Kununu permet d’évaluer les entreprises grâce aux notes données par leurs employés. Même les grandes banques suisses sont jugées. UBS est-elle mieux notée que Credit Suisse?
A l’ère de l’internet 2.0, la coutume veut que l’on consulte des évaluations d’internautes avant d’acheter un livre, d’aller voir un film, de choisir un restaurant. Pourquoi ne pas étendre le principe aux employeurs? C’est l’idée de Kununu.com (prononcer Kounounou), un site communautaire qui permet aux demandeurs d’emploi de consulter des commentaires et des évaluations déposés anonymement par le personnel des entreprises.
«Les employés peuvent se plaindre de leur employeur mais n’ont pas le droit de mentionner des noms de personnes ni de révéler des informations d’ordre confidentiel», précise Martin Poreda, qui a fondé Kununu avec son frère en 2007. En contrepartie, les entreprises peuvent gratuitement répondre à toutes les critiques. Une option payante leur permet de créer une page de présentation, dont le tarif dépend de la taille de l’entreprise et du type de contenu, tel que des vidéos ou des offres d’emploi. Kununu tire ses revenus de cette prestation.
Connue dans le monde germanophone, la plateforme d’origine autrichienne revendique une croissance mensuelle de 15% du nombre d’évaluations. La Suisse alémanique représente à elle seule plus de 17’000 évaluations de 6200 sociétés. Avec environ 200 espaces vendus aux entreprises, la start-up, dont l’équipe compte 14 personnes, a récemment atteint son seuil de rentabilité. «La location d’une page coûte un minimum de 2280 euros par an (2500 francs) à une petite PME, alors qu’un grand groupe peut débourser jusqu’à 20’000 euros.»
Parmi les critiques qui concernent les firmes helvétiques, un employé de Credit Suisse regrette que «les cadres s’intéressent plus à leurs bonus qu’aux membres de leur équipe», alors qu’un autre se dit satisfait «des horaires flexibles et des bons salaires». La banque comptabilise 90 évaluations et encaisse une note de 3,6 sur 5 (la même qu’UBS).
«Malgré leur réputation d’être réservés et discrets, les Suisses allemands s’investissent d’une façon particulièrement intensive sur Kununu», observe l’entrepreneur. Par ailleurs, il souligne que les sociétés helvétiques réagissent très négativement au fait d’être ouvertement jugées, même avec de bonnes critiques. «La culture d’évaluation est moins acceptée en Suisse qu’en Allemagne ou dans les pays anglophones.» Pour preuve, aux Etats-Unis, Glassdoor.com, l’équivalent de Kununu, va encore plus loin et attribue une note aux CEO.
Pour Matthias Mölleney, ancien chef du personnel de Swissair et d’Unaxis, les critiques en ligne représentent un grand danger pour les employeurs, qui les sous-estiment encore largement. «Il suffit d’une poignée de commentaires qui ne correspondent pas à l’image communiquée par une entreprise pour sérieusement nuire à sa réputation.» Du point de vue des candidats, le spécialiste zurichois ne ménage pas son enthousiasme: «L’invention apporte beaucoup plus de transparence sur le marché du travail et permet de vérifier les propos des recruteurs.»
Cet avis n’est pas partagé par Joëlle Rossier, qui a fondé son cabinet de recrutement dans la région lémanique. «C’est un sacré piège pour les demandeurs d’emploi. Ils ne doivent pas se fier à quelques remarques subjectives. Les employés connaissent des expériences très différentes au sein même d’une entreprise.» Conscientes du problème, certaines sociétés, dont Siemens, Bosch et Bayer, recommandent elles-mêmes à leurs salariés de participer à Kununu afin de disposer d’une évaluation plus large, et donc plus représentative.
Enfin, comment garantir l’authenticité des critiques? «Les évaluations sont toutes contrôlées par un système automatique puis par au moins deux personnes de notre équipe», assure Martin Poreda. Pour Matthias Mölleney, une entreprise ne prendrait pas le risque de falsifier ses évaluations ou celles d’un concurrent: «Sur l’internet, les manipulations finissent toujours par être décelées.» Kununu se lancera bientôt sur le marché anglophone et aussi, dans un deuxième temps, sur le francophone.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.
