«Si j’étais un vêtement, je serais un sac Hermès crocodile modèle Grace Kelly en noir et or.» Prière de ne pas rire. Cet extrait d’un portrait chinois paru dans Dubai Madame n’est pas une énième mémorable assertion de Victoria Beckham, mais une réplique de Mohammed Sultan Al Habtoor, héritier de 28 ans d’une des plus puissantes dynasties émiraties et jet-trendsetter provocateur.
Le jeune Dubaïote a rejoint récemment l’équipe des «amis» de Jaeger-LeCoultre, qui compte de nombreuses stars régionales comme l’acteur de Bollywood Saif Ali Khan. «Il représente parfaitement la marque car il est un personnage très moderne avec un profond respect pour la tradition», explique Eileen De Graaf de Jaeger-LeCoultre aux Emirats.
Avant de se reconnaître dans un sac à main et de s’afficher avec une Reverso au poignet, Mohammed Sultan Al Habtoor a suivi une carrière bien plus stricte, puisque cet officier commandait les forces spéciales aux Emirats. Un poste auquel il s’est formé à la prestigieuse et austère Académie royale militaire de Sandhurst en Grande-Bretagne, par laquelle est passé aussi le prince Harry.
Proches de l’émir Al Maktoum, les Al Habtoor sont l’une des familles les plus riches de Dubaï. L’oncle Khalaf, qui apparaît dans le classement des personnages les plus fortunés de la planète de Forbes, préside le Al Habtoor Group, actif dans la construction, l’hôtellerie et l’importation d’automobiles. Le conglomérat a notamment participé au chantier de l’hôtel en forme de voile Burj Al Arab. Sultan, le père, dirige la division automobile du groupe.
Après son passage dans l’armée, Mohammed Sultan Al Habtoor n’a pas choisi de marcher dans les traces de sa famille malgré son statut de fils aîné. C’est la mode et l’art qui électrisent le bel officier au regard de biche à la Gael García Bernal. On le retrouve aux premiers rangs des défilés Nina Ricci, Marc Jacobs ou Chanel, ou comme mannequin chez Kenzo lors de la présentation masculine printemps/été 2012. Il a aussi lancé avec son amie d’enfance Tamara Al Gabbani la marque de T-shirts à messages House of glaMo et travaille comme consultant pour des maisons de vente aux enchères d’art comme Phillips tout en peignant des toiles néopop à base de smileys.
Surtout, Mohammed vient perturber la notion de genre sexuel au Moyen-Orient. Le nom de sa marque rappellera aux initiés le voguing des années 80, lorsque des homosexuels parodiaient les gestes des mannequins sur les podiums et baptisaient leurs équipes: House of Ebony, House of Revlon.
On extrapole certainement. Mais on ne peut s’empêcher de lire dans l’extrême métrosexualité du jeune héritier looké comme une parodie de mode. Plus gay que gay en somme. Et dans le fond, tout ceci s’avère très sérieux. «Sincèrement, je pense que la mode est prise au piège dans un ensemble de frontières. En évitant de mélanger le féminin au masculin, nous empêchons la mode masculine d’évoluer et de grandir. Plus encore, nous enfermons les femmes et les hommes dans une sorte d’impasse historique, où n’intervient plus la moindre évolution au sein des genres», écrit-il ainsi sur son MySpace.
Un tel discours couplé à une garde-robe qui s’aventure bien au-delà de la djellaba traditionnelle provoque bien entendu des réactions à Dubaï. «Les gens m’ont toujours jugé. J’ai appris à ne plus m’en soucier. Je serais choqué s’ils s’ennuyaient et cessaient de parler de moi, car c’est la raison pour laquelle je continue à le faire.» Battre en brèche les préjugés par la provocation vestimentaire, une lourde et courageuse mission pour un sac à main.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.