Saisir le dioxyde de carbone et l’injecter dans le sous-sol représente une des options prometteuses pour réduire les émissions dans l’atmosphère. Le procédé est à l’étude en Suisse, mais il reste coûteux et controversé.
La capture de dioxyde de carbone (CO2) règlerait une partie des problèmes climatiques. Des chercheurs tentent donc de développer des technologies allant dans cette direction. S’il est illusoire de capturer le CO2 dans l’air, en raison de sa faible concentration, il est possible de le faire directement à la sortie des installations industrielles de combustion et de le séquestrer en profondeur. Une solution efficace, lorsque l’on sait que les sources d’émission du CO2 proviennent à environ 60% de la production électrique (charbon, gaz naturel, pétrole), d’industries comme la production de fer, d’acier, de ciment, ainsi que de la pétrochimie.
Actuellement, plusieurs techniques de capture de CO2 sont fonctionnelles. Les recherches consistent surtout à les rendre moins coûteuses, pour qu’elles soient réalisables à grande échelle.
Trois techniques et trois étapes pour la capture
Il existe actuellement trois techniques fonctionnelles de capture du CO2. La première est celle de la postcombustion: il s’agit d’extraire le CO2 présent dans les fumées de combustion et de le séparer des autres constituants (vapeur d’eau, azote, etc.) à l’aide d’un solvant. L’avantage de cette technique est qu’elle peut être assez facilement intégrée aux structures déjà en place.
La seconde technique, l’oxycombustion, consiste à forcer le procédé de combustion à produire des fumées fortement enrichies en CO2. Elle intervient directement dans le mode de combustion, en remplaçant l’air par de l’oxygène. Les fumées obtenues sont alors concentrées jusqu’à 90% en CO2. L’opération de séparation de l’oxygène de l’air est cependant très coûteuse. Cette technique peut s’intégrer uniquement sur de nouvelles installations.
La troisième technique est la captation du CO2 en précombustion. Le combustible est converti à l’entrée en gaz de synthèse (un mélange de monoxyde de carbone, CO, de dihydrogène, H2, et d’eau). Le CO réagit alors avec l’eau pour former du CO2 et du dihydrogène complémentaire qui sont, ensuite, séparés.
Une fois le CO2 isolé, il doit être acheminé vers son lieu de stockage. Le transport se fait essentiellement par canalisation sous haute pression. Environ 3000 km de pipeline de CO2 existent à travers le monde, la majorité aux Etats-Unis. Sur de longues distances, il peut également être transporté par bateaux, en phase liquide. Le transport par camion ou voies ferroviaires est possible, mais très onéreux.
Pour finir, l’étape de la séquestration géologique consiste à injecter le CO2 dans le sous-sol. Elle peut être faite dans trois milieux: les gisements de pétrole et de gaz en voie d’épuisement, les aquifères salins profonds et les veines de charbon non exploitées. «Cette méthode est loin d’être nouvelle, explique Eric Davaud, géologue et professeur à l’Université de Genève. Depuis une quarantaine d’année, les compagnies pétrolières réinjectent fréquemment le CO2 dans les réservoirs de pétrole pour chasser les hydrocarbures et diminuer leur viscosité. Ce procédé se nomme la récupération assistée.»
Si la séquestration du CO2 fait encore l’objet d’études approfondies sur les réactions entre les roches et le CO2 pour s’assurer des possibilités de stockage à long terme, les industriels l’ont déjà rendue opérationnelle sur plusieurs sites dans le monde. C’est le cas notamment en Norvège, au Canada, en Algérie, et aux Etats-Unis. «L’avantage des gisements de pétrole est qu’ils sont étanches et que le procédé est déjà connu, ajoute Eric Davaud. Les aquifères salins profonds sont très largement répartis et représentent un potentiel de stockage considérable mais ils sont nettement moins bien étudiés. Quant aux veines de charbon, elles peuvent représenter un intérêt économique puisqu’elles permettent également la récupération du méthane.»
Du CO2 stocké en Suisse
En Suisse également, la capture du CO2 est à l’étude. Le projet CARMA (Carbon management in power generation), mené par une équipe de scientifiques issus des universités et des écoles polytechniques, étudie depuis 2009 les possibilités de stockage de CO2 sur le sol suisse. Il travaille aussi sur de nouvelles technologies plus efficaces et moins onéreuses, ainsi que sur les questions d’acceptabilité sociale et politiques. La société Petrosvibri mène un forage à Noville (VD) à la recherche d’hydrocarbures sous le lac Léman. Elle a passé un accord avec l’EPFL pour financer une nouvelle chaire de géologie dont le but est d’étudier la séquestration de CO2. Ce site sera donc le premier en Suisse. «Cette méthode a un avenir prometteur, explique Lyesse Laloui, professeur de géo-ingénierie à l’EPFL. Il s’agit de techniques que l’on maîtrise déjà lorsqu’on extrait du gaz naturel. Nous pouvons donc faire l’inverse et injecter du CO2. Financièrement par contre, pour l’appliquer à grande échelle, cela nécessite une forte volonté politique, puisque ce n’est pas rentable.»
Au-delà des aspects financiers, d’autres questions doivent être résolues comme celle de la responsabilité juridique. Du côté des associations environnementales, on reste sceptique: «Il s’agit d’un oreiller de paresse, considère Nicolas de Roten, porte-parole de Greenpeace suisse. Cette technique ne répond pas à l’urgence environnementale et elle est trop énergivore. Nous avons bien plus à gagner en développant l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Chaque franc dépensé dans cette recherche représente de l’argent perdu pour d’autres mesures qui s’attaquent au cœur du problème.» Parmi les mesures visant à réduire les émissions de CO2 d’ici à 2050, l’agence internationale de l’énergie estime néanmoins que 20% pourrait provenir de la capture.
