KAPITAL

Riche sur Ricardo

Ces PME développent leurs affaires sans aucun point de vente. Elles écoulent leurs articles par Ricardo, eBay ou Anibis. Un mode de distribution qui diminue les coûts mais aussi les marges. Enquête.

Lancer son entreprise sans aucun point de vente propre, ni physique ni virtuel? C’est possible. Le Neuchâtelois Pierre-Alec Emery, fondateur de la société PEM Import établie à La Tène (NE) l’a fait.

«Posséder une boutique ou un site internet, ce n’est vraiment plus nécessaire, explique l’entrepreneur. En plus c’est extrêmement coûteux. Seules les grandes entreprises peuvent s’offrir un site de vente en ligne de qualité avec un bon référencement. Moi je n’avais pas les moyens. Alors en 2003, j’ai commencé à vendre des articles que j’importais sur le site Ricardo.ch. A l’époque, c’était mon unique canal de diffusion. Petit à petit mon business s’est développé.»

Et ça marche. Avec sa société, Pierre-Alec Emery est devenu en 2011 le meilleur vendeur de Ricardo avec près de 185’000 ventes. «En fait, cela fait plusieurs années que je suis le meilleur vendeur, sourit Pierre-Alec Emery, mais Ricardo préférait que ce classement reste informel.»

PEM Import propose des articles de loisirs, d’électronique ou des vêtements qui arrivent pour la plupart tout droit de Chine. Sa meilleure affaire? 250’000 chaussettes noires à 1,50 francs la paire écoulées en quelques semaines.

«Malheureusement, mon fournisseur a depuis cessé son activité», rapporte Pierre-Alec Emery, toujours à la recherche d’une bonne affaire. Chaque jour, PEM Import, qui emploie cinq personnes, propose un millier d’articles sur Ricardo, la majorité à prix fixe. Car si la plateforme est connue pour ses ventes aux enchères, c’est la vente directe de produits neufs à prix fixe qui y a désormais la cote.

«Au début, je proposais de nombreux articles aux enchères avec un prix de départ de 1 franc et ça marchait assez bien, raconte Pierre-Alec Emery. Mais aujourd’hui, les enchères marchent de moins en moins. Obtenir un prix correct devient rare. Je continue à mettre quelques produits aux enchères pour attirer les gens, mais la majeure partie de mon bénéfice vient de ventes à prix fixes.»

Un changement de comportement que Ricardo a bien compris. «Nous avons observé que beaucoup de clients n’aiment pas les ventes aux enchères. Ils préfèrent acheter des produits neufs à prix cassés, confirme Barbara Zimmermann, porte-parole de Ricardo. C’est pour conquérir cette clientèle que nous avons lancé en novembre 2009 une «zone shop» sur notre site. Cette rubrique est exclusivement dédiée aux entreprises qui peuvent y vendre des articles neufs à prix fixes.»

Aujourd’hui, une trentaine de sociétés, dont La Redoute, Sportwear24 ou 4MyBaby, ont rejoint cet énorme centre commercial virtuel qui propose près de 3 millions d’articles. «Nous cherchons encore des sociétés avec de bonnes marchandises pour étoffer notre offre, notamment en Suisse romande où nous sommes moins présents», souligne Barbara Zimmermann.

Néanmoins, lancé fin 2009 la partie shop de Ricardo peine à convaincre les clients. «Ricardo est très connu pour ses ventes aux enchères et ses bonnes affaires. La rubrique shop marche moins bien», rapporte Damien Romanens, directeur de Plantes.ch. «Nous ne sommes pas encore là où voulions aller, confirme Barbara Zimmermann, porte-parole de Ricardo.ch. Cela va prendre du temps avant que cette partie de notre site se développe.»

A tel point que des entrepreneurs comme Pierre-Alec Emery ont refusé de rejoindre la zone shop: «Pour moi, Ricardo est une plateforme où les clients viennent chercher des produits moins chers. Je ne vois pas l’intérêt d’une zone shop qui n’est finalement rien de plus qu’un magasin classique. Je préfère vendre mes produits sur la partie classique du site. En tout cas pour l’instant.»

