Accusé de duplicité, le Pakistan pourrait-il mener une autre politique? Tout dans sa jeune histoire indique que non. Eclairage.
En marge des conflits du Proche-Orient, il n’y a pratiquement pas de semaine sans que la République islamique du Pakistan ne fasse la une de la presse mondiale. Ces jours derniers, ce fut doublement le cas avec les révélations du site Wikileaks sur le double jeu mené par l’Etat pakistanais (en particulier par ses services secrets) dans la guerre en Afghanistan.
Puis avec les déclarations tonitruantes du premier ministre britannique David Cameron qui, lors d’un voyage officiel en Inde, osa affirmer que «nous ne pouvons tolérer en aucun cas l’idée que le Pakistan soit autorisé à regarder des deux côtés et puisse, de quelque manière que ce soit, promouvoir l’exportation de la terreur en Inde ou en Afghanistan ou n’importe où ailleurs dans le monde». Prononcés quelques jours après les fuites pentagonales, cette réflexion relève d’un pragmatisme brutal visant juste à dédouaner les Anglo-Saxons par rapport à leur opinion publique.
Car la publication par Wikileaks de milliers de documents secrets américains ne fait que confirmer une fois de plus une réalité bien connue depuis des années: le pouvoir civil pakistanais n’arrive pas à contrôler l’activité de ses services secrets. De plus, la hiérarchie militaire pakistanaise avec le ferme soutien politique et financier des Etats-Unis se comporte comme un Etat dans l’Etat et mène sa propre politique, une politique qui n’a rien à voir avec la diplomatie officielle.
C’est sans doute un concept un peu suranné, le concert des nations, qui permet le mieux de situer le rôle du Pakistan. En effet, comme Israël dans un autre contexte mais avec moins d’appuis au niveau international, le Pakistan est né de l’échec de la décolonisation britannique. Un échec qui pèse encore de tout son poids sur les équilibres intérieurs de ce géant de l’Asie du sud-ouest avec ses 180 millions d’habitants.
Décidés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale à se retirer du sous-continent indien qu’ils n’avaient plus les moyens de contrôler, paniqués à l’idée que ce retrait ne génère une pagaille inouïe autant que sanglante dans leur ancien Empire des Indes, les Britanniques optèrent alors pour une solution défiant toute rationalité, une partition selon des critères religieux, les musulmans étant sommés de se regrouper sur les deux flancs d’une péninsule dont le corps central fut réservé aux hindous.
L’opération qu’un journaliste inspiré appellera la «monstrueuse vivisection de l’Inde» eut lieu en plein été 1947. Les désordres furent tels qu’ils défient la statistique. On estime en gros qu’ils provoquèrent la mort d’un million de personnes et l’exode de 15 millions d’individus, musulmans et hindous s’entrecroisant sur les routes du désespoir.
En quelques semaines une nouvelle configuration politique prit forme avec l’apparition de l’Union indienne enserrée entre un Pakistan qui à l’époque comprenait deux parties, le Pakistan occidental et le Pakistan oriental, séparées l’une de l’autre par quelque 1600 kilomètres! Après une guerre d’indépendance de neuf mois téléguidée par l’Inde, la partie orientale acquit sa souveraineté en 1971 et devint le Bangladesh.
Une partition aussi bancale ne pouvait satisfaire personne, aussi de nombreux conflits armés s’ensuivirent. A part la guerre du Bangladesh, le Pakistan mena deux guerres contre l’Inde en 1965 et 1971, sans parler des innombrables conflits frontaliers qui maintiennent en permanence une vive tension entre l’Inde et la Pakistan. A cela il faut ajouter le conflit du Cachemire, province septentrionale de l’ancien empire des Indes dont la frontière indo-pakistanaise n’est pas encore tracée.
Si l’on ajoute à ces problèmes d’une portée militaire bien réelle, l’insécurité régnant à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan depuis cette désormais lointaine année 1978 où les Soviétiques portèrent la guerre dans les montagnes afghanes, si l’on tient encore compte des troubles chroniques provoqué par l’irrédentisme baloutche dans le sud-ouest du pays, on comprend le poids tout à fait exceptionnel de l’armée dans un pays en état de guerre permanente.
Comme il se trouve de surcroît au carrefour d’intérêts géopolitiques primordiaux (il a aussi une courte frontière avec la Chine!) excitant les passions de Washington à Pékin, de Moscou à Londres en passant par Paris, Berlin et Bruxelles, il faudrait être d’une singulière mauvaise foi pour reprocher à ses vrais dirigeants, la caste militaire (le président Zardari n’étant qu’une triste marionnette), de tenir en même temps quelques fers au feu. Ce qui, exprimé en termes diplomatiques dans le concert des nations ne peut qu’être discordant, voire dissonant.
