La société Quantis tient compte de nouveaux paramètres pour calculer de manière beaucoup plus cohérente l’impact sur l’environnement des entreprises ou des pays. Rencontre avec Sébastien Humbert, son cofondateur.
«Le raccourci publicitaire consistant à se croire écologique si l’on émet moins de carbone est dangereux, estime Sébastien Humbert, directeur scientifique de Quantis, une spin-off de l’EPFL. Cela permet à des entreprises de se défausser en ne communiquant pas sur les autres impacts de leurs activités, par exemple la disparition des poissons par la pollution de l’eau.»
A 31 ans, le Lausannois Sébastien Humbert est l’un des spécialistes mondiaux des menaces liées à la consommation d’eau. Et selon lui, ce paramètre est aussi essentiel que le CO2 pour analyser les travers écologiques d’une société. «Pendant trop longtemps, on s’est concentré uniquement sur le carbone pour le calcul de l’empreinte écologique d’une entreprise. Or tout dépend du secteur traité. Dans les transports routiers, par exemple, le carbone est un indicateur fiable. Mais il sera incomplet pour une évaluation d’impact dans l’agriculture ou l’énergie nucléaire.» Sébastien Humbert se définit comme un «généraliste de l’écobilan». Sa démarche consiste à intégrer une multitude d’hypothèses dans ses analyses environnementales, qui durent plusieurs semaines à plusieurs mois selon la taille de l’entreprise qui le mandate.
Le réchauffement climatique, la santé humaine ou encore la stabilité des écosystèmes forment un ensemble assez flou d’impacts écologiques. Mais sous ces termes génériques se cachent des enjeux réels pour les entreprises qui font appel aux services de Quantis. Il s’agira par exemple, pour un constructeur automobile, de vanter la supériorité environnementale de ses véhicules sur ceux d’un concurrent. Ou, pour des multinationales suisses, de réduire leur impact négatif sur les cours d’eau de pays en développement.
«En terme d’image, les résultats de nos études peuvent se révéler sensibles. Nos clients préfèrent souvent garder une certaine réserve là-dessus.» Une caution verte qui reste couchée sur papier seulement? «Il arrive que les responsables de la communication simplifient nos analyses. Mais il est rare que nos résultats partent directement dans un tiroir.» Sébastien Humbert souligne un changement d’attitude de la part des entreprises. Encore récemment, elles n’agissaient sur le plan environnemental que par réaction aux innovations d’un concurrent ou sous la pression des consommateurs. Maintenant, de plus en plus de sociétés adoptent un comportement nettement plus proactif en termes d’écologie.
«Les entrepreneurs ne veulent plus investir dans des produits uniquement pour voir leurs efforts ruinés sous la pression des médias et de l’opinion publique.» Afin d’assurer aux entreprises un suivi permanent de leur impact environnemental, Quantis a conçu son logiciel Suite 2.0, qui permet d’intégrer dans l’écobilan global d’une société tout nouveau produit qu’elle développe. Les frais de licence et de maintenance sont variables: de 3’000 francs pour un utilisateur unique jusqu’à des centaines de milliers de francs pour des multinationales.
La liste des paramètres à considérer dans un écobilan pourrait encore s’allonger. «Le prochain critère à explorer est sans conteste celui de la biodiversité, car les ONG battent campagne sur la déforestation. Les entreprises veulent qu’on la quantifie, mais il s’agit d’un exercice bien plus complexe que pour le carbone.» Autre facteur, la santé humaine, qui connaît cependant plus de difficultés à s’imposer. Pour une raison simple: «Aucune entreprise ne veut dire combien de personnes elle infecte par sa production…»
Pour l’heure, Sébastien Humbert se concentre sur le critère de la consommation d’eau. L’expert vient de se voir confier la rédaction d’une norme ISO qui sera finalisée en 2011. Ce standard international permettra par exemple de calculer le nombre de personnes qui tombent malade à cause de pesticides déversés dans l’eau, un phénomène particulièrement nocif dans les pays du Sud. Mais la Suisse est aussi concernée: «Ici, le problème n’est pas humain comme en Afrique ou en Asie. En revanche, toucher au réseau des cours d’eau engendre des conséquences négatives sur la biodiversité du pays.» Une piqûre de rappel salutaire, car personne n’est à l’abri d’un écobilan négatif.
