C’est une conséquence de la crise: les goûts de luxe et de clinquant se sont apaisés. Le style se fait sobre et les valeurs moins matérialistes. Enquête sur la fin du bling.
Longtemps raillé pour ses réflexes de nouveau riche, Nicolas Sarkozy a troqué sa Rolex contre une plus discrète Patek Philippe. Un exemple parmi d’autres du retour à la sobriété et au classicisme que l’on observe aujourd’hui dans tous les secteurs. Karl Lagerfeld parle de «new modesty» et même les rappeurs américains semblent se lasser des accessoires tapageurs, à en croire les costumes deux pièces conventionnels que Jay-Z ou Kanye West arboraient aux derniers Grammy Awards.
La chute de Dubaï, empire de la démesure et capitale mondiale du bling-bling, achève de démontrer cette rapide mutation des valeurs. «Nous sommes à la fin d’un cycle, où les signes de l’arrogance et du profit à tout prix sont bannis», résume Gérald Le Meur de l’agence de communication Zenith Media à Nyon. En matière de publicité, on assiste ainsi à un retour du «véridique» avec un recours moins marqué à des symboles clinquants et artificiels ou relevant de la réussite. Le discours et l’expression se recentrent au contraire sur des valeurs plus authentiques et proches du peuple.
Pour les marques, surtout dans le luxe, les maîtres mots tournent désormais autour des concepts d’écoresponsabilité, d’héritage ou de «passé vivifié». Dans le secteur horloger, sévèrement touché par la conjoncture, le tournant est particulièrement visible: l’accent est de plus en plus souvent mis sur l’objet lui-même, voire sur sa technologie, plutôt que sur le glamour ou des ambassadrices à la plastique de rêve. La récente campagne de la marque Daniel Roth, dans laquelle des enfants montent consciencieusement des jouets mécaniques, en offre une bonne illustration.
En matière de mode, même des marques peu réputées pour leur discrétion, comme Roberto Cavalli ou Dolce & Gabbana, se sont assagies aussi bien dans leur communication que sur les podiums pour leurs lignes les plus chères.
La même tendance d’un retour à plus d’authenticité s’observe dans l’hôtellerie: «On a assisté ces dernières années à une surenchère et à de nombreuses exagérations en la matière, admet Jean-Jacques Gauer, directeur du Lausanne Palace. À Dubaï, les investissements étaient parfois tels que l’on avait peur de s’asseoir sur un fauteuil… Au contraire, en Suisse romande, nous avons su adapter notre offre aux attentes de notre clientèle, dont l’échelle des valeurs s’oriente toujours plus vers la responsabilité, la solidarité ou l’écologie.» Ainsi, en matière de restauration, la clientèle huppée du palace lausannois fait aujourd’hui attention à la provenance des aliments et se «détourne de l’eau minérale en bouteille». Des attitudes inimaginables il y a quelques années.
Les considérations relatives au transport ne sont pas en reste: «Rares sont les clients encore impressionnés lorsque l’on vient les chercher à l’aéroport en limousine, poursuit Jean-Jacques Gauer. Ils relèvent en revanche l’effort si l’on utilise des véhicules moins gourmands en carburant.»
Une évolution que constate également Yves Gijrath, fondateur et directeur de la Millionaire Fair, qui lancera l’année prochaine deux nouvelles éditions à New Delhi et à Anvers: «Les crises n’ont pas que des aspects négatifs: elles permettent aux goûts d’évoluer. En l’occurrence, celle-ci a permis de revenir à des styles plus contemporains et minimalistes. Les designers étaient allés beaucoup trop loin ces dernières années pour plaire aux nouveaux consommateurs de luxe en Chine, en Inde ou en Russie. Aujourd’hui, ceux-ci ne s’intéressent plus uniquement aux prix, mais aussi à la tradition derrière les marques. L’aspect “luxe vert » est également très présent, notamment dans l’industrie automobile.»
Il suffit de s’attarder sur les ventes de voitures neuves en Suisse pour s’en rendre compte: selon l’Association des importateurs suisses d’automobiles, entre 2008 et 2009, la baisse pour les modèles de sport ou de luxe atteignait 27%, contre 10% pour le marché total. Au niveau international, une marque comme Porsche a vu ses ventes chuter de 24% durant cette même période. Quant aux exportations horlogères suisses, elles ont dégringolé de plus de 25% en moins d’un an, comme le relève la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH).
Cette baisse de la consommation d’objets de prestige s’explique en partie, selon Diana Jaffé, spécialiste en marketing des genres, par la «culpabilité que ressentiraient certaines professions, notamment dans la finance». Plus généralement, toujours selon elle, les hommes, qui cherchent davantage à «démontrer qui ils sont en société» et dont la consommation d’objets de luxe renvoie de manière plus marquée à l’affirmation d’un statut social, seraient plus concernés par le phénomène que les femmes. Celles-ci ont par exemple moins freiné leur consommation en matière de prêt-à-porter ou de maroquinerie (des secteurs certes plus accessibles que certaines voitures ou montres de luxe qui s’adressent en priorité à un public masculin). Cela se confirme par la bonne marche des affaires d’un groupe comme Hermès, dont le chiffre d’affaires est resté stable au premier semestre 2009 ou de la marque Louis Vuitton, qui a connu durant la même période une croissance à deux chiffres.
Dans un rapport détaillé sur l’état du marché mondial du luxe, le cabinet Bain & Company dresse un constat comparable. Il souligne que le secteur a enregistré une baisse de ses ventes globales de 8% en 2009 et même de 16% uniquement en Amérique. Les articles les plus ostentatoires (bijoux, montres et autres accessoires) souffrent particulièrement de la désaffection des acheteurs traditionnels, soumis à cette «honte du luxe».
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.
