KAPITAL

La nouvelle star: le CEO

Surexposition dans les médias, conférences, shows… Les grands capitaines d’entreprises ont désormais le statut de vedettes planétaires. Une personnalisation des grandes firmes qui n’est pas sans risques. Décryptage.

Ils ne ressemblent en rien à des stars du cinéma ou à des icônes du sport. Au contraire, ils arborent le profil classique du businessman que l’on croise dans les grands aéroports ou les centres d’affaires internationaux. Voire, pour certains, celui plus décontracté de l’entrepreneur à succès dans le secteur des nouvelles technologies. Or, la médiatisation, pour ne pas dire la starification des CEO de grandes multinationales, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, tend de plus en plus à égaler celle de leurs cousins du show-business.

Il suffit de penser aux présentations publiques de Steve Jobs, dignes d’un concert de rock, ou aux «coups» surmédiatisés d’un Richard Branson. Le spectre représentatif dépasse toutefois largement ces deux exemples particulièrement visibles: «Certains patrons comme Bill Gates ou les fondateurs de Google Sergey Brin et Larry Page disposent d’une image plus modeste, relève Philippe Welti, conseiller en communication à Zurich. Mais il ne faut pas s’y tromper: ils restent de vrais businessmen dont le but est de gagner de l’argent.»

Comme ailleurs dans la société, les comportements au sein des hautes sphères de l’économie ont tendance à se faire plus exhibitionnistes. En témoigne la pléthore d’articles avec photos-portrait soigneusement mis en scène qui remplissent les journaux et les magazines. Comment expliquer pareille évolution des mentalités au sein d’un secteur autrefois réputé lisse et discret? «Le monde devient plus complexe, les incertitudes grandissent, on ne sait plus très bien où vont les marchés, analyse Philippe Welti. Dans ce contexte, les gens et les médias apprécient les «stars» qui bénéficient d’une image propre et qui sont entourés de l’odeur du succès.»

«Le public attend de la transparence, de la rapidité, de l’interaction, osberve Marc Comina, directeur de Farner Consulting. Pour avoir un impact positif en termes d’image sur l’opinion publique, les entreprises ne peuvent donc plus se contenter de supports virtuels, de porte-paroles, de rapports annuels ou de brochures. Elles ont besoin de sensible, de personnification.» Les patrons se voient donc en quelques sortes contraints de prendre en main ces aspects. On assisterait même à une «sélection» croissante des CEO vers des personnalités charismatiques et bonnes communicatrices, sachant parler au public, aux collaborateurs et aux prestataires de services. «En Suisse un bon exemple est Daniel Vasella, très disponible et clair dans ses messages, relève Marc Comina. A l’opposé, certains grands patrons vaudois manquent clairement de charisme et de souplesse.»

En se mettant en avant, ces nouvelles stars de l’économie recherchent à gagner la confiance du public, mais aussi, bien sûr, à vendre des produits et des services. «Les chefs de compagnies financières se mettent davantage en scène que ceux de l’industrie qui restent dans l’ensemble plus discrets, commente Philippe Welti. Vendre des produits financiers est toujours une question de crédibilité. On identifie le produit avec le CEO et vice-versa: un chef d’entreprise ayant une bonne crédibilité vend davantage car on croit ce qu’il dit.»

Cette exposition publique comporte toutefois certains risques: «Comme Icare, plus on vole haut, plus violente pourra être la chute, relève Philippe Welti. C’est ce qui est arrivé à l’époque à Lukas Mühlemann du Credit Suisse.» Autre danger: lorsqu’un patron «star» commet une erreur et doit laisser sa place, son discrédit continue d’entacher durablement la réputation de l’entreprise. «C’est le prix à payer pour une politique de communication centrée sur le CEO: s’il commet une erreur ou fait des gaffes, les retombées négatives ne se limitent pas à sa personne, mais touchent toute l’entreprise, souligne Marc Comina. Lorsque tout va bien, on minimise le rôle des capitaines d’entreprise, c’est tout le contraire lorsque ça va mal… »
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7 portraits étonnants de stars de l’économie mondiale

Ils ont gravi un a un les échelons de leur entreprise ou acquis de l’expérience au sein d’horizons divers. Un livre retrace le parcours des 1’000 CEO les plus smart.

Ils ont pris «la» bonne décision au bon moment, maîtrisé leur secteur d’activité grâce à des produits innovants et acquis, au fil des ans, une connaissance incontournable de leur environnement professionnel. Un ouvrage, réalisé sous la supervision du journaliste Andrew Davidson (The Sunday Times), illustre bien le changement de statut des grands patrons de l’économie planétaire. Composé de plusieurs chapitres présentant les grandes familles de patrons (innovateurs, visionnaires, polémistes, etc.), le livre présente une liste des «1’000 CEO les plus smart du monde»*, avec, pour chacun d’eux, leurs grandes stratégies et décisions, ainsi qu’un bref résumé de leur parcours personnel. Encore peu connues du grand public, certaines des ces trajectoires n’en demeurent pas moins surprenantes. En voici une sélection.

