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Oui aux quotas féminins: au forceps!

Tout annonçait pour les votations du 12 mars une torpeur et un désintérêt dignes du bonheur suisse. Pas de campagne électorale, peu ou pas de pub (je n’ai pas encore vu d’affiches), pas de tracts dans les boîtes aux lettres, le désert. Seuls les médias font leur travail d’information, comme si le quatrième pouvoir devait à lui seul dynamiser tous les autres.

Mais depuis quelques jours, un frémissement est perceptible et un embryon de débat prend forme autour de la question des quotas féminins. Essayez de lancer le sujet dans une conversation entre amiEs, vous verrez des passions latentes (et souvent surprenantes ou contradictoires) surgir du tréfonds de consciences malmenées par la permanence de l’iniquité qui frappe toujours les femmes dans notre société.

C’est bien sûr à dessein que je viens d’utiliser l’horrible néologisme égalitariste «amiEs». Engendrée par le féminisme radical, cette manière de marquer politiquement la bisexualité humaine et, surtout, l’existence d’un sexe qualifié de «faible» depuis deux mille ans de civilisation judéo-chrétienne n’a pas vraiment pris chez nous.

Comme esthète attaché à une certaine tenue de la langue, je m’en réjouis, mais comme citoyen honteux du sort réservé aux femmes, je dois avouer que chaque fois que je me heurte à cette orthographe agressive, mon haut-le-cœur me rappelle avec raison que la question féminine n’a pas encore trouvé de solution. Et que seules la provocation, la violence et la force parviendront à la résoudre. Le forceps est un instrument réservé aux femmes. C’est au forceps, rien qu’au forceps, qu’elles parviendront à se faire respecter.

La loi des quotas est un de ces forceps. Je viens de relire la documentation officielle distribuée par la chancellerie fédérale. Tout, dans les explications du Conseil fédéral, respire la mauvaise foi du machisme ordinaire. Après avoir reconnu l’évidence, à savoir que les femmes sont sous-représentées en politique, le gouvernement prétend que l’initiative aurait des conséquences inacceptables car les quotas porteraient atteinte au libre choix des électeurs et fausserait l’égalité de traitement entre les candidats.

Pourquoi? Comment? Cela n’est pas précisé. J’ai beau chercher, je ne vois pas en quoi une liste formée pour moitié de femmes limiterait ma liberté. Je ne vois pas non plus en quoi le fait qu’un homme disposant par exemple de 30’000 voix doive se retirer pour laisser une place à une femme qui n’en aurait que 10’000 limiterait mon choix théorique.

De toute manière, pour le Conseil des Etats, je ne dispose que de deux suffrages. Or la valeur absolue de ces deux suffrages, puisque je vote dans un grand canton (Vaud), est déjà largement inférieure à celle des votants des petits cantons.

Le Conseil fédéral signale ensuite que la Suisse serait le seul pays d’Europe à présenter une telle contrainte. Cela semble le gêner. Il ne paraît pourtant pas dérangé outre mesure par le fait que la Suisse soit le seul pays en plein cœur de l’Europe à prétendre ne pas être en Europe. Pour ma part, je serais plutôt fier que la Suisse se montre en exemple dans un domaine qui ne soit ni celui du blanchiment d’argent, ni celui du secret bancaire, ni celui de l’évasion fiscale.

Pour finir, le gouvernement montre qu’il est majoritairement masculin en recourant à une mauvaise foi patente: «L’initiative vise un but légitime, mais la question de la représentation des femmes ne saurait se limiter à des mesures telles que la fixation de quotas. C’est un problème de société qui demande des mesures plus en profondeur.»

D’accord sur l’ampleur du problème de société, d’accord sur les mesures en profondeur. Mais Messieurs Villiger, Ogi, Leuenberger, Couchepin et Deiss, quelles mesures préconisez-vous? Quelle est la profondeur qu’il faut atteindre pour mériter votre bienveillante attention?

En attendant d’en savoir plus, je me ferais un plaisir de voter pour l’initiative tout en étant profondément convaincu que ce problème de société ne saurait se limiter à un texte aussi bassement et vulgairement quantitatif.

La Suisse n’est pas le seul pays où les hommes – dans le sens de mecs, pas d’êtres humains – s’attachent à leurs prérogatives. Mais il n’y a qu’en Suisse que les citoyenNEs peuvent se prononcer sur de tels sujets. Alors profitons-en et montrons l’exemple!

Moralement, le geste serait beau. Politiquement, le risque est nul. On l’a constaté après les durs combats pour le suffrage féminin dans les années 1950 et 60, la femme, dans nos contrées, est aussi réac que l’homme. Preuve supplémentaire de la nécessité de reconnaître dans les institutions une égalité qui existe dans la pensée.