Malgré la relative faiblesse des ventes, être présent sur une plateforme telle que Ricardo offre de nombreux avantages aux marchands. «C’est extrêmement difficile pour un consommateur d’acheter sur un site qu’il ne connaît pas, rappelle Jean-Eric Pelet, professeur d’économie invité à la faculté des Hautes études commerciales de Lausanne (HEC) et à l’université de Paris Dauphine. Les entreprises qui sont présentes sur des sites comme Ricardo ou eBay profitent de la notoriété de ces plateformes. Pour le client, elles sont connues donc fiables. La notoriété représente pour le consommateur un gage de qualité et de garantie en cas de problèmes, livraison défaillante ou produits défectueux.»

Autre avantage et non des moindre: l’audience. Chaque mois, le site Ricardo enregistre 20,5 millions de visites, dont 4,8 à 6 millions de visiteurs uniques, qui achètent 500’000 à 620’000 articles. Des chiffres inimaginables pour le site internet d’une PME. Par exemple, le site Koala.ch, leader de la chaussure sur internet en Suisse, a enregistré 300’000 visites sur les six derniers mois. «En termes de visibilité et de crédibilité, Ricardo nous apporte beaucoup, confirme Eric Ceillier, directeur d’Aboneo, une PME qui vends des produits de soins (voir ci-dessous). Par ailleurs, cela nous permet de toucher des clients alémaniques qui ne connaissent pas notre entreprise.»

A chaque transaction l’entreprise de Zoug prélève un pourcentage. «Chaque mois, je donne à Ricardo un montant à cinq chiffres», souffle Pierre-Alec Emery, dont l’entreprise génère chaque année un chiffre d’affaires dépassant le million de francs. «Pour les sociétés qui vendent des articles qui ont une marge importante, ce n’est pas problématique, poursuit Eric Cellier. Mais pour moi cela diminue tellement ma marge qu’à la fin, il ne me reste pas grand-chose.»

Problème: Ricardo n’a pas beaucoup de concurrence sur ce créneau en Suisse. «J’ai essayé de vendre des produits sur eBay, mais ça ne marche pas du tout en Suisse. J’ai testé également Anibis, où les annonces sont gratuites mais les ventes très limitées, raconte Pierre-Alec Emery. En France ou en Allemagne, il y a beaucoup de sites concurrents. En Suisse, le marché est trop restreint pour que plusieurs acteurs coexistent. Finalement, il n’y a que Ricardo, qui est heureusement un outil fantastique.»
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«Augmenter mon chiffre d’affaires»

Eric Ceillier, fondateur d’Aboneo.com, a rejoint le shop de Ricardo afin d’augmenter ses ventes. Seul bémol: le coût du service.

«Honnêtement, je n’avais jamais pensé à vendre mes produits sur une plateforme telle que Ricardo, rigole Eric Ceillier, fondateur d’Aboneo une société basée à Eysins. C’est eux qui m’ont sollicité. J’ai trouvé que c’était une bonne idée et je me suis lancé.» Via le site Aboneo.com, Eric Ceillier propose depuis 2007 à ses clients de se faire livrer tous les deux mois à domicile leur crème, produits dentaires et autres nécessaires de salle de bains, sans avoir besoin d’y penser. Un abonnement pour ne plus jamais se retrouver sans dentifrice le matin.

«J’ai eu cette idée en me rasant, parce qu’il me manquait toujours des lames de rasoir et que cela m’énervait, raconte Eric Ceillier. Et puis j’ai vu un reportage sur la société suisse Blacksocks, qui propose un abonnement sur internet pour des chaussettes. La réussite de cette entreprise m’a incité à tenter ma chance.»

En 2007, Eric Cellier lance le site Aboneo.com. En 2010, l’entreprise franchit une nouvelle étape en rejoignant la partie Shop du site Ricardo. «Le principal avantage est que cela m’apporte de nouveaux clients qui n’auraient pas eu l’idée de venir sur mon site. Par ailleurs, je touche désormais des clients alémaniques que je n’avais pas avant. Mais ce service à un prix. Sur des produits comme les miens qui ont une faible marge, c’est assez difficile. Mais je ne le fais pas pour augmenter ma rentabilité. Je cherche surtout à augmenter mes ventes. Pour moi c’est un investissement.»

