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Eloge du troisième homme

large101011.jpgIl leur a brûlé la politesse. D’un petit jour, mais c’est toujours ça de pris. Voici donc, juste avant Berset, puis Baume-Schneider et Carrobio et bientôt Maillard, voici donc, coincé entre deux femmes et deux favoris, le troisième homme.

Stéphane Rossini candidat au Conseil fédéral, ce n’est pas une surprise, un désir plutôt qui vient de loin — son nom circulait déjà lors du départ de Ruth Dreifuss. Une aspiration demeurée en veilleuse par la faute d’une longue surreprésentation valaisanne au sein des sept sages — même si appliqué à Couchepin et Calmy-Rey l’adjectif «sage» sonne un peu irréel.

Rossini donc, d’Aproz, sur la commune de Nendaz, Nendaz la montagnarde et l’ultra-conservatrice, terre aux mille et un Fournier. Sauf qu’Aproz, à l’aune du Vieux–Pays, accumule les provocations: un village de plaine connu surtout pour son eau minérale.

Une double tare, la plaine et l’eau minérale, que Rossini a toujours facilement compensée devant l’électorat local par diverses occupations bien du cru. Une passion d’abord héritée de la chasse — la vraie, la haute, celle au chamois. A l’inverse de Christophe Darbellay, Rossini était chasseur avant de solliciter les suffrages de ses électeurs: les bêtes qu’il porte sur les épaules, contrairement à celles que le président du PDC exhibe dans le Matin, sont bien mortes sous ses propres balles.

Si l’on ajoute la montagne, la fanfare et même un peu de foot dans sa jeunesse, c’est peu dire que Stéphane Rossini a le Valais profond et véritable dans le sang et cela suffit à expliquer pourquoi il s’offre des résultats soviétiques à chaque élection, sur une terre où normalement l’étiquette «universitaire de gauche» suffit à vous rendre infréquentable.

Et puis à force de pratiquer des hobbys de droite, Rossini a presque fini par faire croire qu’il n’était pas, ou plus, si à gauche que ça. Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, il semble prêt, à l’occasion de cette petite course au Conseil fédéral, à transformer ses handicaps en martingales imparables.

Valaisan? Les Alémaniques paraît-il adorent et en redemanderaient «pour ce qu’ils (les Valaisans) apportent dans leur défense systématique des valeurs suisse». Ah les valeurs suisses! Les mêmes que celles claironnées dans cette campagne sur les affiches aussi bien de l’UDC que des radicaux et du PDC?

Trop militant ensuite? Rossini s’avoue désormais partisan intraitable de la concordance et donc du droit «des trois grands partis d’être représentés chacun par deux candidats les représentant en toute légitimité.» Que la grosse cohorte des parlementaires UDC en prennent note: ce n’est pas Rossini qui volera au secours de Widmer-Schlumpf.

Comme pour bien enfoncer le clou, montrer que oui, certes, il reste de gauche mais qu’il ne faut pas exagérer quand même, Stéphane Rossini reconnaît avoir jusqu’ici «travaillé dans l’utopie en défendant de beaux et grands projets de loi» mais que désormais le voilà «prêt à donner le la, comme il sied à un Conseiller fédéral». Et à un Rossini bien entendu. Autrement dit: fini de rire et de rêver.

Enfin, le candidat donne dans le Nouvelliste cette plus qu’étrange définition du socialisme: «Une béquille pour réfléchir.» Alors qu’il aurait tout aussi bien pu répondre «une idée pour marcher».

Ses amis comme ses adversaires lui reconnaissent sérieux et compétence mais ne lui accordent pourtant aucune chance, et transforment volontiers ses qualités en défauts: «Il est davantage expert que politique», assure par exemple Christophe Darbellay. Le président du PDC sait de quoi il parle, lui qui présente le profil exactement inverse: tellement politique, si peu expert.

Un camarade aussi charitable qu’anonyme explique également dans 24 Heures qu’en gros, il manque à Rossini «l’expérience de l’exécutif que possède un Maillard et la renommée d’un Berset». Qu’importe au fond. Qu’importe également si, comme l’affirme Freysinger et les médias, la candidature de Rossini n’est qu’une grosse ficelle pour faire parler du PS et engranger du temps de parole électorale.

Oui qu’importe: une élection sans troisième homme, ce ne serait plus vraiment une élection. Sans troisième homme, moins de suspense encore, surtout si entre les deux favoris l’un l’est beaucoup plus que l’autre. Sans troisième homme, moins de trahisons, moins de ralliements, d’odieux petits calculs, moins de possibilités de nuire à son propre camp, moins de coups bas, moins d’hypocrisie. Moins de politique en somme, moins de grain médiatique à moudre.

Et tant pis si ce troisième homme-là affirme avoir «un projet pour une Suisse d’intelligence». Celle qui se déchire pour savoir si Fernand Melgar est un fasciste sincère ou un menteur de gauche?