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Une révolution économique

En lançant en 1995 son système d’enchères sur internet, la société eBay a initié rien de moins qu’une révolution commerciale. Cinq ans plus tard, c’est tout l’establishment économique qui se met à trembler.

Le principe d’eBay est archisimple. Vous envoyez une description de votre vieille lampe au site eBay.com, sans oublier de fixer un prix plancher. Les internautes intéressés vont faire monter les enchères et vous vendrez la lampe au plus offrant.

La compagnie basée à San Jose (Californie) a ainsi établi des liens entre des collectionneurs de lampes qui se croyaient seuls au monde. Et, plus globalement, entre huit millions de personnes qui utilisent aujourd’hui son site. L’an dernier, les ventes d’eBay ont atteint 6,75 milliards de francs suisses.

A chaque transaction, la compagnie encaisse une commission de 6%, ce qui lui a permis de devenir l’une des rares entreprises bénéficiaires de l’industrie du Net. Elle pèse aujourd’hui 60 milliards de francs. C’est davantage que le géant bancaire Merrill Lynch.

L’envolée du titre eBay a déjà rapporté quelques milliards de dollars au fondateur du site, Pierre Omidyar, un trentenaire pétri d’idéaux égalitaires. Dans chaque interview, il insiste sur le caractère démocratique et libertaire du projet. Son objectif est de créer une plateforme où tout le monde aurait accès aux mêmes possibilités d’acheter ou de vendre.

La genèse de eBay remonte à 1995. L’amie de Pierre Omidyar, collectionneuse de distributeurs de bonbons Pez, se plaint de ne pas trouver d’autres adeptes de ces figurines, ce qui l’empêche de compléter sa collection. Omidyar pense alors à internet pour résoudre le problème. Le site eBay est né.

Ce qui différencie eBay des autres sites commerciaux, c’est le Feedback Forum, un espace où vendeurs et acheteurs commentent leurs transactions. Les nouveaux venus peuvent ainsi vérifier le sérieux des propositions ou la solvabilité des clients. Dans les faits, cet échange crée aussi des communautés d’intérêt, des liens personnels, ou plus si entente.

Le magazineTime rapporte ainsi l’histoire de Don Milbranth, ingénieur retraité de l’Indiana qui avait mis aux enchères un livre de poche sur les coffrets miniatures, sa passion. Un jour, il apprend que le livre a été vendu en Alaska pour dix francs, frais de port compris. Après avoir échangé quelque 200 e-mails avec l’acheteuse, une certaine Mary Ellen, il prend l’avion pour aller la rencontrer.

Don et Mary Ellen se sont mariés trois mois plus tard. Ils sont partis en voyage de noces au frais d’eBay, qui tient là une splendide opération de relations publiques.

Aux Etats-Unis, eBay a révélé une nation de collectionneurs. Couverture de boîtes d’allumettes, chaudrons de sorcière en fonte, pompes à graisse pour pneumatiques datant des années 20, tout est négociable.

Mais eBay n’est pas seulement un formidable réservoir d’anecdotes. C’est une révolution économique. L’enchère en ligne, qui permet de mettre n’importe quel article sur le marché mondial, redéfinit les lois du commerce en supprimant les intermédiaires. La prolifération de sites conçus selon ce principe ébranle les entreprises traditionelles.

Il existe un site pour les microscopes de seconde main (going-going-sold.com), un autre où les avocats offrent leurs services au tarif le plus bas possible pour un dépôt de patente (elance.com), un autre encore où les internautes proposent leur prix pour acheter un billet à destination de Hawaii (priceline.com). Sans oublier les cuisinières neuves (ubid.com), les objets qui ont appartenu aux stars de cinéma (auction.newline.com) ou les lots destinés à des oeuvres de charité (webcharity.com).

Les poids lourds du Net – la librairie Amazon.com ou le portail Yahoo – ont vite compris l’intérêt du système et proposent désormais eux aussi des enchères. En septembre dernier, Microsoft, Dell Computer et une centaine d’autres compagnies ont relié leurs sites et leurs 46 millions d’utilisateurs pour créer un consortium dans le même objectif.

Du côté des entreprises traditionnelles, le principe se généralise également. Ironmall.com vend au plus offrant du matériel de construction. D’autres se spécialisent dans la vente de peinture au latex ou de centrifugeuses.

Dans une bouffée d’exaltation libérale, le magazine Time reconnaît là la fameuse «main invisible du marché» d’Adam Smith. Sur internet, le vendeur sait que le prix ne sera pas trop bas puisqu’il a théoriquement accès à tous les acquéreurs potentiels. De son côté, l’acheteur a le choix entre tous les vendeurs de la planète, ce qui lui garantit un prix correct. C’est en cela que la mise aux enchères en ligne redéfinit les notions même de prix et de valeur.

Après cinq ans de croissance exponentielle, Pierre Omidyar vient de céder sa place de directeur de eBay à Meg Whitmann pour aller s’installer à Paris, la ville où il a vécu jusqu’à l’âge de six ans. Il y travaille actuellement à l’expansion de eBay en Europe.

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Mary Vacharidis, journaliste, vit à Zurich. Elle travaille pour la Télévision suisse romande et collabore régulièrement à Largeur.com