GLOCAL

Comment Tchèques et Slovaques peuvent paralyser l’Europe

A quoi correspondent exactement les revendications de Vaclav Klaus qui tourmentent le sommet européen des 29 et 30 octobre? Explications historiques.

L’affaire commence à prendre des proportions inquiétantes, mais tout à fait prévisibles vu le poids de l’histoire et la personnalité du président tchèque Vaclav Klaus. Ennemi de l’Union européenne, en laquelle il voit une tutrice abusive de la souveraineté fraîchement retrouvée de son pays, il cherche par tous les moyens à empêcher la ratification finale du traité de Lisbonne.

Poussé dans ses derniers retranchements après le oui irlandais, il a imaginé de demander, avant d’apposer son indispensable signature au bas du traité, d’ajouter un codicille excluant toute future revendication des Sudètes quant à une indemnisation des pertes subies en 1945 lors de leur vigoureuse expulsion de ce qui était alors la Tchécoslovaquie.

Les Sudètes? Trois millions d’Allemands installés depuis le moyen-âge dans et sur le pourtour de la Bohême et de la Moravie où ils régnèrent en maîtres sur la majorité slave.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, lors de l’indépendance tchécoslovaque, ils optèrent pour leur rattachement à l’Allemagne ou à l’Autriche mais ne furent pas entendus. Cette frustration, ajoutée au sentiment d’être devenus des citoyens de seconde zone suite à la prise de pouvoir par les Tchèques, en fit de chauds partisans d’Hitler qui, en 1939, leur fit plaisir les annexant eux et leurs territoires au Grand Reich millénaire.

La chose fut approuvée par la Grande-Bretagne, la France et l’Italie: ce sont les tristement fameux accords de Munich qui donnent le branle à la Seconde Guerre mondiale.

En 1945, les Sudètes payèrent la lourde facture de leur ralliement au nazisme et de leurs méfaits pendant la guerre où ils ne manquèrent pas de traiter les Slaves en sous-hommes. Par une série de décrets promulgués par le président Beneš, ils furent privés de leur citoyenneté, dépouillés de leurs biens et expulsés de la Tchécoslovaquie.

Chassés pendant l’hiver, harcelés par des commandos tchèques, ils laissèrent 250’000 morts sur les routes de l’exil allemand et autrichien. Même ceux d’entre eux (il y en avait!) qui combattirent Hitler aux côtés des résistants antifascistes furent priés sans ménagement d’aller respirer l’air de la zone d’occupation soviétique en Allemagne (la future RDA).

C’est la possibilité pour les descendants de ces gens de réclamer une indemnisation pour les biens perdus que, par une manœuvre bassement dilatoire, le président Klaus cherche à empêcher. Or cette possibilité n’existe pas! Cette impossibilité est même sanctionnée par le traité de Prague de 1973 entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie.

En effet à l’époque (on était en plein dans l’Ostpolitik de Willy Brandt), les négociateurs se mirent d’accord pour ne pas entrer en matière sur ces revendications (les Sudètes d’Allemagne fédérale, bien organisés, pesaient politiquement) en arguant du fait que Beneš dirigeait un régime démocratique et que ses décrets étaient démocratiques. Leur éventuelle remise en cause était renvoyée à une future et très éventuelle Conférence de la paix chargée de mettre un point final aux désastres de la guerre de 39-45, conférence à laquelle personne ne croyait plus en 1973. Et encore moins aujourd’hui.

En remuant ce passé contesté et toujours brûlant sous la cendre des années passées, Vaclav Klaus n’ignorait pas que sa phobie antieuropéenne pouvait rallumer de dangereux conflits. Cela n’a pas manqué.

Le gouvernement slovaque vient de faire savoir qu’il soutenait la proposition Klaus à condition qu’elle s’applique aux Hongrois de Slovaquie victimes eux aussi des mêmes décrets de 1945. A une importante nuance près: leur exode a été moins massif (400’000 personnes) que celui des Allemands et il reste en Slovaquie une importante minorité hongroise qui donne par ailleurs du fil à retordre au gouvernement.

Dans la foulée, l’Autriche et la Hongrie, terres d’accueil de centaines de milliers d’expulsés, ne pouvaient rester muettes. Les deux Etats refusent que les décrets Beneš soient mentionnés explicitement dans la déclaration exigée par Vaclav Klaus. Voilà qui jette plus d’un grain de sable dans les engrenages déjà fort grinçants des institutions de l’Union européenne.

Pressé de toute part, y compris en Tchéquie où le parlement et le gouvernement sont favorables au traité de Lisbonne, le président Klaus a fini par s’abriter derrière un recours déposé auprès de la Cour constitutionnelle tchèque. Or le 27 octobre, cette Cour décidait de renvoyer son verdict d’une semaine. Sans se préoccuper outre mesure du fait que le sommet européen convoqué par la présidence suédoise les 29 et 30 octobre avait pour but essentiel de passer à l’après Lisbonne.

Que feront ces Messieurs? Les paris sont ouverts.