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Minarets: un vote par simple agacement

Toutes les explications ont été énumérées pour rendre compte de cette forfaiture. Vote de la peur, vote de l’ignorance? Pas exactement.

On a donc l’air fin. Vous, moi, la Suisse, ce pays, ce peuple ravalé, par le mauvais coup d’un scrutin absurde, au rang des rares contrées sublunaires interdisant la construction de certains types de bâtiments religieux. Des contrées généralement exotiques subissant la dictature obscurantiste de la charia.

Donc, nous voici nous-mêmes, désormais, salement obscurantistes. Au nom bien sûr d’une lutte glorieuse contre l’obscurantisme des autres, au nom d’une leçon à donner à tous ces douteux obscurantistes venus d’ailleurs. Du coup, nous voilà aussi modérés, éclairés, tolérants et supérieurement informés que, mettons, le leader de Nahdlatul Ulama, principale organisation musulmane indonésienne, commentant ainsi le scrutin de dimanche: «Un signe de haine des Suisses vis-à-vis des musulmans».

Toutes les explications, toutes les hypothèses ont déjà été données, doctement énumérées en large et en travers, pour rendre compte de cette forfaiture. Vote de la peur, nous serine-t-on, vote de l’ignorance, gnagnagna. C’est peut-être nous faire trop d’honneur. Il semble plus probable que nous, les nouveaux obscurantistes, avons voté non par peur, non pas par ignorance mais, bien plus légèrement, et avec une grande puérilité, par simple agacement.

Agacement devant une unanimité presque effarante: ça a fini par sembler un peu suspect, tous ces partis, toutes ces églises, tous ces médias, tous ces cœurs purs rivalisant d’angélisme, pour dire d’une même voix suffisante tout le mal qu’il fallait penser d’une interdiction des minarets. Et toute l’humaine civilité, toute la douce tolérance qu’au contraire il fallait voir, ou plutôt deviner, présupposer dans l’Islam et les pratiques musulmanes.

Agacement aussi devant le discours souvent ambigu des responsables et intellectuels musulmans, dont la fameuse modération semble toujours un peu forcée et n’exister qu’en creux. Il paraîtrait même, plus l’analyse du scrutin s’affine, que nous, les nouveaux obscurantistes, serions surtout des femmes. Oui, que c’est nous, les obscurantistes de sexe féminin, qui aurions fait basculer le scrutin. Parce que plus en prise, en contact direct, via crèches et écoles, avec la montée des revendications communautaristes de la part des musulmans de Suisse, revendications qui concernent d’ailleurs souvent les femmes — voiles, piscines séparées, etc.

Sauf que tout cela, ces problèmes réels sécrétés par l’Islam, n’a rien à voir avec l’irréelle question des minarets. Le peuple suisse a donc donné une très mauvaise réponse, une réponse d’enfants gâtés, d’immatures ne maîtrisant pas leurs nerfs, à une question que l’UDC n’aurait jamais dû poser, si elle était un parti responsable, si elle était constituée d’honnêtes gens.

Le danger pour la Suisse ne vient pas tant d’hypothétiques, rares et insignifiants minarets mais bien aujourd’hui de cette UDC qui salit et dévoie la démocratie directe en l’utilisant à des fins purement électoralistes, soulevant des questions qu’elle-même, off, en catimini, à l’heure de l’apéro, Blocher le premier, reconnaît comme parfaitement anecdotiques. Le danger pour la Suisse ne vient pas des imams mais des sans-cervelle contagieux de l’UDC qui finissent par nous rendre à peu près aussi éclairés et respectables que des wahhabites.