LATITUDES

Angry Birds: l’invasion

Facebook prévoit pour cette année un milliard de revenu issu des «casual games». Ces mini-jeux pour PC et smartphones, au principe ultra-simple, sont devenus le nouvel eldorado de l’industrie vidéoludique.

Les casual games, ces mini-jeux au fonctionnement basique, chamboulent l’industrie du jeu vidéo. Rovio, la compagnie finlandaise derrière Angry Birds, un des titres pour smartphones les plus populaires du genre, pèserait 1,2 milliard de dollars selon les dernières estimations. Le PDG de Rovio, Mikael Hed, a confirmé l’introduction en Bourse de sa compagnie «dans deux ou trois ans». Au total, Angry Birds a été téléchargé plus de 500 millions de fois à ce jour.

Le succès des casual games, qui se développent essentiellement sur les smartphones et les réseaux sociaux, s’explique en grande partie par leur principe simple, voire simpliste. N’importe qui, joueur confirmé ou non, peut les prendre en main en quelques secondes, d’où un marché potentiel gigantesque. Gratuits ou d’un prix dérisoire — autre raison de leur succès — ces jeux sont aujourd’hui joués partout, des files d’attente aux transports publics.

En face, le jeu vidéo classique sur console de salon, davantage destiné aux gamers purs et durs, demande un investissement en temps et en apprentissage beaucoup plus important de la part des joueurs. Le business model des casual games se base essentiellement sur deux sources de revenus: la publicité embarquée, d’une part, mais surtout les achats de biens virtuels. L’exemple le plus emblématique de ce système est Farmville, un casual game de type «social» de l’éditeur Zynga, jouable sur Facebook. Pour évoluer dans cette simulation de ferme gratuite, le joueur doit acquérir des biens virtuels… avec de l’argent bien réel.

Grâce à ce concept, Farmville est devenu très vite profitable. Il s’agit même de l’un des jeux les plus joués sur Facebook. En 2010, le nombre total de joueurs a dépassé les 80 millions. Après ce pic, l’engouement a un peu perdu du terrain pour retomber à 60 millions. Mais l’éditeur Zynga a réagi en déclinant sa gamme avec des jeux comme Cityville ou Frontierville, fonctionnant selon le même principe. Il annonce aujourd’hui 232 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Ce spécialiste du jeu sur Facebook s’apprête à entrer en Bourse, espérant ainsi lever entre 1 et 2 milliards de dollars.

Participant au boom des réseaux sociaux et des smartphones, les revenus issus du social gaming s’envolent. Ils devraient atteindre 1,32 milliard de dollars en 2012, sur le marché nord-américain, dont 792 millions de dollars provenant de biens virtuels et 271 millions issus de la pub, selon le site mediapost.

Les social games sont même devenus un élément clé de l’explosion des réseaux sociaux. Sur Facebook, 53% des 750 millions d’utilisateurs jouent depuis leur profil. «Le succès de Facebook a été partiellement construit sur son contenu games, qui a amené des interactions plus importantes et plus régulières entre ses utilisateurs», explique à ce propos Piers Harding-Rolls, chef de la section jeu à Screen Digest.Pour concurrencer Facebook, Google a ouvert cette année son propre réseau social, «Google +», qui compte déjà 25 millions d’utilisateurs actifs.

Or, le géant américain a inclus dans son réseau des jeux casual, preuve de l’importance pour un réseau social d’avoir une plateforme ludique. Avec seulement 16 jeux disponibles au départ, dont l’incontournable Angry Birds (lire ci-dessous), contre des milliers sur Facebook, Google + est un nouveau territoire à coloniser pour les éditeurs. D’autant plus que la commission de Google + sur les jeux, de seulement 5%, est plus intéressante que celle de Facebook, qui s’élève à 30%.

Le succès du business model du casual gaming séduit aussi les grands éditeurs. Le géant historique Electronic Arts, qui fait partie des cinq plus grands éditeurs de jeux au monde, a racheté Pop Cap Games pour 750 millions de dollars. Cette compagnie spécialisée dans le casual game mobile s’est fait connaître avec des mini-jeux comme Bejeweled, une sorte de Tetris avec des diamants, et Plants vs Zombie, qui fait partie des jeux les plus téléchargés sur iPhone et iPod. Electronic Arts pourrait injecter au total 1,3 milliard de dollars dans Pop Cap Games.

Michel Kripalani, CEO d’Ocean House Media, actuel leader sur le marché des applications iPhone tirées de livres, est un ancien poids lourd de l’industrie du jeu vidéo (il a notamment créé Myst III, l’une des plus célèbres séries de jeux d’aventure pour PC). Il ne croit plus au modèle actuel du jeu vidéo: «Créer un jeu pour console est aussi long et coûteux qu’un film. Jusqu’à 100 personnes travaillent sur plusieurs années! Le coût est fou, trop élevé, ça ne peut plus fonctionner. L’industrie va et doit changer. Chez Ocean House Media, nous sommes moins d’une dizaine de personnes pour créer des applications iPhone, et nous pouvons sortir plusieurs apps par mois!»

Le rapport investissement/revenu semble effectivement clairement pencher en faveur du casual game. Le coût de production est ridiculement bas. Les chiffres avancés par l’association casual games parlent d’eux-mêmes. Produire un jeu pour Facebook coûte entre 40’000 et 50’000 dollars. En face, le coût moyen de production d’un jeu pour Xbox 360 ou PlayStation 3 s’élève à 10 millions de dollars…
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Angry Birds, la fièvre du jeu sur smartphone

Le mini jeu le plus connu de sa génération a déjà été téléchargé plus de 500 millions de fois.

Rovio, la compagnie finlandaise derrière Angry Birds, pourrait valoir 1,2 milliard de dollars. Un chiffre ahurissant pour une compagnie créatrice de mini-jeux simplistes pour mobiles. Si la valeur de l’entreprise s’est à ce point envolée, c’est que son jeu phare est numéro un des téléchargements dans 67 pays et a été téléchargé plus de 500 millions de fois en version gratuite ou payante (1 franc).

Le principe de Angry Birds consiste à catapulter des oiseaux contre une structure à démolir. Difficile de faire plus simple. Reste que ce jeu est à ce jour le plus téléchargé sur iPhone, BlackBerry et Android. Il fait aussi partie des titres les plus populaires sur les sites sociaux Facebook et Google +. Un tel succès a affolé les investisseurs. Un premier round d’investissement a rapporté 42 millions de dollars à la compagnie fondée par trois étudiants de l’Université de technologie d’Helsinki. Un nouveau financement devrait catapulter la valeur de Rovio à 1,2 milliard de dollars.

Angry Birds a établi un nouveau modèle de revenu pour l’industrie du jeu. A elle seule, la version gratuite du jeu pour Android rapporterait 1 million de dollars par mois. Comment? Simplement grâce à la pub embarquée qui apparaît au bas de l’écran. Une fois le jeu terminé, Rovio rajoute des épisodes payants (version Halloween, Noël, etc.) pour maintenir l’intérêt, avec pour résultat un public fidèle qui revient constamment au jeu. La compagnie a eu l’intelligence de transformer ce succès historique en opérant des deals avec des constructeurs de smartphones ou de tablettes. On voit les Angry Birds apparaître sur des pubs, ils sont devenus un «brand» reconnaissable, une arme de séduction au capital sympathie élevé. Le jeu a même séduit Hollywood. Rio, le film d’animation des studios 20th Century Fox a été décliné en version Angry Birds.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5 / 2011)