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La mode Pantone sur tous les tons

large221110.jpgRépertoriés dans un magasin de décoration multimarque du Marais, à Paris: des mugs, des vélos, des porte-documents, des chaises, des tasses à expresso, des T-shirts et des carnets de note. Point commun de ces objets: ils se déclinent en une multitude de couleurs, dont chacune est signalée par un code de trois ou quatre chiffres. Le code Pantone.

Dans les métiers de la pub et du design, tout le monde connaît Pantone, référence absolue dès qu’il s’agit de vérifier que le rouge Coca-Cola est bien le même à Atlanta qu’à Delhi (en l’occurrence, le 485). En ce début de décennie, le grand public s’entiche à son tour du coloriste américain par l’intermédiaire de ces produits dérivés.

A l’image des 2000 variations du nuancier, la liste des objets labellisés Pantone paraît inépuisable, depuis les déclinaisons les plus évidentes, comme la peinture, jusqu’aux plus inattendues, tels des… mariages. Grâce au planificateur de réceptions anglais Dessy qui a lancé cette année un partenariat avec Pantone, des couples peuvent en effet commander leur cérémonie en une seule teinte, des robes des demoiselles d’honneur jusqu’aux serviettes du dîner.

Mais le summum de cette stratégie de diversification est, sans aucun doute, l’hôtel Pantone installé à Bruxelles. «L’idée en revient au designer belge Michel Penneman qui s’est associé aux promoteurs anglais Avi et Ilan Haim», explique Cynthia Legrand, manager de l’hôtel. La marque Pantone a vendu son nom et ses couleurs à l’établissement dont chacun des sept étages se décline dans un code du nuancier. «Dans les chambres, on trouve également un tirage photographique d’un détail d’un monument bruxellois avec son analyse colorimétrique», explique Cynthia Legrand. Depuis son ouverture en avril, l’hôtel de 59 chambres est bondé d’hommes d’affaires et de jeunes bourgeois fous de design.

Ce brand stretching, pour parler le langage du marketing, c’està-dire cette démultiplication d’un univers, fonctionne dans tous les domaines sur le même principe que l’hôtel. Pantone vend sous licence son nom et ses couleurs. Une stratégie sans risque de dévalorisation. «S’ils associent leur nom à des objets peu recommandables, ou que l’effet de mode s’estompe, on rigolera, mais leurs nuanciers resteront malgré tout la référence, car en termes de qualité et de constance, c’est un travail de grande précision», juge Jérôme Baratelli, directeur de la section communication visuelle à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD) de Genève.

Depuis sa fondation en 1956, Pantone a fait le vide autour de lui. Les concurrents, à l’image de l’allemand RAL, se sont repliés dans d’autres domaines comme les nuanciers de peinture en bâtiment. «Dans les arts graphiques, Pantone est un langage universel», confirme le professeur. Une réussite liée à l’invention par Lawrence Herbert, son patron historique, du Pantone Matching System en 1963. Le PMS remplace la quadrichromie par une base de dix couleurs primaires, permettant la création de nuances plus fines. C’est au début des années 2000 que Pantone s’est rapproché du design et de la décoration, sous l’égide de l’héritière Lisa Herbert.

Jérôme Baratelli voit dans la réussite des objets dérivés de l’entreprise, devenue marque, la popularité de l’esthétique du design suisse: «Ils ont travaillé à partir de ces petits carrés de couleur pure qui sont proches de l’école zurichoise des années 50 et de l’art concret international, séduisant un public qui répond à cette rigueur, à cette application presque millimétrique de la gamme chromatique.»
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Un monopole sur la couleur

Les références du célèbre nuancier sont soumises à des droits de propriété intellectuelle et ne sont donc pas libres d’utilisation. Le Neuchâtelois David Maurer et sa société Colorix luttent contre ce monopole de Pantone. Il a développé un accessoire associé à une application pour iPhone et iPad permettant de traduire les teintes d’une photo prise avec le téléphone portable en codes couleurs, notamment ceux de Pantone. «Pantone a été racheté par X-Rite en 2007, une société de colorimétrie qui a lancé un appareil concurrent du nôtre. Ils ont cherché à nous interdire d’utiliser leur nuancier. Mais notre avocat estime que nous avons le droit de nous servir des codes qui sont une norme internationale.»
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.