les interdit dans les villes, les opérateurs auraient de toute façon dû construire plus d’antennes. Nous avons préféré faire jouer la loi du marché en imposant des règles strictes.»

Actuellement, pour son réseau GSM, Swisscom utilise plus de 2500 relais. Les deux autres opérateurs, Diax et Orange, étoffent leur infrastructure à une telle cadence que d’ici à 2002, la Suisse comptera plus de 6000 émetteurs pour la téléphonie mobile traditionnelle.

L’infrastructure des quatre opérateurs UMTS viendra s’ajouter à cette quantité d’émetteurs dès 2002. «Si l’UMTS séduit le même nombre d’usagers que le GSM aujourd’hui, il faudra encore 6000 antennes supplémentaires», anticipe le président de la ComCom. Avec 12’000 relais pour un minuscule territoire habité, la Suisse pourra s’enorgueuillir de posséder la forêt d’antennes la plus dense du monde. «Heureusement, dans les villes, les émetteurs sont souvent invisibles, cachés le long des façades et des cheminées», ajoute Fulvio Caccia.

La perspective d’installer des milliers d’antennes dans le pays n’amuse pas les opérateurs. Car s’ils n’aiment pas les radiations, les Suisses (en particuliers romands) n’aiment pas non plus les atteintes au paysage. «Comme les autres opérateurs, nous dépensons une énergie considérable pour obtenir, l’un après l’autre, les permis de construire», explique Thérèse Wenger, porte-parole d’Orange, qui «évalue la possibilité de postuler pour une concession UMTS». Pour corser le dossier, chacun des 26 cantons a mis en place des procédures complexes (et différentes) pour autoriser la construction de pylônes et autre relais téléphonique.

«Avec le GSM, c’est déjà la galère: nous devons affronter des oppositions pour chaque demande de permis de construire. Nous osons à peine imaginer la situation qui attend les opérateurs UMTS», poursuit Thérèse Wenger,

Ces difficultés donneront un avantage de taille à Swisscom, Orange et Diax dans la bataille pour l’UMTS. «Les opérateurs GSM pourront faire des économies d’échelle en réutilisant en partie leur infrastructure comme les pylônes et les câbles qui les relient au réseau téléphonique. Du coup, ils pourront faire monter les enchères plus haut», se réjouit Fulvio Caccia. Avec 3 millions de clients et 2500 antennes, Swisscom part donc grand favori. «Il y aura à coup sûr un, voire deux des opérateurs GSM parmi les gagnants, comme dans les autres pays européens», prédit Fulvio Caccia.

Swisscom reconnaît que l’UMTS constitue un marché décisif et commence à compter ses sous: «Nous sommes en train de réfléchir à un plan d’investissement. Sans compter le prix de la licence, la construction d’un réseau UMTS coûtera environ 2 milliards de francs, estime Renata Cosby, porte-parole de l’opérateur national. Mais les analystes sont formels: les opérateurs mobile qui n’obtiennent pas de concession UMTS prendront du jour au lendemain un retard de 10 ans sur leurs concurrents.»

En Grande-Bretagne, les enchères pour UMTS sont en cours. Aux dernières nouvelles, l’opérateur britannique Orange (qui possède encore pour quelques temps près de la moitié de son homonyme helvétique) a posé 700 millions de livres sur la table (presque 2 milliards de francs), et les mises continuent.

A Berne, on attend l’automne avec impatience.