CULTURE

L’érotisme subtil de Nerve.com, une réussite commerciale

Un jeune couple new-yorkais a fait fortune avec un site qui mélange littérature et sexualité. Nerve.com compte aujourd’hui plus de 750’000 visiteurs réguliers.

On le sait, le sexe a longtemps constitué le principal moteur du développement d’internet – jusqu’à ce que le commerce électronique lui ravisse la place. La pornographie la plus débridée est toujours bien présente sur le réseau, ce qui n’empêche pas quelques sites ambitieux de proposer des approches plus subtiles et intimes de la sexualité.

Exemple, le magazine Nerve.com, lancé par un jeune couple new-yorkais en 1997. Ses deux initiateurs, Genevieve Field et Rufus Griscom, travaillaient pour une petite maison d’édition avant d’ouvrir ce site haut-de-gamme entièrement dédié au sexe. Le visiteur y cherchera vainement de quoi se rincer l’oeil: l’érotisme est savamment intellectualisé par des écrivains, des essayistes et des photographes. Un peu plus croustillant, une foule d’anonymes y racontent leurs expériences sexuelles avec des mots choisis.

«Nous voulions parler du sexe intelligemment. Ce n’était ni pornographique, ni même érotique C’était en rupture avec toutes les formules existantes», expliquait récemment Genevieve Field au mensuel californien Soma. L’approche de Nerve correspond bien au look d’étudiants sages de Genevieve, 29 ans, et Rufus, 31 ans, diplômé de l’Université de Brown. Leur couple s’est formé il y a cinq ans.

Les débuts de Nerve.com ont été marqués par un coup de pub splendide et involontaire. En juin 1997, les autorités américaines doivent se prononcer sur le Communications Decency Act (DCA), une loi qui veut munir les navigateurs d’un système de filtrage empêchant l’accès aux sites jugés pornographiques. Par coïncidence, Nerve.com est lancé le 26 juin, le jour même où le DCA est déclaré non constitutionnel.

Le lendemain, Rufus et Genevieve sont invités sur CNN. Leur magazine est cité comme l’exemple de ce qui aurait été interdit si la loi avait été acceptée. Suivent des articles dans les revues Newsweek et Time. Avec quelque 10’000 connections quotidiennes dès les premiers jours, Nerve.com est lancé.

Deux ans et demi plus tard, le site affiche 20 millions de pages vues par mois et 750’000 visiteurs réguliers. De quoi éveiller l’intérêt de puissants annonceurs, dont les contrats font prospérer la société. Field et Griscom ont récemment quitté l’appartement minuscule d’où ils avaient lancé Nerve.com. Leur société est maintenant basée dans un loft de SoHo.

Les effectifs de Nerve.com sont passés de huit à dix-huit employés en l’espace de trois mois. La compagnie vient d’acquérir Bianca, un forum de San Francisco très fréquenté, également dédié aux conversations érotiques. Les deux jeunes patrons préparent une version imprimée du site, lequel existe déjà dans une version française.

D’après les sondages, 96% des lecteurs de Nerve ont un niveau de formation équivalent au baccalauréat, 25% ont un diplôme universitaire et tous lisent le magazine intello-branché New Yorker. Les femmes représentent plus d’un quart des visiteurs, une proportion tout à fait exceptionnelle pour un site consacré au sexe.

Les fondateurs de Nerve.com sont eux-mêmes fascinés par la somme d’histoires vécues qui remplissent leurs pages. «Le site agit comme un incroyable révélateur d’expériences. C’est plus facile de dire la vérité on-line», relève Rufus Griscom.

Nerve.com a démarré avec 150’000 dollars (250 000 francs suisses) fournis par un professionnel du capital-risque. Au départ, cet argent est utilisé pour publier les photos d’artistes réputés comme Andres Serrano. L’habillage du site est confié à Joey Cavella, dont le travail a déjà été remarqué sur le Web. Dès ses débuts, Nerve.com refuse la publicité pour les pages et les messageries pornographiques.

La réussite de Nerve.com doit beaucoup aux contacts noués par Griscom et Field du temps où ils travaillent dans l’édition. Grâce à leur réseau, ils parviennent à obtenir la collaboration des auteurs les plus en vue, comme Jay McInerney, («Bright Lights, Big City») ou Rick Moody («The Ice Storm»).

Certains écrivains, comme Moody, ne voient pas tout de suite l’intérêt d’écrire pour le Net. D’autres sont même carrément hostiles à la diffusion on-line. Les deux éditeurs doivent aussi les convaincre d’écrire sur la sexualité, ce qui ne va pas de soi. Mais grâce à leur persévérance, ils parviennent à réunir dans leur magazine des contributions de grande qualité.

Reste à espérer qu’aujourd’hui, Genevieve Field et Rufus Griscom ont un peu moins à faire qu’aux débuts de Nerve.com. Quelques semaines après le lancement du site, ils déclaraient à Time: «Nous avons tellement de travail que nous n’avons plus de temps pour le sexe.»

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Mary Vacharidis, journaliste, collabore régulièrement à Largeur.com. Elle séjourne actuellement aux Etats-Unis.