TECHNOPHILE

Les pseudos ont bon dos!

«X» met en garde contre l’illusion des pseudonymes libérateurs, risquant de transformer le cyberespace en une poubelle de la pensée facile et non assumée. A commencer dans les débats de Largeur.com

Par X

Exister, jusqu’à en crever: un combat plus ou moins joyeux, douloureux, pour trouver et peut-être accepter son identité morcelée. Nom et prénom n’ont rien d’innocent dans cette quête, nous le savons bien, nous le savons tous. Comme nous savons que nous sommes tous doubles, au moins.

Est-il pour autant acceptable d’offrir aussi facilement au cyberespace ces instants toujours dangereux où l’on se dédouble, où la responsabilité de nos actes, de nos mots ne sont plus assumés? Notre identité profonde résidera toujours et d’abord sous nos noms et prénoms, marqués au fer rouge de nos familles, de nos cultures.

La cyberculture, elle, risque de nous faire perdre nos répères tout en brouillant ceux des autres, avec la garantie que tout cela n’est que virtuel, sans effets secondaires sur la «vraie» vie, gratuit. Méfions-nous de l’illusion facile du pseudo libérateur, offrant d’éjaculer sa copie sans les précautions d’usage: suis-je en mesure d’endosser ce que j’exprime?

Prendre position publiquement équivaut à un acte de partage, donc d’amour. Mais ne nous y trompons pas: le pseudo n’équivaudra jamais à la capote ou à la pilule. Il ne protège que soi-même et, plus égoïste encore, il est galvaudé sur le Net dans sa valeur première: couvrir une personne craignant pour sa vie (job compris!) en s’exprimant publiquement.

Avant l’ère des tags et du Net, l’anonymat ou les identités maquillées étaient principalement ancrées dans nos consciences comme arme criminelle, arme des puissants piégeant les faibles, avec tout ce que comprend la délation sous les régimes dictatoriaux, génocidaires.

Vaine morale de vieux con dépassé par un nouvel espace d’expression? Je le sais: un prénom et un nom sur le réseau ne garantiront jamais leur authenticité. Pire, ma propre identité peut être volée par n’importe quel autre internaute. Mais diable, jamais le courrier des lecteurs des médias sur papier n’a véhiculé pareilles craintes. Il faut bien en déduire que le support Web incite par sa nature à se dissimuler, à jouer des identités. Ses acteurs doivent par conséquent redoubler de vigilance pour qu’un site de débats tel que Largeur.com ne passe trop vite du carosse à la citrouille, sous nos regards passifs. Quelle citrouille? Une poubelle de la pensée facile, impunément imbécile. Porte ouverte aux emportements haineux, à une insouciance pourrie par le confort nouveau de la connerie aimablement assumée par un pseudonyme.

Et que dire des dégâts psychologiques de l’accoutumance aux identités multiples? Je n’en sais rien. Tout comme je ne puis juger tous ceux qui se font jouir au 156 au nom d’un autre, s’ébattent dans la nuit totale des messageries en ligne ou qui, mentant à un bar sur leur identité, charment leur vis-à-vis droit dans les yeux…

Mais je n’en démords pas: le pseudonyme informatique dans les débats reste plus veule que tous ces comportements-là, car utilisé à tout va, sans plus réfléchir s’il est vraiment nécessaire ou plus jouissif de parler, de partager à couvert.

Bonnes âmes du Net, il n’est décidément pas aussi évident que vous le prétendez d’offrir la parole aux anonymes, aux petits, aux sans-grade, dans ce monde fliqué, fiché…. Prenons le temps d’y penser, à l’abri de l’«Internet Time», nouvelle église-horloge unique du village global.

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X, 33 ans, condamné au pseudonyme pour des raisons professionnelles.