- Largeur.com - https://largeur.com -

Les promesses du biochar

large110610.jpgAbdou Aziz Sy n’en revient pas. «Regardez, les plantes cultivées avec du biochar poussent mieux que les autres. C’est vraiment extraordinaire!» L’agriculteur de Ross Béthio, un village situé à 300 km au Nord de Dakar, tend le bras vers ses plants d’oignons et de concombres soigneusement alignés. De petits panneaux indiquent si les pousses ont été traitées avec du compost, avec de l’engrais chimique ou avec du biochar, une substance naturelle produite à partir de biomasse carbonisée. Pour Abdou Aziz, les résultats montrent clairement les avantages du biochar.

Quelles particularités a donc cette poudre noire pour améliorer ainsi la croissance des plantes? «Le biochar se comporte un peu comme une éponge, explique Samuel Abiven, chercheur associé au Laboratoire de science du sol et de biogéographie de l’Université de Zurich. Il absorbe l’eau, les minéraux, les nutriments et d’autres éléments.»

Selon les écologistes, cette qualité permettrait d’améliorer la fertilité des sols en capturant les éléments nutritifs, puis en les rendant disponibles pour les végétaux. «Mais l’attrait pour le biochar est très récent, et pour le moment, nous disposons d’assez peu de données, tempère Samuel Abiven. Au niveau de la fertilité, j’ai personnellement mené deux études dont les résultats sont contradictoires. Sur un sol pauvre du Valais, l’utilisation biochar a eu un effet positif en augmentant la rétention d’eau et en baissant la concentration en nitrate. En revanche, sur un sol riche d’Argovie, nous avons constaté un assèchement.»

Sur le sol pauvre du delta du fleuve Sénégal, Aziz est persuadé de l’effet bénéfique du produit: «Il faut que tous les agriculteurs utilisent ça, martèle-t-il. C’est totalement naturel et en plus il n’est pas nécessaire de traiter les sols chaque année. L’effet dure longtemps, à la différence des engrais.» Reste qu’à long terme, personne ne connaît les conséquences d’une utilisation intensive du biochar. «Au niveau éco-toxicologique, aucune étude n’a été menée, prévient Samuel Abiven. L’utilisation de ce charbon pourrait se révéler toxique pour le sol ou pour l’humain.»

Dans les milieux écologistes, l’engouement suscité par le biochar provient aussi de sa capacité à stocker le carbone. «Lorsqu’une plante morte tombe dans la terre, elle se décompose très vite (environ 80 ans) en rejetant le carbone qu’elle contient dans l’atmosphère sous forme de CO2, poursuit Samuel Abiven. Avec le biochar, en revanche, le carbone est séquestré dans le sol entre 5OO et 10’000 ans, selon les estimations.» Une particularité qui fait rêver les écologistes: «En capturant le carbone, le biochar permet de diminuer la concentration atmosphérique en CO2 et ainsi de réduire l’effet de serre et le réchauffement climatique», se félicite Guy Renaud, président de l’ONG Pro-Natura international. Mais là encore, Samuel Abiven se montre plus mesuré: «Tout dépend de la façon dont le biochar est fabriqué. Si la production engendre davantage de gaz à effet de serre que la rétention de carbone permet d’en retenir, le bilan s’avère négatif.»

A ce propos, Aziz désigne fièrement Pyro-6, l’appareil installé par Pro-Natura international qui lui permet de fabriquer du biochar. Lorsqu’il met en marche la grosse machine rouge, un bruit assourdissant résonne dans le petit hangar. «La production de biochar se fait par carbonisation de végétaux par pyrolyse, souligne Guy Renaud. Cette technique permet de décomposer de la matière organique sous l’effet de la chaleur mais sans flamme, ni oxygène, ce qui évite le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.»

«Avec les appareils les plus modernes, la pyrolyse est un bon procédé car elle ne rejette presque pas de CO2, confirme Samuel Abiven. Une fois le processus de carbonisation initiée, la réaction s’auto-entretient grâce la réutilisation du syngas dégagé lors de la pyrolyse des végétaux. En pratique, il existe très peu de machines capables de fonctionner ainsi avec un bon rendement. Une partie des gaz produits s’échappe dans l’atmosphère, notamment du methane. Or ce gaz a un effet de serre plus important que le CO2…»

Pour initier la réaction, Aziz utilise un peu de fioul. Puis il attend que le cylindre central atteigne la température précise de 550°C. «Ca y est, tu peux charger.» A l’autre bout de la machine, son collègue déverse un mélange de végétaux, constitué à 50% de balle de riz (déchet de la culture de riz) et à 50% de typha (une mauvaise herbe qui pousse sur les bords du fleuve Sénégal). Après quelques minutes et plusieurs passages dans de l’eau froide, la poudre de charbon noire tombe dans les mains d’Aziz. «Et voilà le biochar, montre avec joie l’agriculteur. Nous avons la capacité d’en produire 5 tonnes par jour.» Mais faute de moyens financiers, la petite exploitation tourne pour l’instant au ralenti.