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Ces gens qui toussent au concert…

Pourquoi tant de raclements de gorge viennent-ils gâcher un sublime solo? Les théories varient. Un baryton américain propose une explication originale.

Les salles de concert comptent des assassins qui tuent le plaisir de leurs voisins sans jamais être condamnés. Le hooliganisme musical sévit en toute impunité.

«Une personne qui tousse au mauvais moment peut ruiner le plaisir de deux mille autres», constate le jeune et talentueux pianiste David Fray qui admet toutefois qu’il doit accepter que «nous ne jouons pas totalement sous une cloche de verre».

Les spécialistes de la «restauration sonore» sont là pour faire disparaître ces bruits intempestifs des enregistrements, grâce à des logiciels capables d’effectuer une réparation spectrale sur une partie du son, d’isoler la toux, le bruit de chaise ou de la ventilation.

La tolérance des artistes aux agressions acoustiques diffère. L’histoire retiendra ce concert donné par Alfred Brendel, à Bruxelles, devant un public particulièrement catarrheux. Le pianiste autrichien s’est arrêté, a regardé le public et prononcé cette phrase: «Je vous entends, mais je ne suis pas sûr que vous, vous m’entendiez.»

Stupéfaite, la salle est alors devenue muette, permettant à cette légende du clavier de réaliser son «rêve de bonheur»: «jouer devant un public qui ne tousse pas».

En 2006, c’est Keith Jarrett, à la Salle Pleyel qui s’interrompt en pleine improvisation et prend la parole: «Certains disent que je suis intolérant. Eh bien ce n’est pas vrai. Je vous accorde une toux par morceau!» N’obtenant pas le résultat escompté, sa prestation se muera en «concerto pour piano et toux».

Le silence est un écrin nécessaire au développement de la musique, non seulement pour le bien de l’œuvre, mais aussi pour celui des auditeurs. Les perturbations sonores irritent les mélomanes qui s’interrogent: pourquoi la moitié de la salle est-elle obligée de se racler la gorge et de tousser bruyamment entre deux mouvements d’une symphonie?

Pourquoi lâcher une affreuse quinte de toux durant le solo de violoncelle? Pourquoi les gens se sentent-ils obligés de tousser à ce point? Sont-ils grippés? Faut-il distribuer des pastilles à l’entrée?

Le baryton américain Thomas Hampson, qui a subi durant plus de trente ans de carrière de multiples accès de toux de la part de ses auditeurs, a longuement réfléchi à ces questions. Il en parlé à la revue Zeitmagazin (no 14).

Sa première observation: on entend rarement tousser dans la rue, dans un restaurant ou au cinéma, alors que les salles de concert semblent être remplies de malades pulmonaires.

Voici la description d’un de ces épisodes. Lorsqu’il chante, les yeux fermés, une strophe du «Voyage hivernal» de Franz Schubert («Am Brunnen vor des Tore, Da steht ein Lindenbaum, Ich träumt’ in seinen Schatten, So manchen süssen Traum»), c’est alors que, quelque part, au quatrième rang, on entend un «hrr-hmm» étouffé dans la paume des mains.

Puis, quelques phrases plus loin, au rang 36, un homme à barbichette: «Ahem! Ahem!» Plus tard encore, au premier rang, une femme avec un profond décolleté exprime sur un mode molto allegro con espressione: «haaa-tschi!»

Thomas Hampson assimile les différentes toux à la partition d’une symphonie écrite par le célèbre pneumologue allemand Karl Ludwig Radenbach. Cinq mouvements et autant de types de toux la compose: le toussotement libérateur (staccato forte), la toux explosive (sforzando forte), la toux de l’abonné (tenuto mezzoforte), le raclement contagieux (martellato subito) et le grand étranglement (fermata, crescendo, staccato, echo).

Une typologie non seulement verbale mais picturale; le musicien ayant caricaturé ses propos.

«Lorsque la musique est forte, on tousse très peu alors que cela ne dérangerait pas, relève-t-il. Qu’elle devienne plus douce et ça démarre: hrr-hmm!»

Ainsi, on tousse beaucoup sur du Debussy, peu sur du Tchaïkovski. Son explication: «Les hommes éprouvent un besoin social de chanter en chœur, comme les oiseaux. Ainsi, leurs cordes vocales sont-elles sans arrêt sous tension et se détendent précisément après un moment fort pour donner à entendre un toussotement libérateur.»

La «toux explosive» est généralement le fait de personnes âgées. Celle «de l’abonné» intervient entre deux mouvements comme si ces pauses musicales étaient des aires de repos sur une autoroute.

Quant au «raclement contagieux», sa dénomination l’indique, il peut se propager rapidement, à l’image d’un thème joué par le violon puis repris par la clarinette…

Enfin, le «grand étranglement» est lâché par des personnes ayant tenté, par politesse, de retenir jusqu’aux larmes une quinte de toux qui finit par éclater. Que de raisons de tousser…

Mais comment se fait-il donc qu’au Japon on ne tousse pas pendant un concert?