«La plupart des entreprises n’offrent plus à l’heure actuelle un plan de carrière tout tracé à leurs cadres.» Le constat de Pierre Taurian, chasseur de têtes chez Oprandi, implique alors d’envisager seul ses objectifs professionnels les plus judicieux et les besoins de formation qui y correspondent. Dans ce contexte, la mode des Masters of Business Administration (MBA) s’est naturellement imposée, comme une pléthore d’autres formations. Au point de compliquer le choix du bon programme. Investissement considérable de temps et d’argent, les formations post-grades ne s’imposent pas avec la même pertinence dans toutes les carrières, ni à tout âge.
Formation généraliste, le MBA se présente comme la boîte à outils idéale, conçue sur mesure pour toute ambition entrepreneuriale. Stratégie, marketing, finances, RH et management: dans les grandes écoles internationales comme dans les structures locales, on met en avant la dimension pratique de cet apprentissage à mi-parcours, où foisonnent les «workshops», «soft skills» et «handworks». Un pragmatisme à l’anglo-saxonne que résume le slogan de l’IMD, «real world, real learning».
«Les programmes de l’IMD fonctionnent comme de véritables boosters de carrière, des charnières d’évolution qui permettent à chacun de réviser ses bases de fonctionnement, de se confronter à des cas pratiques», estime Joëlle Rossier, directrice du prestigieux bureau de recrutement Passer & Tabet. Un enthousiasme que nuance son confrère Pierre Taurian du cabinet Oprandi: «Le MBA consiste à se baser sur les pratiques passées pour pronostiquer l’avenir. Ce qui peut être utile dans un secteur stable, comme l’industrie alimentaire, l’est par exemple moins dans le domaine des nouvelles technologies.»
Avant d’investir dans une telle formation, il s’agit de considérer les risques et de l’inscrire dans un plan de carrière. «Les entreprises qui recrutent auprès des grandes écoles ont tendance à privilégier les profils les plus jeunes, précise Eva von Rohr, directrice du cabinet de conseil en gestion de carrière Von Rohr & Associates. En commençant un MBA après 35 ans, les participants risquent à la sortie, de se retrouver confrontés à un décalage entre leurs attentes et leur réel accès au marché.»
Au-delà de 35 ou 40 ans, un programme d’Executive MBA (EMBA), moins lourd et plus ciblé, se révèle souvent davantage approprié. «Mieux vaut privilégier des formations plus pointues à partir d’un certain âge, confirme Michel de Girolamo, chasseur de têtes spécialisé dans le domaine bancaire. Dans ce secteur, par exemple, ce ne sont pas des profils généralistes qui nous permettront de sortir de la crise…».
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Plusieurs critères permettent de clarifier l’offre et de mieux situer son choix:
1. Le prix
Entre les programmes prestigieux des grandes écoles privées et les formations plus locales, les tarifs varient considérablement (lire ci-dessous). Le différentiel tarifaire ne reflète pourtant que partiellement la qualité des professeurs, comme le prouve la réputation de la Faculté des HEC de Lausanne. «Le rapport qualité-prix de notre programme défie toute concurrence. Avec une logique purement marchande, nous pourrions pratiquer des tarifs bien plus élevés», dit Fatima Gueroui, en charge de la communication de l’institution.
2. La pratique contre l’académique
C’est dans le ratio entre enseignement académique et pratique, deuxième critère de choix, qu’il faut plutôt chercher la particularité des programmes publics. Si la tendance au pragmatisme s’impose partout, certains programmes privés ne font, par exemple, intervenir que des professeurs issus du monde des affaires et insistent davantage sur le partage d’expériences que sur la maîtrise de concepts managériaux.
3. La durée
La durée et l’organisation purement horaire du programme constituent un troisième critère, qui n’a pas que des implications pratiques: en temps partiel, le recrutement se fait plus local, alors que les modules plus compacts autorisent des participations plus internationales. Avec le choix de la langue de travail, ces paramètres ont un impact sur le type de profils attirés par le programme.
4. Le réseau
La qualité du réseau qui permet de développer la formation détermine finalement la pertinence de l’orientation envisagée: «Les tests d’admission des écoles telles que l’IMD sont extrêmement exigeants, et seuls 10% des candidats qui les passent sont finalement acceptés, note Eva von Rohr. Son réseau d’alumni ouvre les portes d’une élite internationale. » En fonction de son parcours, reste à chacun d’évaluer l’utilité de tisser des contacts de San Francisco à Singapour.
