KAPITAL

Madame Freitag met le turbo

Monika Walser reprend la direction de l’entreprise la plus cool de Suisse qui, entre changement de style et nouvelles boutiques, vit un tournant décisif.

Elle tient son sac multipoche rouge sur l’épaule avec assurance. «C’est l’un des quatorze modèles que Freitag lance cette semaine», affirme-t-elle fièrement. Depuis le début de l’été, l’Argovienne Monika Walser, 45 ans, poignée de main ferme et physique sportif, a repris avec aplomb la direction de la célèbre maison fondée à Zurich par les frères Daniel et Markus Freitag, dont les accessoires en matériaux recyclés connaissent un succès planétaire depuis 1993.

Cette nouvelle collection n’est pas anodine. Après les besaces en bandoulière bigarrées pour jeunes urbains volontiers alternatifs, Freitag veut séduire une clientèle différente, clairement plus traditionnelle et chic, avec des pochettes, sacs à main aussi bien masculins que féminins, plus élégants et de couleur unie. Les frères Freitag, qui avaient la vingtaine au lancement de la marque, ont grandi, leur collection aussi.

Le prix des nouveaux modèles varie entre 140 et 560 francs. Un pari risqué, puisqu’il consiste à développer une esthétique glamour tout en continuant de fabriquer les accessoires en bâches de camions recyclées…

Monika Walser y croit fermement. «En 2010, nous allons fabriquer 250 000 sacs et autres accessoires. D’ici à cinq ans, nous envisageons de doubler ce chiffre et nous sommes persuadés que nous y parviendrons.» Jusqu’à présent, les nouveaux modèles venaient ponctuellement s’ajouter à la panoplie Freitag. Désormais, des collections complètes seront présentées deux fois par année. Les frères Freitag, à qui l’entreprise appartient entièrement, restent les gardiens de l’identité visuelle. Une croissance qui nécessite des adaptations au sein de la société qui emploie aujourd’hui une centaine de personnes. «Nous devons engager du personnel, des designers notamment. Notre site de production va déménager l’an prochain dans un autre quartier zurichois où nous disposerons d’une surface de 5000 m2, le double d’aujourd’hui.»

En dix-sept ans, Freitag s’est imposé en Suisse, mais aussi à l’étranger, avec quelque 300 points de vente à travers le monde. L’arrivée de Monika Walser intervient à un moment clé de l’histoire de la marque. «Freitag s’est construite progressivement et repose sur de très bonnes bases. Ma responsabilité consiste à donner un coup d’accélérateur à l’entreprise pour l’imposer comme le leader mondial des produits durables.» Et comment compte-t-elle y parvenir? «Même nos collaborateurs ne sont pas encore au courant», esquive-telle en souriant.

Née à Aarau dans une famille d’entrepreneurs, Monika Walser a créé en 1995 une société de soutien à la création d’entreprises. Une société, baptisée Waega Group, qu’elle continue de diriger à temps partiel, son mandat de CEO chez Freitag s’élevant contractuellement à 70%. Volontairement sans enfants, avec un mari également à la tête d’une entreprise, elle ne compte pas ses heures. Après des études de communication aux Etats-Unis puis à Lugano, et une formation en management, elle a racheté une société de fabrication de vêtements pour enfants. «En cinq ans, nous sommes passés de trois couturières à trentedeux. Ensuite, je suis devenue responsable de la communication chez l’opérateur de télécommunication Diax, qui a fusionné avec Sunrise.»

Cette passionnée de voile doit sa maîtrise parfaite du français à son séjour chez des sœurs à 14 ans. «Adolescente, je ne tenais pas en place, je voulais tout apprendre et je trouvais l’école bien trop facile. Mes parents ont décidé que je finirais ma scolarité à Châtel-Saint-Denis (FR), en espérant que la langue soit une difficulté suffisante!» Elle effectue également un apprentissage de couturière. «Mon CV semble chaotique mais, finalement, toutes mes compétences, de la couture au management, me sont utiles chez Freitag!»

C’est pourtant par hasard qu’elle a accède à ce poste. «En août 2009, j’animais un workshop au sein de l’entreprise pour aider la direction à développer des stratégies commerciales. Le CEO d’alors a annoncé sa volonté de quitter son poste. Daniel et Markus m’ont demandé de le reprendre ad interim, afin de les aider à trouver la bonne personne. J’ai effectué une sélection, mais les fondateurs m’ont dit qu’ils souhaitaient que je reste.»

Après Berlin, Hambourg, Cologne, Davos et Zurich, une boutique entièrement consacrée à la marque ouvrira cette année à Vienne et — «dès que nous trouverons une arcade qui nous convienne» — une autre verra le jour à Lausanne. «Nous voyageons également dans divers pays européens afin de trouver de nouveaux points de vente.» Et les Etats-Unis? «Là-bas, les camions ne comportent pas de bâches. Notre histoire et notre concept ne touchent donc pas autant les Américains que les Européens.»

Le recyclage de bâches de camion et autres matériaux «de la route», tels que des chambres à air de vélo ou des ceintures de sécurité, restent le concept clé de la marque. «La nouvelle collection et les autres changements que nous allons apporter chez Freitag ne remplacent en rien ce qui a été fait jusque-là. Ce seront des compléments au formidable produit qui existe déjà.»
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.