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Attention, chutes d’ascenseurs

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«Je sais ce que l’on dit: qu’il est impossible qu’un ascenseur s’écroule de la sorte, qu’il est équipé de ce que l’on appelle un «parachute», mécanique de secours infaillible assurant dans le même temps le freinage et le blocage de la cabine.»

«Et pourtant force est de reconnaître que notre «parachute» ne s’ouvrit jamais, que nos suspentes lâchèrent d’un coup et que nous heurtâmes les amortisseurs de fond de cage avec une violence inouïe.»

Ainsi témoigne Paul Sneijder, qui devrait être mort depuis le mardi 4 janvier 2011, comme les quatre autres passagers de son ascenseur dans une tour de Montréal.

Le héros du dernier roman de Jean-Paul Dubois, «Le cas Sneijder», est victime d’un accident rarissime. «Notre décrochage représente une aberration statistique», relève-t-il très pertinemment. La compagnie Schindler ne transporte-t-elle pas chaque jour un milliard de passagers, soit l’équivalent de la population de la planète en une semaine, sans dénombrer d’accidents significatifs?

Le moyen de transport le plus utilisé au monde est aussi le plus fiable. La grande majorité des personnes qui meurent dans des ascenseurs sont des employés des sociétés qui les entretiennent. Cela vient de se vérifier à l’hôpital de Liestal et à Paris. Un ouvrier est mort et quatre autres ont été grièvement blessés alors qu’ils entretenaient des ascenseurs.

Quelques jours auparavant, c’est une mère de famille et ses deux enfants qui avaient été grièvement blessés à la suite d’une chute de six étages d’une cabine d’ascenseur dans un immeuble, également à Paris. Loi des séries ou début d’une hécatombe? En France, des chiffres inquiétants ont depuis été publiés: 50% des ascenseurs n’auraient pas passé le contrôle technique obligatoire!

Qu’en est-il en Suisse où la sécurité des ascenseurs est entre les mains des cantons? Consultez la dernière date de révision pour vous rassurer ou obéissez aux consignes de promotion de la santé et optez pour les escaliers (si votre destination n’est pas trop élevée!). Une consigne qui devient difficile à mettre en pratique à l’heure où la Suisse se «dilate vers le ciel», construit en hauteur pour épargner de l’espace au sol sur un territoire restreint.

On s’achemine vers une urbanité de plus en plus verticale donc avec des ascenseurs de plus en plus présents dans notre quotidien. «L’ascenseur représente pour une ville ce que le papier est à la lecture ou la poudre à canon à la guerre. Sans ascenseur, il n’y a plus de verticalité, donc plus de densité. Il faudrait alors transporter l’énergie sur des distances de plus en plus grandes et tous les ferments culturels liés à l’urbain se dilueraient. La population se répandrait et s’étalerait sur la planète comme une flaque d’huile, et les gens passeraient leur vie dans les transports en commun», lit-on dans un excellent article paru dans le New Yorker.

Les ascenseurs sont les signes de la verticalité de notre époque. Ces basiliques de verre et d’acier sont devenues les vecteurs et les véritables architectures du monde; leurs câbles tirent toutes les ficelles. Inventé en 1853, l’ascenseur est venu ravir à l’échelle le soin d’imager la mobilité sociale. Pour améliorer son «standing», une échelle se gravissait à la force des mollets, alors que s’élever avec un ascenseur ne nécessite pas d’effort. Et vive l’ascenseur social!

Une métaphore reprise non seulement en littérature mais en art. Ainsi, lors de la biennale de Venise qui vient de se terminer, l’ascenseur de l’artiste Gigi Scaria a embarqué des milliers de visiteurs. Son installation ascensionnelle permet d’évoquer les castes et les classes sociales de la société indienne. En Inde, comme ailleurs, l’ascenseur social fonctionne pour certains, connaît des pannes pour d’autres ou se met à redescendre.

L’expression va-t-elle dès lors tomber en désuétude? L’ascenseur sera-t-il remplacé par le toboggan, un terme plus approprié pour décrire la mobilité sociale en pleine crise? Quand il y a le feu, il est strictement interdit de prendre l’ascenseur!