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Il faut différencier plusieurs types d’établissements:
1. Les grandes écoles internationales
Dans la catégorie des «meilleurs MBA du monde», on trouve en tête de liste (hors Etats-Unis) des programmes tels que ceux de l’INSEAD et de l’IMD. Leurs coûts élevés, les processus de sélection draconiens invitent cependant à réfléchir à deux fois. A Fontainebleau (Ile-de-France), l’INSEAD propose un MBA à plein temps. Prisé par des volées de plusieurs centaines de personnes, il ne compte pourtant jamais plus de 10% d’une même nationalité. «La sélectivité garantit la richesse des parcours de nos candidats, élément crucial pour un programme axé sur les interactions et le partage d’expériences», estime Lucile Lafaurie, de l’INSEAD. Une diversité des profils qui impose fatalement l’anglais comme langue de travail.
L’existence d’un institut jumeau, basé à Singapour, permet par ailleurs de passer du campus européen à celui asiatique tous les deux mois. «Toutes les écoles de MBA se disent internationales, mais notre pôle asiatique et le partenariat d’enseignement et de recherche qu’il autorise restent très rares sur le marché européen», ajoute Lucile Lafaurie. La place de l’INSEAD dans les classements d’Europe s’explique aussi par un simple calcul de «retour sur investissements»: le suivi des candidats, initié avant même leur arrivée, peut s’étendre jusqu’à une année après la sortie. Vu l’intérêt des multinationales pour ce diplôme, les salaires de sortie sont généralement élevés, ce qui permet d’amortir rapidement les coûts de formation. Même configuration à l’IMD. «En 2009, 62 sociétés se sont présentées auprès de nos services, pour seulement 75 étudiants à la recherche d’emploi», détaille Katty Ooms Suter. La responsable de ce programme de formation insiste cependant sur l’encadrement particulièrement riche des candidats sélectionnés: sur plus d’un millier de dossiers, seuls 90 se voient en effet offrir une place en MBA chaque année. «Et ces étudiants bénéficient des enseignements de 35 professeurs, tous titulaires d’un doctorat. » La petite taille du programme rend d’autant plus efficace leur service carrières, jugé le plus performant du monde par le Wall Street Journal.
Ce programme comporte trois projets de confrontation aux réalités industrielles. Le premier, intégré au projet de diplôme, implique de contribuer au business plan de projets d’entreprises locales, dont plusieurs start-up de l’EPFL. Le second, appelé «expédition découverte», amène les étudiants à passer une semaine en petite équipe dans une entreprise étrangère, avec pour objectif de contribuer autant que possible à influencer les pratiques de la firme en question, en Afrique du Sud par exemple. Le troisième invite finalement les futurs diplômés à consacrer huit semaines en tant que consultants dans une grande multinationale. Un ancrage qui explique en partie un recrutement ultérieur plus proche de la production industrielle (consumer goods, pharma, énergie, etc. ) que celui de l’INSEAD et de la London Business School, fortement axés sur les services financiers et de consulting.
Les mêmes atouts caractérisent l’EMBA de l’IMD, connu pour la qualité de son «Program for Executive Development». Des projets obligatoires en Inde, en Chine et aux Etats-Unis, en partenariat avec des entreprises sur place. «Cela rend les employés capables d’appliquer directement ce qu’ils apprennent au sein de leur entreprise», résume Sarah Hutton, responsable du programme.
2. Les formations universitaires et HES
Les universités et hautes écoles romandes pratiquent quant à elles des prix largement plus abordables et maintiennent un excellent niveau professoral. L’EMBA de l’Université de Lausanne dispose par exemple d’une spécialisation en management et finance d’entreprise, en collaboration avec le très réputé Swiss Finance Institute. Et son second programme, ciblé sur le management des technologies, est organisé conjointement avec l’EPFL. Lancé il y a près de trente ans, le programme bénéficie aussi d’un réseau d’anciens de plusieurs centaines de membres, issus de petites classes triées sur le volet.
Sur un modèle voisin, l’Université de Genève propose un programme en français (MBA en emploi) et son équivalent anglais (Executive MBA). On privilégiera ce dernier si l’on souhaite développer son réseau parmi la Genève internationale et les multinationales. Tous deux établissent un équilibre entre enseignement académique et participation de chefs d’entreprise.
Lancé il y a dix ans, l’EMBA de la Haute Ecole de gestion de Fribourg est quant à lui conçu en modules de deux semaines, dont un séjour à Burlington (USA), auprès de l’Université du Vermont. Organisé en collaboration avec la HES de Berne, ce programme présente l’avantage unique du trilinguisme, avec ses deux classes parallèles, donné à 60% en allemand ou en français, complété d’anglais et de la seconde langue nationale. Une exigence qui lui assure une qualité de «MBA de proximité». Eric Décosterd, responsable du programme, a par ailleurs su développer dès le départ une formation axée sur deux des principaux nouveaux défis managériaux: «La capacité à anticiper les changements, à les maîtriser au sein de l’entreprise, mais aussi le besoin d’assurer une innovation permanente.»
