«A la création d’Airbus, en 1970, personne n’y croyait vraiment. Boeing nous prenait de haut et les politiques européens doutaient.» Cette anecdote de Georges Ville, pionnier et ancien directeur financier d’Airbus, illustre le chemin parcouru par l’avionneur européen. Depuis 2003, Airbus est le premier constructeur mondial d’avions civils en termes de livraison.
«En moins de trente ans, nous sommes parvenus à combler notre retard grâce à l’innovation. Notre chance a été de bénéficier de l’expérience accumulée sur Concorde (développé par l’entreprise française Aérospatiale, ndlr), détaille Georges Ville. Cet avion était unique, il a donc nécessité de grandes avancées technologiques que nous avons réutilisées pour nos avions de ligne. L’ADN du Concorde se trouve dans tous les Airbus.»
Dès ses premiers appareils (A300 et A310), Airbus change intégralement le poste de pilotage en intégrant le mini-manche du Concorde. Mais la véritable évolution vient en 1984 avec l’A320, qui intègre pour la première fois des commandes de vol électriques en lieu et place des commandes hydrauliques utilisées jusqu’ici. «Avec l’A320, Airbus a gagné son pari technologique contre Boeing, estime un spécialiste de l’aéronautique. Cet appareil est le premier avion commercial dont les commandes sont entièrement contrôlées par un calculateur. Ce fut une révolution. Avec près de 4000 unités livrées depuis son lancement, l’A320 est devenu la vache à lait d’Airbus, son principal revenu.»
Boeing, qui a longtemps sous-estimé son rival européen, n’intégrera ce type de commandes sur ses appareils qu’en 1994, avec le B777, soit dix ans après Airbus. Les deux géants n’adoptent toutefois pas la même philosophie à ce niveau: alors que chez Airbus, l’ordinateur de bord empêche le pilote d’aller au-delà des limites de sécurité, Boeing autorise une certaine transgression. «Chaque approche a ses partisans et ses détracteurs, mais en termes de sécurité, les appareils Airbus et Boeing sont aussi sûr les uns que les autres», assure Ronan Hubert, auteur du livre «Accidents d’avions, causes et conséquences».
En lançant le programme de l’A380, un avion qui peut transporter jusqu’à 853 passagers sur de longues distances, Airbus continue d’innover en réalisant une prouesse jamais réalisée: l’avion civil le plus grand au monde. Un pari risqué qu’Airbus paye toutefois au prix fort. Initialement budgétée à hauteur de 8 milliards de dollars, la facture de recherche et développement de ce mastodonte des airs s’est envolée jusqu’à 18 milliards. Résultat: alors qu’au lancement du projet, Airbus avait fixé le seuil de rentabilité à 250 appareils vendus, celui-ci dépasse désormais les 500 unités. «Actuellement, l’A380 cumule un peu moins de 250 commandes fermes, dont une cinquantaine d’avions déjà en service. Les très gros-porteurs sont un marché de niche et rien n’indique que l’A380 rapportera un jour de l’argent», raille un analyste.
En face, Boeing ne délaisse pas l’innovation: l’avionneur américain fait le choix d’abaisser la consommation de ses futurs appareils en développant des ailes très courbées et en utilisant un maximum de matériaux composites. Actuellement en cours de test, le B787 est constitué à 50% de composites. Une véritable rupture technologique. Problème: difficile d’utilisation, les matériaux composites donnent le tournis aux ingénieurs de Boeing. Initialement prévue en mai 2008, la première livraison de cet appareil n’est toujours pas intervenue.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 3 / 2011)