- Largeur.com - https://largeur.com -

Les musées carburent au high-tech

large241109.jpgCinq siècles après sa mort, Jean Calvin revient faire la morale aux Genevois. Ressuscité sous forme de personnage virtuel, le réformateur s’exprime face aux visiteurs du Musée international de la Réforme (MIR) à Genève. Il s’agenouille aussi pour prier, écrit des lettres, cligne des yeux, fronce les sourcils et hausse le ton.

«C’est l’extrême modernité qui rejoint le passé, résume la directrice de l’institution Isabelle Graesslé. L’exposition a séduit le public: en 5 mois, nous avons accueilli plus de 20’000 visiteurs, c’est-à-dire autant que pendant toute l’année 2008.»

Ce projet est emblématique d’une tendance: les musées d’histoire ou d’archéologie se tournent vers les nouvelles technologies pour devenir plus attractifs. «Ces supports permettent de transmettre des informations que les visiteurs ne pourraient pas recevoir avec les méthodes traditionnelles», constate Ronan Boulic du Virtual Reality Lab de l’EPFL, spécialiste de la reconstitution de personnages dans leur environnement.

Même constat au MIRALab de l’Université de Genève, qui a réalisé le Calvin virtuel. «En reconstituant virtuellement une scène d’une autre époque, on réunit dans un même espace des informations qui sont dispersées dans des musées de différents pays», note la directrice Nadia Magnenat-Thalmann, Le visiteur ne regarde plus un objet statique: il s’immerge complètement dans un monde passé animé, comme s’il s’y trouvait. En plein essor, ce type d’approche réinvente ainsi les musées, à l’ère du numérique.

Des édifices disparus ou partiellement détruits peuvent aussi être reconstruits par ordinateur. Un projet d’envergure: l’abbaye de Cluny en Bourgogne ainsi que trois sites clunisiens en Europe — dont Romainmôtier dans le canton de Vaud — sont en cours de restauration virtuelle. «D’ici à juin 2010, le site de Romainmôtier présentera un film qui dévoilera des parties de l’église qui ont été détruites mais qui ont existé à un moment ou un autre depuis le Ve siècle», explique Michel Gaudard, président de la Fédération des sites clunisiens.

Ce dernier estime que ce travail représente un atout touristique majeur, mais aussi — sans dévoiler de chiffres –- un gain de temps et d’argent par rapport à une restauration matérielle, laquelle serait de toute manière irréalisable: «C’est une chance de pouvoir visualiser un patrimoine détruit ou remplacé par les vicissitudes de l’histoire.»

Images conformes à la réalité ou simples gadgets? «La matière première nous est fournie par des archéologues, des historiens et des conservateurs, qui, au fur et à mesure, valident notre travail, poursuit Nadia Magnenat-Thalmann. Le résultat reflète donc ce que les spécialistes savent sur un sujet.» Elle souligne aussi l’énorme potentiel de développement. «Des chercheurs travaillent sur le dialogue interactif en temps réel entre le visiteur et le personnage virtuel.»

Laurent Flutsch, archéologue et directeur du Musée Romain de Vidy, à Lausanne, souligne tout de même les limites de cette pratique. «Une image virtuelle ne véhiculera jamais autant d’émotions et d’authenticité qu’une brique ou un autre reste matériel d’une maison par exemple. Par ailleurs, lorsque l’on restitue une scène de vie du passé, certains éléments manquent; la réalité va forcément être réinterprétée et l’on risque de tomber dans des clichés.» Seules des époques bien documentées peuvent donc être reconstruites. «Il faut toujours préciser que ce n’est qu’une proposition.»

Mais les nouvelles technologies sont aussi utilisées à des fins promotionnelles, au moyen d’une application sur iPhone ou des réseaux sociaux par exemple. Axel Vogelsang, chercheur au Design & Kunst Institut Design à Lucerne, constate toutefois un retard de la Suisse dans ce domaine. «Aux Etats-Unis, les institutions culturelles utilisent les réseaux sociaux tels que Facebook depuis près de 3 ans. Les musées helvétiques s’y mettent, mais certains craignent de perdre le contrôle de leur image. Pourtant ces médias existent aujourd’hui, qu’on le veuille ou non. Autant apprendre comment en profiter.» Dans ce sens, le chercheur prévoit de mettre à la disposition des musées des experts qui les aideront à optimiser leur promotion sur le net.

Le Musée cantonal des beaux-arts vaudois (MCBA) –- qui s’installera dans les Halles des CFF à Lausanne d’ici à 2014 –- a décidé de se lancer. «Nous réfléchissons très sérieusement à communiquer sur Facebook, Twitter et à créer un blog, annonce l’actuel conservateur Bernard Fibicher. Nous devons développer ces formes d’interactivité pour attirer un nouveau public.»

De son côté, le Service de la promotion culturelle de Genève poste déjà sur You-Tube des brefs reportages sur des objets appartenant aux institutions publiques de la Ville. «Nous savons qu’aujourd’hui une tranche de la population effectue ses recherches uniquement sur des sites de vidéos, note Olivier Gay-Deslarzes, responsable du centre multimédia. Pour toucher ce public-là, il est nécessaire de parler son langage.»

Parmi les exemples de promotion efficace, Axel Vogelsang cite celui du Brooklyn Museum qui encourage ses visiteurs à poster les photos prises dans ses murs sur le Brooklyn Museum Group du site de partage d’images Flickr. Les images des collections sont ainsi diffusées à grande échelle. Mais, pour parler de réussite, le nombre de clics ne suffit pas: «Après une découverte sur Internet, l’objectif final reste de faire venir l’internaute au musée pour qu’il ait un accès réel et direct à la culture.»