3. Les écoles privées locales
Dans un contexte plus régional, les cursus privés jouent également la concurrence, à des tarifs compétitifs. Le Centre de formation en management (CRPM) lausannois propose par exemple une «alternative à un Executive MBA» à travers son cours de direction d’entreprise. Un cours résidentiel organisé par modules, qui parvient à attirer un public hétéroclite malgré un niveau de prix proche des formations universitaires.
Assurances, banques, PME: les acteurs locaux ont une tendance croissante à offrir ce programme à leurs cadres supérieurs, malgré son absence de certification. «Nous n’utilisons pas le label d’EMBA afin de conserver davantage de libertés d’organisation», explique Caroline Gueissaz, responsable du programme. Le CRPM rassemble pourtant des intervenants prestigieux, comme le philosophe André Comte-Sponville et plusieurs professeurs de l’IMD voisin. «Notre programme, entièrement francophone, axé sur l’interactivité et les cas pratiques, n’a pas son pareil sur le marché romand», poursuit Caroline Gueissaz. L’intégration récente de modules de gestion de l’innovation, du leadership et de développement durable en fait une alternative intéressante aux grandes écoles, à condition de ne pas espérer un tremplin international.
A la Business School de Lausanne (BSL), associée à l’école genevoise de management et communication (ESM) au travers du groupe Lémania, le programme de formation vient d’être révisé pour intégrer ces nouveaux défis: pour faire un maximum de place aux connaissances pratiques, les matières théoriques de base ont été retirées des cours. «Ce qui fait la différence en emploi tient plus de la capacité à s’adapter aux changements, à communiquer de façon constructive et à prendre du recul. Ces «soft skills» ne s’apprennent pas dans les livres», estime Katrin Muff, doyenne de l’établissement.
Son école propose cependant des formations en ligne pour les matières mises de côté, grâce à un partenariat avec l’Université Harvard. Entièrement anglophone, le programme de la BSL n’intègre que des professeurs issus du monde des affaires, bien que 70% d’entre eux au moins soient titulaires d’une thèse. L’organisation contribue ici encore à la flexibilité du programme: «Certains participants rejoignent la classe ponctuellement, en provenance du Mexique comme de Kuala Lumpur, poursuit Katrin Muff. Ce sang neuf apporte beaucoup aux interactions. » Les volées de 15 personnes ne comptent jamais plus de 2 étudiants de la même nationalité et sont activement coachées à la recherche d’emploi durant les six derniers mois de formation.
Le programme genevois de l’ESM, quant à lui entièrement francophone, se concentre également sur «l’opérationnalité des dirigeants» et devrait être révisé sur le modèle lausannois d’ici un à deux ans. Pour ceux qui privilégient l’approche pragmatique, ces cursus privés constituent une alternative intéressante aux programmes universitaires.
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Les différents types d’écoles et leurs tarifs:
1. Les grandes écoles
IMD MBA à 85’000 francs, plein-temps sur onze mois. Programme d’EMBA à 126’000 francs pour seize mois de formation, horaires flexibles.
INSEAD MBA à 51’000 euros (75’000 francs), plein-temps sur dix mois. Programme de Global EMBA à 90’000 euros (130’000 francs), modules répartis sur quatorze mois.
2. Les formations universitaires et HES
UNIL EMBA à 25’000 francs, organisés sur quinze mois, les vendredis et samedis, une semaine sur deux environ.
UNIGE MBA en emploi et EMBA à 27’300 francs sur deux ans.
HEG-FRE MBA à 27 000 francs, modules intensifs de deux semaines répartis sur deux ans.
3. Les cursus privés locaux
CRPM Cours de direction d’entreprise à 24’800 francs, cours résidentiel, organisé par modules de quatre jours ouvrables sur une période de neuf mois.
BSL MBA à 44’800 francs, modules de trois jours répartis sur une année. Même prix pour l’EMBA, organisé les samedis sur dix-huit mois environ.
ESM MBA francophone à 31’450 francs, douze mois à temps partiel, suivis d’un travail de diplôme. Même prix et durée pour l’EMBA organisé les samedis.
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Peut-on se fier aux rankings?
Les critères donnent passablement d’importance à la réputation des formations et aux attentes du marché international.
Le Financial Times publie chaque année un classement mondial des 100 meilleurs programmes de MBA. Un ranking qui confirme la progressive ascension des offres européennes dans un univers noyauté par les grandes écoles américaines avec l’arrivée en tête de liste de la London Business School pour 2010.
Sur le plan européen, l’INSEAD se classe en deuxième position, suivi des cursus espagnols de l’IE, de l’IESE et un peu plus loin de l’ESADE (8e).
L’IMD décroche quant à elle la cinquième place, talonnée par les Business School d’Oxford (6e) et de Cambridge (9e).
A l’Association des MBA, organe d’accréditation indépendant basé à Londres, ses représentants mettent cependant en garde les candidats qui voudraient s’en remettre aveuglément aux systèmes de ranking: «Leurs critères donnent passablement d’importance à la réputation des formations, aux attentes du marché international. La prise en compte des hausses salariales à moyen terme défavorise par ailleurs les programmes les plus récents», explique Tina Vifor, porte-parole de l’association. Ce dernier élément ne présage d’ailleurs pas de la rentabilité réelle des coûts de formation investis.
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Témoignages:
Alexia Muteke-Ceppi, 37 ans
Cette consultante a choisi le programme EMBA de la Business School Lausanne en 2006. Kenyane et anglophone d’origine, elle se lance peu après la naissance de son premier enfant dans une activité indépendante dans le marketing des écoles hôtelières: «Le programme de la BSL offrait tous les outils nécessaires pour maximiser le potentiel de mon projet, me permettre de le gérer seule de A à Z. » Organisé tous les samedis sur une année, cet EMBA lui permet de s’occuper de ses enfants et de continuer à assumer son activité professionnelle. En 2008, elle rejoint la Lausanne Hospitality Consulting, une division de l’Ecole hôtelière de Lausanne, en tant que responsable de la formation continue. «Cet EMBA a eu un impact sur mon état d’esprit lorsque je me suis présentée à ce poste, il m’a donné le sentiment d’être pleinement capable de l’assumer.»
Emanuel Barblan, 48 ans
A l’âge de 40 ans, il a entrepris l’EMBA de la HEG de Fribourg en tant qu’employé du groupe Richemond. «Avec quinze ans d’expérience professionnelle, j’ai ressenti le besoin de mettre à jour mes connaissances, d’élargir mes compétences professionnelles.» Il quitte pourtant le groupe après une réorganisation en 2005, peu après la fin de son programme. «Cet EMBA s’est révélé très utile pour retrouver des opportunités et représente une belle carte de visite auprès des chasseurs de têtes.» Réintégré depuis deux ans au sein du groupe Richemond, il occupe désormais le poste de directeur de distribution (supply chain) pour la marque Panerai.
Michel Chavanne, 45 ans
Cet avocat s’est lancé dans le programme de formation de la HEG de Fribourg après plusieurs années passées dans l’administration fédérale. «Cette formation a constitué un excellent tremplin pour prendre un nouveau départ.» Associé d’un cabinet d’avocat lausannois depuis fin 2004, il aborde désormais sans problème d’ardus dossiers comptables, contrairement à la plupart des juristes classiques. Le caractère trilingue du programme s’est avéré être un plus: «De par son caractère régional, il m’a permis de constituer un réseau plus adapté à mes besoins. Celui-ci s’active d’ailleurs très rapidement en cas de recherche d’emploi.»
Yves-Claude Aubert, 46 ans
Administrateur et consultant indépendant depuis fin 2006, il a achevé le programme EMBA de l’IMD en 2002. Une formation qu’il juge déterminante dans un parcours professionnel: «Elle m’a donné la confiance nécessaire pour lancer ma propre affaire, les capacités à gérer et à analyser un business, à en placer les priorités avec suffisamment de recul.»
Max Alter, 49 ans
Il a privilégié le programme intensif du CRPM pour gagner rapidement en aisance dans sa nouvelle fonction de directeur de Migros Valais. «La dimension romande du programme permet aussi de se familiariser avec le paysage économique local.» Il vient d’initier un autre MBA à la Business School de Lausanne: «A douze ou treize ans avant la retraite, j’ai pensé qu’il n’était pas encore temps de rester confortablement assis sur mon fauteuil de directeur. Le pilotage d’une entreprise ne cesse de se complexifier. Et l’on est aujourd’hui en droit d’attendre des cadres qu’ils se forment pour rester à la page.»
Francesco Belli, 45 ans
Ce cadre a choisi le cursus de la Business School Lausanne en raison de son accréditation internationale et de la dimension intensive du programme: «Je ne pouvais pas me permettre d’y consacrer deux à trois ans.» Par un concours de circonstances, il passe en cours de formation du poste de responsable d’exploitation romand des radiodiffusions pour Swisscom Broadcasting à une fonction identique au niveau suisse. Il ne recommande cependant pas à tout le monde de se lancer dans un tel projet: «Le programme doit être en accord avec votre poste actuel, ce qui n’est pas forcément utile pour un profil jeune. Mais, pour juger de la pertinence d’un tel projet, le test ultime consiste souvent à voir si votre employeur accepter de le financer…»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan.