L’élite mondiale quitte Davos sans avoir remis en cause ses certitudes de croissance: dans son meilleur des mondes mondialisé, l’internet enrichira aussi les pauvres. Et ceux qui ne savent pas lire?
Ephémère centre névralgique de la planète, Davos replonge pour 360 jours dans l’anonymat privilégié d’une station de ski alpine comme il en existe tant d’autres. Le World Economic Forum se termine comme il a commencé, avec la même foi libre-échangiste frénétique.
Applaudis à tout rompre, les orateurs du Forum ont répété que la globalisation profitera à tous, qu’elle ne peut que «créer de la richesse». Durant six jours, les grands cadres de la World Company ont pu deviser sur l’avenir du tout-internet, évoquer les mégafusions des prochains jours et comparer leurs salaires en stock options.
Du côté des politiques, la pensée unique a également régné, avec une ode remarquée à la compétition sans frontières du président mexicain Zedillo. Le maître du monde Bill Clinton a dit adieu à ses ouailles (un clone l’aura remplacé à la Maison-Blanche quand aura lieu le Forum de Davos en 2001) et Tony Blair, fidèle valet de l’Amérique, a entonné le credo libéral de la nouvelle gauche recentrée.
Plus pathétique encore, Klaus Schwab, le patron du WEF, très sensible à l’air du temps, a annoncé que son organisation allait faire planter quelques arbres en Amérique du sud — histoire de compenser la pollution dégagée à Kloten par les 400 mouvement aériens supplémentaires causés par les allées et venues des participants. Obsédé par le nouvel évangile à la mode, cette «nouvelle économie» ubuesque, le «Davos Man» reste persuadé que la connexion à internet est la panacée aux maux de la planète.
Davos, faut-il s’en étonner, n’a pas évoqué, ou si peu, deux des principaux défis de la globalisation, l’éducation dans les pays pauvres et l’annulation de la dette. L’an dernier, une ambitieuse initiative britannique, Jubilee 2000, soutenue par le Pape Jean-Paul II et par Bono, le chanteur du groupe U2, a réussi à sensibiliser plusieurs gouvernements occidentaux à l’indispensable annulation de la dette des pays du tiers monde.
Il ne s’agit plus de négocier le remboursement de la dette, dit l’ONG, ni de la «rééchelonner», mais de tirer tout simplement, du côté des pays créditeurs et des banques prêteuses, un trait définitif sur le passif des Etats pauvres. Si l’on veut que les nations du Sud participent de plein pied à la globalisation, encore faut-il leur donner la possibilité de prendre le départ de la course sans handicap.
Dans la même logique, l’ONU et la Banque Mondiale tiendront en avril prochain à Dakar, au Sénégal, une conférence capitale, dont le nom est un clin d’oeil involontaire à Davos. Le «World Forum on Education for All» ambitionne de dégager enfin les ressources nécessaires pour sortir de la spirale infernale de l’analphabétisme dans les pays pauvres. L’avènement de la «nouvelle économie» ne changera en effet rien au Pakistan, en Angola ou en Bolivie si les gamins ne savent pas lire. Ils ont moins besoin d’un iMac et d’un modem (de toute manière, leurs villages n’ont souvent pas l’électricité) que de crayons et de tableaux noirs.
Avant d’apprendre à surfer sur le web, ils aimeraient accéder au droit à l’éducation, défini par la Charte universelle des droits de l’homme il y a plus de cinquante ans. Aujourd’hui, dans le monde, 125 millions d’enfants de 6 à 14 ans ne vont pas à l’école. Globalisé ou non, l’avenir leur réserve le pire. Dans les pays en développement, un quart des adultes (872 millions d’êtres humains) sont analphabètes. En leur niant le droit à l’éducation, on accepte que leur potentiel humain soit annihilé avant même d’avoir atteint l’âge adulte.
Ils resteront pauvres, seront en mauvaise santé, mourront des dizaines d’années avant nous. La conférence de Dakar débouchera peut-être, comme les précédentes, sur de belles déclarations d’intentions sans effets tangibles.
Il y a dix ans, la communauté internationale s’était engagée à scolariser tous les enfants de la terre pour l’an 2000. L’objectif est désormais fixé à 2015. Il ne coûte presque rien. L’éducation primaire universelle pour tous exige 8 milliards de dollars par an: ce que la planète dépense en armement tous les quatre jours et demi, ou la moitié des achats annuels de jouets par les parents américains. La scolarité pour tous, quel beau thème pour les globalisateurs de Davos d’ici à 2001.
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En Inde, les gamins mendiants des rues de Jaipur et de Delhi ne demandent jamais d’argent aux Occidentaux. Quand ils tendent la main, ils disent: «no pen?»
