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La Pologne rejetée

large200410.jpgUne fois de plus, les Occidentaux ont montré le peu de cas qu’ils font de leurs partenaires de l’Europe centrale et orientale. Le fait qu’aucun dirigeant européen de premier rang ne se soit rendu dimanche à Cracovie pour rendre un dernier hommage au défunt président polonais — et par cet hommage s’associer au deuil d’un peuple peu épargné par l’histoire, lui apporter, en somme, un signe de solidarité, ne serait-ce que symboliquement — est à proprement parler scandaleux.

La Pologne (38 millions d’habitants) est membre à part entière de l’Union européenne depuis le 1er mai 2004. Sur les nombreux présidents que compte cette Union, soit son président en titre José Luis Zapatero, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy et le président de la Commission européenne José Barroso, il ne s’en est pas trouvé un pour, faute d’avion, faire le petit effort de gagner Cracovie par le train ou par la route.

De même les grandes vedettes de l’UE, les Sarkozy, Merkel, Berlusconi et autres, si prompts à se pavaner devant les caméras, ont saisi ce volatil prétexte pour ne pas se commettre aux côtés de vulgaires Polonais alors que le président russe atterrissait comme un chef, à midi tapant, sur l’aéroport de Cracovie pourtant en principe fermé.

Ce comportement de rustres digne d’une jet set qui, outre la perte de tout sens moral, se singularise aussi par son manque de savoir vivre, prouve en fin de compte que dans l’imaginaire occidental, les Polonais sont restés les Polacks mangeurs de choux que moquaient les libelles du XIXe siècle. Jacques Chirac le rappelait il n’y a pas dix ans en déclarant qu’ils avaient perdu «une bonne occasion de se taire» en se proclamant inconditionnels de Bush en Irak et en Afghanistan. Philippe de Villiers fit encore plus fort en dénonçant «le plombier polonais» qui venait piquer le boulot des bons Français (et, sous-entendu, baiser leurs femmes).

L’affaire (l’affront) est d’autant plus grave qu’au-delà de la Pologne, elle implique les anciens pays de l’Est, ex-satellites soviétiques, qui au fil d’un demi-siècle d’avanies dictatoriales ont tissé une sorte de sensibilité commune à des gens partageant le même malheur. Dimanche, dans le village transylvain où j’écris ces lignes, j’ai assisté à un «parastas», cérémonie par laquelle on se souvient d’un défunt un an après sa mort et l’on se recueille sur sa tombe pour lui souhaiter bon voyage vers l’au-delà et succès au passage des douanes de l’âme. Pour le soutenir, on répand pain et vin sur la tombe. Il y a toujours affluence à ces parastas. On ne manque pas d’honorer les morts. Je n’ai jamais assisté à un enterrement en Pologne, mais je ne doute pas que, vu la religiosité du pays, c’est une affaire sérieuse. Pour le dire en une formule, on n’expédie pas les macchabées en catimini comme on le fait dans nos villes occidentales déchristianisées.

En snobant les funérailles de Lech Kaczynski, les dirigeants occidentaux ont une fois de plus attenté à la fierté de tous les pays de l’Est. Mais, direz-vous, ce Kaczynski était des plus antipathiques, défendant des idées politiques catho-nationalistes, antisémites, etc. Et alors? Il était président démocratiquement élu, mort dans un accident avec une centaine d’autres dirigeants du pays. Les Polonais leur ont rendu hommage sans excès (il n’y avait pas grande foule à Cracovie), mais avec dignité.

En l’occurrence, il s’agissait moins de la personne Kaczynski que de la fonction qu’il occupait. La Pologne est une démocratie toute neuve où chaque élection (comme ailleurs à l’Est) est susceptible de faire passer le pouvoir d’un extrême à l’autre comme la Hongrie l’a encore montré il y a quinze jours. Mais cette Pologne comme, je me répète, ses voisins, aspire vaille que vaille à s’intégrer à l’ensemble européen. L’histoire a voulu que la Suisse, sans y être, en est membre de fait, en quelque sorte. La Pologne et les autres, membres de droit, sont maintenus aux marges en raison de préjugés aussi anciens qu’inacceptables. Ne serait-il pas temps que cela change?