L’assaut du convoi humanitaire n’est que le dernier acte d’une politique de Netanyahou qui, en quinze mois, a déjà conduit son pays à l’isolement et provoqué une division dans la diaspora. Il n’est pas certain du tout qu’il en sorte gagnant.
Au moment où cet article est rédigé (lundi 31 mai, vers 18h), le bilan définitif de la prise d’assaut par l’armée israélienne du convoi humanitaire à destination de Gaza n’est pas encore établi. Certaines sources parlent de 10 morts, d’autres de 19 morts, auxquels il faut ajouter quelques dizaines de blessés. Un bilan impressionnant pour ce qui aurait dû être une simple opération de police maritime visant à dérouter des navires tentant de forcer le blocus imposé par Israël.
Une fois de plus — cela devient une fâcheuse habitude depuis de trop nombreuses années –, Israël a cédé à sa manie de riposter de manière brutale et disproportionnée à tout acte qui lui semble mettre en cause son bon droit face aux résistants palestiniens et leurs sympathisants, des sympathisants affichant ouvertement la vocation pacifiste et humanitaire de leur entreprise avec le soutien d’un grand Etat, la Turquie. Que la propagande israélienne tente de les présenter comme des bandits armés de poignards et de barre de fer ne fait que confirmer la réalité de cette démarche pacifique.
Les commentaires sont sur ce point significatifs. Ainsi Tsahal, dans un communiqué officiel, déclare que «durant l’opération, des soldats israéliens ont été confrontés à de dures violences physiques. Certains des passagers ont utilisé des armes blanches et des armes de poing et on a tenté aussi d’arracher l’arme d’un des soldats. Face à la nécessité de défendre leur vie, les soldats ont employé des moyens anti-émeute et ont ouvert le feu».
De même, l’amiral Eliezer Marom, chef de la marine israélienne: «Durant l’abordage du Mavi Marmara, à bord duquel se trouvaient quelque 600 personnes, nos troupes ont été attaquées avec une rare violence à l’arme à feu et d’autres armes, et ont dû riposter pour se défendre car leurs vies étaient en mises en danger par des gens qui voulaient les tuer». Le brave homme oublie de préciser que les armes à feu en question avaient été enlevées par des passagers aux soldats qui les attaquaient ainsi que l’a annoncé la télévision israélienne.
Ou encore, cet expert souvent sollicité par les médias occidentaux, le professeur Frédéric Encel, répondant au quotidien français 20 Minutes: «On ne peut pas évacuer l’hypothèse d’une bavure, ou d’un manque d’entraînement, de maîtrise. Contrairement à ce que l’on croit parfois, l’armée israélienne n’est pas faite de «surhommes», d’autant que des armes blanches attendaient les militaires.»
On croit rêver! Les commandos israéliens manqueraient d’entraînement, des poignards leur feraient peur! Comme si l’incident d’aujourd’hui n’était pas la conséquence directe de la guerre de Gaza conduite avec la brutalité que l’on sait au début de l’année dernière. Il s’agissait alors de chauffer l’électorat israélien avant les élections législatives que l’extrême droite espérait gagner. Elle a effectivement gagné. Avec à Gaza un bilan éloquent: 1315 morts palestiniens pour 13 morts israéliens. Cent fois plus.
Dans une guerre comme celle qui ravage l’ancienne Palestine depuis un demi-siècle, les morts ont le poids que leur donne le contexte politique. Ceux d’aujourd’hui sont malheureusement voués à avoir un poids historique. Cette «bavure» que déplore sans s’offusquer outre mesure le professeur Encel intervient à un moment crucial de la crise proche-orientale. Elle met directement en cause les relations entre Israël et la Turquie, le seul Etat musulman de la région avec lequel Israël avait non seulement des relations de bon voisinage sur le plan politique et économique, mais avec lequel il collaborait aussi militairement. D’ailleurs, des manœuvres communes prévues pour ces jours-ci ont aussitôt été décommandées.
Il semble que les dirigeants israéliens n’aient pas encore compris que le gouvernement turc est dirigé par un parti islamiste. Islamiste modéré peut-être, mais islamiste. Cela implique évidemment une certaine considération pour les mouvements profonds de l’opinion religieuse musulmane. Le premier ministre Erdogan a d’ailleurs pris ses marques début 2009 lors de son coup de gueule au Forum de Davos.
Depuis, il n’a cessé de prendre ses distances par rapport à la position traditionnelle de la Turquie (membre de l’OTAN, alliée des Etats-Unis) sur la question israélo-palestinienne. Dernier coup en date, l’initiative commune Erdogan-Lula sur le dossier nucléaire iranien qui ne date que de deux semaines.
Cette crise turco-israélienne surgit au moment où Israël souffre d’un isolement qu’il n’a jamais connu jusqu’à aujourd’hui. Les Etats-Unis font preuve à l’égard des dirigeants de Tel-Aviv d’une froideur que la proximité d’une dure campagne électorale automnale ne semble pas tempérer. Plus grave encore, la diaspora a désormais perdu son unanimité dans son soutien à l’Etat juif, ouvrant, chose inouïe hier encore, le débat sur la ligne politique suivie par l’équipe de Benjamin Netanyahou.
En provoquant sciemment ou non la crise actuelle, la direction israélienne joue son va-tout. Il n’est pas certain du tout qu’elle sorte gagnante de cette épreuve de force.