Actuellement, les ventes réalisées sur Ricardo représentent 5% du chiffre d’affaires d’Aboneo. «Cela progresse assez vite, se félicite l’entrepreneur. Il est d’ailleurs possible qu’un certain nombre de client aient découvert Aboneo via Ricardo, puis qu’ils aient passé leur commande directement sur mon site.» Une perspective qui réjouit Eric Ceillier: «C’est un partenariat plein de promesses.»
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«Certains produits ne se vendent que sur Ricardo»

Tristan Barras, directeur de NextWay.ch, commercialise également ses produits sur Ricardo. Mais les ventes peinent à démarrer.

Connue pour avoir été parmi les premières à commercialiser iPhone et iPad en Suisse, la société NextWay.ch s’est spécialisée dans la vente des produits Apple. «Depuis 2006, je commercialise ces produits sur notre site Internet, raconte Tristan Barras, fondateur et directeur de l’entreprise basée en Valais. Et depuis juin 2010, j’ai rejoint la partie shop de Ricardo. Ce sont eux qui m’ont contacté. Au départ, à vrai dire, j’étais assez réticent à cette idée et puis, finalement, j’ai fini par accepter pour voir ce que cela pouvait donner.»

Un an plus tard, l’entrepreneur tire un «bilan plutôt positif» de ce partenariat. «Cela nous apporté de la visibilité et plusieurs milliers de clients au total. Mais les ventes restent limitées et représentent environ 3% de notre chiffre d’affaires. Un supplément non négligeable mais pas essentiel au fonctionnement de mon entreprise. Sur le site NexWay.ch, j’enregistre entre 150 et 200 commandes par jour, contre seulement cinq à six via Ricardo. Mais c’est toujours ça de pris, note Tristan Barras. D’autant que 80% des personnes qui achètent chez nous via Ricardo, passent directement par notre site pour leurs achats suivants.» Côté désagrément, Tristan Barras regrette le back office peu performant de l’entreprise de Zoug. «Au départ, cela nous faisait perdre beaucoup de temps.»

Etonnamment, les produits commandés via Ricardo sont très différents des commandes enregistrées directement sur le site. «Nous n’arrivons pas à expliquer pourquoi mais certains produits, comme certaines housses pour iPhone ne se vendent que sur Ricardo. De manière générale, j’ai l’impression que les clients de Ricardo recherchent avant tout les prix bas et les actions. Le panier moyen y est largement moindre que sur notre site.»
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«C’est un pari d’avenir»

Si les ventes via Ricardo sont plus faibles que prévues, Damien Romanens, directeur de Plantes.ch, croit au développement de ce mode de distribution.

Le site de jardinerie lancé par Damien Romanens est la première occurrence du moteur de recherche de Google. L’entreprise commercialise tous les articles nécessaires aux jardins, des semences aux arbres, en passant par les plantes, arbustes, pelles et ustensiles techniques et balançoires pour enfants…

«J’ai lancé Plantes.ch en 2004, raconte Damien Romanens, fils d’un paysan de Sorens (FR). Au départ, j’étais tout seul et désormais j’emploie une dizaine de collaborateurs selon les saisons. Assez vite, j’ai mis certains de mes articles en vente sur Ricardo, généralement à prix fixe. Cela marchait assez bien, parce qu’il y énormément de monde qui consulte ce site.»

C’est donc tout naturellement que Damien Romanens a rejoint la zone shop de la plateforme de ventes aux enchères il y a un an. «En principe, mes clients achètent majoritairement des plantes, mais sur Ricardo je n’en vends quasiment pas! Les gens y préfèrent des articles techniques. Peut-être ont-ils peurs d’acheter des végétaux sur Ricardo?»

Quoiqu’il en soit, Damien Romanens est satisfait de ce partenariat avec la plateforme zougoise: «Ricardo amène beaucoup de passages sur mon site. Mais la plateforme est surtout connue pour ses ventes aux enchères et la partie shop marche moins bien. Actuellement cela représente 5% de mon chiffre d’affaires, donc cela ne dynamise pas les ventes de manière spectaculaire mais elles sont en croissance: chaque mois, j’enregistre davantage de commandes en provenance de Ricardo. Cela prend un peu plus de temps que prévu. Quand les gens vont bien connaître le système, je pense que cela va s’envoler. C’est un pari d’avenir.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.