Satoru Iwata, Nintendo

CEO de Nintendo depuis 2002, Satoru Iwata a gravi tous les échelons hiérarchiques de son entreprise. Passionné de jeux vidéo depuis l’adolescence (la légende voudrait qu’à l’école déjà il programmait avec ses camarades des jeux sur de simples calculatrices), Satoru Iwata a contribué à créer des jeux devenus aujourd’hui des classiques, tels que EarthBound ou Balloon Flight. Il a également joué un rôle central dans le développement de plusieurs consoles, dont la Wii. Il est en outre le premier président de Nintendo à ne pas être lié à la famille fondatrice de la compagnie, qui, comme le rappelle son portrait dans le livre, fabriquait à l’origine des cartes de jeux faites à la main. «Comme tous les Japonais, il reste plutôt discret. Son image demeure cependant excellente grâce à ces succès en termes d’innovation», relève Philippe Welti.

James L. Ziemer, Harley-Davidson

CEO de Harley-Davidson jusqu’à l’année dernière, James L. Ziemer a débuté sa carrière au sein de la marque en tant qu’employé dans le fret. Né dans un quartier populaire du Milwaukee, non loin de l’usine du célèbre fabriquant de deux-roues américain, il gravit peu à peu les échelons de la société, touche à la comptabilité, puis à la finance, avant d’en devenir le grand patron en 2005. Il a notamment ouvert la marque aux femmes et l’a positionnée dans le haut-de-gamme, pour faire face à la concurrence croissante de modèles de motos anglais et asiatiques. «Il est resté dans la compagnie pendant 40 ans et était considéré comme une légende, commente Philippe Welti. Mais c’était avant tout un spécialiste financier. Il n’a pas réussi à rajeunir l’image de la marque, qui garde un petit côté «dinosaure».»

Jeffrey L. Bewkes, Time Warner

Chef de Time Warner, le magnat des médias Jeffrey L. Bewkes a connu pour sa part un parcours plus diversifié. Il fait ses gammes chez Citibank, avant de rejoindre la chaîne américaine HBO en tant que responsable du marketing. Il en devient progressivement responsable des finances, responsable des opérations, puis CEO. Il triple le budget de la programmation et attire plus de 38 millions d’abonnés à travers le monde, en misant notamment sur des séries qui deviendront des cartons planétaires, telles que The Sopranos ou Band of Brothers. Armé de ce solide background, il rejoint Time Warner en 2002 et en devient CEO six ans plus tard, n’oubliant pas de porter un soin particulier à son image: «Il comprend la responsabilité de cette grande compagnie du divertissement et s’engage pour de nombreux musées et universités», relève Philippe Welti.

Herbert Hainer, Adidas

Rien ne prédestinait Herbert Hainer à devenir le grand patron du géant de l’équipement sportif allemand. Jeune, il travaille au sein d’une boucherie tenue par sa famille. Il ouvre ensuite un bar, rêvant en secret de devenir footballeur… C’est finalement une toute autre voie qu’il emprunte en rejoignant dans un premier temps Procter & Gamble, puis Adidas vers la fin des années 80, pour en prendre la direction dès 2001. Parmi ses plus importantes réalisations figure la reprise de Reebok, rachat qui lui permet de rivaliser aux Etats-Unis avec Nike, convertissant au passage Adidas en «joueur global». «Il a acquis une grande crédibilité, notamment en décidant très tôt de stopper le sponsoring avec les athlètes dopés», relève Philippe Welti. Un statut qui ne lui a pas fait prendre pour autant la grosse tête: selon Andrew Davidson, qui l’a rencontré, Hainer conserverait au contraire «un profil bas, en rapport avec le pouvoir de sa compagnie».

Angela Ahrendts, Burberry

Bien que minoritaires, les femmes ne sont pas absentes de cette galerie de portraits. On trouve notamment Angela Ahrendts, CEO de Burberry, considérée par Time Magazine comme l’une des femmes les plus influentes de la mode américaine. A la tête de Burberry depuis 2006, elle a notamment restauré le prestige et la pertinence de la marque, qui avait à l’époque baissé en gamme. Elle a en outre renforcé la croissance de la société sur des marchés porteurs comme le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, le Vietnam ou la Malaisie et n’a pas hésité à prendre des décisions difficiles, comme de fermer une usine de chemises au Pays de Galle et d’en déplacer la production en Chine.

