A qui appartenez-vous? A votre famille, à ceux qui vous aiment, à vous même? N’avez-vous pas l’impression d’être parfois victime de votre image? A ces questions monumentales qui travaillent à peu près tout le monde, un drôle de film de synthèse apporte de drôles de réponses.
Pour les comprendre, il faut d’abord accepter un postulat très américain qu’on pourrait résumer par un nom de magasin: «Toys R Us». Autrement dit: les jouets, c’est nous. Les jouets sont dotés de conscience, ils ressentent des émotions et font preuve d’esprit. Admettons, et jouons le jeu.
A partir de là, il suffit de se laisser entraîner dans la dernière production du studio Pixar pour s’impregner d’une vision existentielle qui pourrait servir de modèle, rien de moins, aux interrogations de l’enfant du XXIe siècle. Les questions du clonage, des familles recomposées et de la nouvelle citoyenneté y sont traitées avec beaucoup d’ingéniosité.
«Toy Story 2» raconte les angoisses de Woody, un cow-boy de chiffon qui redoute d’être abandonné par Andy, l’enfant auquel il appartient. Du haut de ses dix centimètres, la créature sait bien que son propriétaire va grandir, perdre son innocence et entrer de plein pied dans le monde des adultes. Et comme Woody est très sentimental, il s’inquiète. Va-t-il finir ses jours au grenier?
Dans la famille d’Andy, tous les jouets s’animent dès que les humains ont tourné le dos: ils observent le monde, ils parlent entre eux et tentent d’intervenir sur le cours des événements. Ils forment une communauté solidaire et goguenarde jusqu’au jour où Woody est volé par un méchant collectionneur de figurines des années 60.
Buzz, le robot électronique, va alors emmener ses compagnons de plastique dans une expédition de secours. Leur opération «Sauvez Woody» donnera lieu à une suite de scènes de bravoure largement inspirés de films à succès.
De «Jurassic Park» (le dinosaure dans le rétroviseur) à «Star Wars» (l’ennemi est le père) en passant par «Robocop» (l’arrestation technologique) et «James Bond contre Dr No» (le chapeau-frisbee), les spectateurs assistent à des pastiches hilarants qui font de «Toy Story 2» un formidable jeu de piste référentiel.
L’ensemble du film de John Lasseter baigne d’ailleurs dans une culture pop où chaque personnage tente de trouver sa place, comme dans un jeu vidéo. Kidnappé par l’infâme collectionneur de jouets, le cow-boy Woody découvre ainsi sa propre origine: il est le produit dérivé d’une vieille fiction TV.
Après le plaisir narcissique de se voir à l’écran, il est vite pris d’un vertige existentiel: il n’existe pas par lui même. Il n’est qu’une figurine inspirée d’un film de marionnettes des années soixante!
Son ami Buzz le robot fera une expérience similaire quand il s’apercevra qu’un rayon entier de supermarché est rempli de créatures à son effigie: il n’est qu’un numéro de série, un clone parmi d’autres.
Confronté à l’un de ses jumeaux, Buzz remarque avec soulagement qu’ils n’ont pas le même caractère. Les similitudes se limitent à l’apparence, l’identité est donc culturelle. Mieux encore: les clones sont suffisamment différents pour entrer en conflit. Seule la petite brebis à deux têtes qui apparaît au détour d’une scène semble avoir eu moins de chance au chapitre OGM…
De son côté, Woody découvre dans le repaire du collectionneur l’existence d’une famille dont il ignorait tout: un cheval, une jolie cow-girl et un chercheur d’or, jouets issus comme lui du feuilleton TV. D’abord méfiant, il apprend progressivement à aimer cette famille originelle. Mais il s’interroge: est-ce que j’appartiens à Andy, à la communauté des jouets d’Andy ou à cette série de produits dérivés western?
Les enfants qui vivent dans des familles recomposées parviendront sans peine à s’identifier au dilemme du cow-boy, qui devient déchirant quand ce dernier apprend qu’il devra choisir: le collectionneur veut vendre les quatre figurines à un musée japonais de la nostalgie télévisuelle. Woody doit-il partir avec eux ou retourner auprès d’Andy? Et que se passera-t-il quand Andy aura grandi? L’angoisse du grenier réapparaît dans le témoignage de sa congénère, la cow-girl de chiffon, abandonnée par une fillette devenue adulte.
N’écoutant que son cœur, Woody trouvera une solution originale pour concilier ses trois appartenances. L’angoisse de l’abandon ne sera pas totalement effacée, mais l’épreuve aura permis au cow-boy de trouver son identité.
Ni puéril, ni régressif, le film de John Lasseter s’adresse aux enfants qui vivent avec et dans les écrans, qui se confrontent aux créatures de jeux vidéo et dont la famille n’a rien de nucléaire. La subtilité du scénario leur ouvre des champs de réflexion très stimulantes: c’est la grande qualité de ce film de synthèse, aussi contemporain et réel que l’est Dolly la brebis.