KAPITAL

Victorinox met les habits de survie

D’un banal fabricant de couteaux suisses, l’entreprise schwytzoise s’est transformée en marque diversifiée proposant de la bagagerie, des montres et des parfums. Elle souhaite désormais s’imposer dans la mode.

C’est fou les objets que l’on peut associer à l’armée suisse. Des couteaux, bien sûr. Mais aussi des montres, de la bagagerie, des vêtements et même des parfums. Des fragrances qui sont peut-être le secret d’Ueli Maurer pour que ses troupes fassent «bander les femmes de ce pays», ainsi qu’il l’appelle de ses vœux.

On se fait cette réflexion en pénétrant dans le flagship store de Victorinox dans les Rues-Basses de Genève. Le dépositaire de la marque Swiss Army est installé dans un vaste espace naguère aux couleurs de Marks & Spencer. Au rez-de chaussée et à l’étage de cette «boutique emblème» (pour parler français), pas d’alignées de canifs pour touristes, qui sont renvoyés au sous-sol, mais des vêtements: anoraks rembourrés, parkas, pulls en laine ou combinaisons de trekking marquées d’un logo rétro. Du milieu de gamme technique, sportif et… rigide comme un caporal.

Depuis près de dix ans, Victorinox suit avec zèle une stratégie de diversification. Après les attentats du 11 Septembre et l’interdiction des couteaux dans les avions, les ventes de multilames avaient brusquement chuté de 30%. La firme d’Ibach (SZ), toujours aux mains des fondateurs, la famille Elsener, devait se réinventer pour ne pas mourir. Elle l’a fait avec un relatif succès, même si son chiffre d’affaires continue à baisser, étant passé de 500 à 450 millions de francs entre 2007 et 2009.

«Aujourd’hui, les couteaux ne représentent plus que 40% de nos ventes», affirme Hans Schorno, porte-parole de l’entreprise. Les montres (25%), les outils de jardinage (15%), la bagagerie (10%) et la mode (5%), sont devenus des secteurs importants qui limitent l’érosion du chiffre d’affaires, plus marquée du côté des couteaux. Victorinox compte trouver son salut dans le secteur vestimentaire, ainsi que le montre la place de choix qu’elle lui offre dans ses magasins.

«Nous espérons que l’habillement devienne notre seconde plus importante catégorie de produits d’ici à dix ans», affirme Joachim Beer, président de la division mode de Victorinox, dont les bureaux sont basés à New York. Pour y parvenir, la marque schwytzoise va ouvrir un nouveau flagship store à Düsseldorf et quatre boutiques plus petites en nom propre aux Etats-Unis, en Europe et en Asie en 2011, avant de s’étendre au rythme de dix nouveaux espaces de vente par an sur ces trois continents.

Elle a par contre renoncé à séduire les milieux branchés. Après deux collections avec le designer français Pierre-Henri Mattout, qui avait fait défiler Victorinox sur les podiums de la Fashion Week de New York, la marque s’est séparée du directeur artistique: «En dépit de ses qualités de créateur, M. Mattout n’était pas capable de s’ajuster aux valeurs de Victorinox et de les traduire en des produits innovants pour notre public cible», explique Joachim Beer.

Pedro Simko, président de l’agence de publicité Saatchi & Saatchi Suisse va dans le même sens: «Victorinox a une très grande crédibilité dans la technique, des prix raisonnables et une haute qualité. Si elle veut se diversifier avec succès dans la mode, elle doit capitaliser sur ces valeurs.» Avant de tempérer: «J’ai l’impression d’avoir vu les vêtements de Victorinox partout ailleurs. Je ne saisis pas le lien avec leur slogan: “Inspired by the original swiss army knife. » Certaines marques ont des limitations naturelles au-delà desquelles il est difficile d’aller.» Reste donc peut-être encore à la marque à trouver le bon créneau entre design innovant et valeurs intrinsèques.
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.