Indra Nooyi, PepsiCo

Autre exemple de patronne féminine iconique: Indra Nooyi. CEO de PepsiCo, elle a été classée récemment par le magazine Fortune en première place des femmes d’affaires les plus influentes et parmi les 100 personnalités les plus «importantes» du monde. Née à Madras, en Inde, elle arrive aux Etats-Unis en 1978, puis passe par le Boston Consulting Group, Motorola et ABB. Arrivée chez PepsiCo en 1994, elle en devient le CEO en 2006, mettant l’accent sur l’augmentation des ventes dans les marchés émergents afin de compenser le «climat défavorable» dans le commerce de détail aux Etats-Unis. «On dit souvent que les femmes sont plus douées pour la communication, l’écoute, la persuasion, bref pour le «soft power», relève Marc Comina. La tendance à la médiatisation des sphères dirigeantes est donc plutôt positive pour elles. D’autant que le modèle ancien, hiérarchique et autoritaire, tend à être de plus en plus dépassé.»

Mark Zuckerberg, Facebook

Également minoritaires, les jeunes CEO, comme le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg, ne sont pas pour autant oubliés. Son portrait rappelle que le plus grand réseau de socialisation du monde est né de l’idée qu’a eu Zuckerberg lorsqu’il était étudiant à Harvard de créer un site de rencontre pour ses camardes d’université. «Les jeunes CEO ont grandi avec la culture de la médiatisation, relève Marc Comina. Ils jouent donc facilement le jeu. Le risque pour eux est de tellement basculer dans la communication, qu’ils pourraient en oublier de véritablement diriger leur entreprise.» Pour sa part Philippe Welti souligne que bien que l’image de Zuckerberg ait récemment souffert en raison de l’utilisation des données des utilisateurs de Facebook, il garde un statut de célébrité parmi les patrons, «même si, aujourd’hui, il se met surtout en avant dans le but de vendre son entreprise».
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Des stars parmi les stars

Le livre d’Andrew Davidson n’oublie pas de mentionner les profils des CEO les plus célèbres. De Steve Jobs, par exemple, ressortent ses qualités de «leader visionnaire et charismatique», ayant une compréhension instinctive «non seulement de la direction où va la technologie, mais aussi de ce qui fait que les gens l’achète». Le côté «vedette» du Californien est en outre renforcé par la création des studios Pixar, qu’il a vendu à Disney, faisant de lui l’un des plus gros actionnaires de l’entreprise, avec un poids conséquent à Hollywood.

Le Suisse Daniel Vasella a lui aussi droit à l’analyse de ses performances. Le portrait souligne la maîtrise de l’ex-médecin dans la supervision de la fusion entre Ciba-Geigy et Sandoz (société où il débuta son ascension dans le pharma en tant que stagiaire..) pour aboutir à Novartis, le géant mondial de la pharmaceutique que l’on sait.

Warren Buffett est pour sa part présenté comme «vraisemblablement le plus grand capitaliste de marché de tous les temps». Sont notamment retranscrites certaines des ses plus célèbres assertions, telles que «le risque vient lorsque l’on ne sait pas ce que l’on fait» ou «ne demandez jamais à un coiffeur si vous avez besoin d’une coupe de cheveux», qui ont contribué à lui forger un niveau de notoriété rarement atteint dans les sphères de la finance.

Le parcours de François Pinault mérite lui aussi que l’on s’y attarde. A la tête d’une fortune estimée à 17 milliards de dollars, le Français «surgit de l’obscurité», passant de simple marchant régional de bois à l’un des plus grands industriels de l’Hexagone, grâce, en partie, au rachat de plusieurs groupes et maisons de luxe, tels que Gucci ou Christie’s.

Son rival attitré, Bernard Arnault, a lui aussi droit au chapitre. A la tête de LVMH, l’homme le plus riche de France (sa fortune est estimée à 25 milliards de dollars) contrôle diverses marques de renom telles que Louis Vuitton, Marc Jacobs ou Dom Pérignon. Côté people, il n’a jamais caché compter parmi les amis proches de Nicolas Sarkozy.

Enfin, comment ne pas mentionner Donald Trump? Star du petit écran, Trump possède une partie de Manhattan et dirige une multitude d’hôtels et de casinos à travers le monde. De tous les grands patrons surmédiatisés, il mène sans doute le train de vie le plus «glamour», faisant preuve de beaucoup de «flamboyance» dans son leadership: adepte du buzz, il aime utiliser son propre nom pour bâtir des marques de prestige (Trump Towers, Palaces, Golfs, Hotels). Sa philosophie peut se résumer en deux grandes maximes: «garder confiance» et «penser grand».

*«1’000 CEOs. Proven strategies for success from the world’s smartest executives» Editor-in-chief, Andrew Davidson, Dorling Kindersley Limited, 2009
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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan.