En 1995, un collectif d’artistes basé à Zurich lance son site etoy.com. Quatre ans plus tard, le magasin eToys.com propose de racheter l’adresse. Le refus des artistes déclenche une saga judiciaire qui illustre le conflit entre deux visions du Net.
Le Net est-il une plate-forme commerciale ou un espace de libre expression? Depuis quelques mois, ces deux conceptions d’un même réseau s’affrontent devant les tribunaux américains et donnent lieu à une incroyable saga qui passe par la Suisse.
L’agresseur s’appelle eToys.com, une start-up californienne issue de l’incubateur Idealab et spécialisée dans la vente en ligne de jouets. Fondée en 1997, la compagnie est entrée en bourse en mai 1999. Sa capitalisation boursière dépasse aujourd’hui 6 milliards de dollars. Tout est dit.
L’agressé, c’est etoy.com, un collectif d’artistes alternatifs européens dont le quartier général se trouve à Zurich. Il réunit depuis 1995 des pionniers de l’art sur le Net qui ont notamment gagné le prix «Golden Nica» à Ars Electronica en 1996.
Dans leurs créations, les artistes d’etoy n’ont pas peur d’utiliser la provocation et de singer le comportement, les méthodes et le discours entrepreneurial à des fins artistiques.
eToys et etoy co-existaient en paix jusqu’à ce jour d’août 1999 où un gosse en visite chez son grand-père cherche sur le Net des jouets pour son anniversaire et oublie le «s» en introduisant l’adresse de son site préféré.
L’enfant se retrouve sur la page d’accueil d’etoy.com qui l’invite à «télécharger ce putain de Flash» afin de visionner la dernière création du collectif. Il montre sa trouvaille à son grand-père, qui ne voit pas la différence de nom et, outré, écrit une lettre incendiaire au vendeur de jouets.
Deux semaines plus tard, le 10 septembre 1999, le magasin de jouets attaque le collectif artistique pour utilisation illégale de marque déposée et concurrence déloyale.
Ce qui corse cette banale histoire de nom de domaine, c’est que l’adresse etoy.com est très ancienne: elle a été réservée le 13 octobre 1995, soit bien avant celle d’eToys.com, enregistrée le 3 novembre 1997.
Le collectif ne peut donc pas être soupçonné d’avoir volontairement «squatté» le nom de domaine pour le revendre plus tard à un potentiel vendeur de jouets. Pour preuve, les artistes exploitent activement l’adresse etoy.com depuis leurs débuts.
De plus, le choix du nom «etoy» n’a rien à voir avec les jeux d’enfants. Il a été généré par une petite routine informatique spécialement écrite pour produire des noms de quatre lettres, affirme le collectif.
Ne voulant plus d’etoy.com dans son voisinage direct, le vendeur de jouets propose aux artistes un rachat du nom de domaine pour 500’000 dollars, les enjoignant à utiliser une adresse plus européenne comme etoy.ch. Mais les artistes, fidèles à leur esprit alternatif, déclinent la proposition en expliquant que «l’œuvre s’appelle etoy.com et vendre le nom de domaine signifierait la mort de l’œuvre».
Fin novembre, à la surprise générale, la justice californienne interdit au collectif l’utilisation de son nom de domaine ainsi que la vente aux Etats-Unis de ses «actions», des bons de participation qui financent ses activités. Cette condamnation s’assortit d’une amende de 10’000 dollars par jour de non application.
Le 30 novembre 1999, le collectif interrompt donc son site etoy.com et s’exile sur une adresse numérique. Quelques jours plus tard, malgré l’arrêt du site, Network Solutions, société spécialisée dans l’enregistrement de noms de domaine, prend l’initiative de suspendre totalement le nom etoy.com provoquant ainsi la disparition des adresses e-mail du collectif.
Les artistes reprennent espoir en apprenant que l’autorité de régulation des patentes (US Patent & Trademark Office) avait rejeté la demande d’enregistrement de la marque eToys le 15 novembre 1999.
La demande d’etoy étant toujours en cours de procédure, les deux parties sont juridiquement au même point. Les artistes décident donc d’organiser leur défense et d’attaquer eToys devant les tribunaux californiens pour obtenir la reconnaissance de son droit à exploiter la marque «etoy» aux Etats-Unis.
L’affaire ne fait que commencer. Une formidable mobilisation des internautes libertaires va faire reculer le magasin de jouets. Vous pouvez lire ici la deuxième partie de l’histoire.
