Beaucoup plus modeste que par le passé, le salon Telecom devrait tout de même profiter à l’économie genevoise. Enquête et radiographie de quelques prestataires de services.
«Allez demander aux chauffeurs de taxi ce qu’ils en pensent!» Le chancelier genevois Robert Hensler, grand artisan du retour du salon Telecom au bout du lac après une parenthèse à Hong-Kong., est catégorique: «Tout le monde se réjouit de Telecom.»
Dans un contexte morose, la grande rencontre biennale des télécommunications tombe en effet à point nommé cet automne pour l’économie genevoise. En termes d’impact économique, les proches du dossier parlent de 150 à 200 millions de francs, mais Geneva Palexpo se refuse à pronostiquer quoi que ce soit avant la fin de la manifestation, le 9 octobre. Il semble cependant clair que l’on sera nettement en deçà des 600 millions de revenus directs et indirects générés par l’édition 2003.
En début d’année, la tenue de la manifestation était même remise en cause. Mais finalement, «avec environ 500 exposants parmi lesquels quelques grands noms de l’industrie comme IBM, Mitsubishi ou Samsung, un total de 42 pays représentés et cinq halles sur les sept disponibles occupées, les perspectives sont assez belles», assure le chancelier. En comparaison, on comptait 911 exposants en 2003 tandis que Telecom’99, la foire de tous les records, en réunissait 1’100.
Les causes de ce repli (-45%) sont multiples. Il y a tout d’abord le passage de la manifestation au rythme biennal. Un tempo plus soutenu qui permet à Genève de bénéficier plus souvent du salon, mais qui dilue l’impact de chaque édition. Autre facteur d’affaiblissement, la concurrence d’autres foires professionnelles plus spécialisées comme le GSM Mobile World de Barcelone qui attire plus spécifiquement les fabricants de téléphones mobiles.
La crise économique, au menu d’ailleurs du forum de discussion qui accompagne la foire, a également poussé certaines entreprises à annuler leur participation ou à réduire leur train de vie. Cela au moment où le secteur des télécommunications arrive à maturité dans le monde industrialisé, ce qui oblige les marques leaders à baisser leur marge pour gagner des parts de marché. Conséquence: les entreprises ont moins d’argent à dépenser.
D’où des stands qui ne développeront pas le faste sur quatre étages avec ascenseur que l’on avait admiré lors de l’exposition de 1999 et dans une moindre mesure de 2003. Ils seront finalement assez similaires à ceux d’un Salon de l’Auto avec un rez-de-chaussée, et parfois un étage pour les négociations et autres discussions privées. C’est d’ailleurs à l’aune de ce salon qu’il faudra désormais analyser cette manifestation en pleine phase «new modesty» alors que, comme le rappelle René Lambelet, responsable de la communication de Geneva Palexpo: «En 1999, on comptait qu’en termes de retombées économiques, un Telecom équivalait à quatre Salon de l’Auto.»
Geneva Palexpo sera le premier grand bénéficiaire de la manifestation, qui devrait lui rapporter entre 5 et 7 millions, alors que son chiffre d’affaires 2008 s’établissait à 67,5 millions de francs. La foire profite par ailleurs largement à l’hôtellerie. Le président de la Société des hôteliers de Genève, Paul Muller, estime que le nombre de 5’000 chambres occupées dans la région genevoise pourrait être atteint.
«Certaines sociétés se sont décidées à venir. Des confrères m’ont également mentionné des réceptions qui vont se tenir dans leurs murs. Les choses se présentent sensiblement mieux que prévus il y a quelques mois.»
Un pessimisme qui avait poussé la société MCI Group Suisse, à qui l’organisateur (l’Union internationale des télécommunications, UIT) avait confié la gestion des chambres d’hôtels pour la manifestation, à renoncer à ce mandat. Alors qu’elle avait bloqué 8’500 chambres d’Annecy à Montreux, la société n’avait enregistré que 1’000 réservations en début d’année. «L’UIT nous a mandaté pour mettre en place un ‘housing bureau’ afin de centraliser les demandes et éviter la multiplication des intermédiaires et les surenchères des éditions précédentes. Mais nous avons pu abandonner car il était clair au début de l’année que nous ne souffririons pas de manque de chambres», raconte Richard Torriani, son directeur.
Finalement, les exposants traitent donc directement avec les hôteliers genevois, qui seront vraisemblablement les principaux bénéficiaires du salon. MCI devrait également organiser quelques événements pour de grosses sociétés lors du salon, mais rien d’aussi exceptionnel que par le passé. Telecom 2009 ne va représenter que 3% du chiffre d’affaires de la filiale suisse alors qu’il avoisinait les 50% en 1999, époque à laquelle l’organisateur d’événements était encore, il faut le noter, une petite entreprise en phase de développement.
De fait, outre les hôtels et les taxis, les entreprises qui vont le plus profiter de Telecom sont celles qui exercent les activités indispensables à sa tenue: montage de stands, gestion des déchets, etc. Par contre, les exposants réfléchissent à deux fois avant de se payer des services jugés superflus comme la décoration florale, les limousines ou les événements. En temps de crise, la poule aux œufs d’or apprend à faire des économies…
Portraits de quelques prestataires de Telecom 2009.
Mathys SA, construction de stands
Il fait chaud, très chaud en cette journée de canicule dans les ateliers de Mathys SA à Vernier. Six semaines avant l’ouverture de Telecom 2009, la cinquantaine d’employés de cette entreprise de construction d’espaces d’exposition se consacre presque exclusivement aux infrastructures de la manifestation. Principal mandat de l’entreprise: le stand de 600m2, sur deux étages, de Geneva Lake Region qui réunit des partenaires institutionnels, des entreprises privées de l’arc lémanique et un restaurant dans des modules de tailles diverses.
L’entreprise de Vernier se charge de toute la conception, du design jusqu’au montage du stand sur le site. Une dizaine d’autres stands plus modestes réalisés par Mathys accueilleront les visiteurs du salon, dont notamment celui de Swisscom, qui se contente pour cette édition d’un espace sur deux étages alors qu’on se rappelle encore des quatre étages avec ascenseurs de 1999. Preuve, s’il en faut une, que les temps ne sont plus à la fanfaronnade dans le milieu des télécommunications.
«De manière générale, les budgets sont en deçà de 20 à 30% par rapport aux éditions passées», confirme Christian Mathys, fondateur de l’entreprise familiale avec son frère Richard Mathys en 1981. Cela n’empêche pas le salon de représenter une manne très appréciable pour l’entreprise, victime, elle aussi, de la mauvaise conjoncture depuis le début de l’année.
L’entreprise compense les réductions budgétaires de ses clients par le nouveau mandat de l’UIT qui lui a confié la construction des infrastructures du salon (accueil, stand d’information, etc). Christian Mathys évalue que Telecom va représenter 10 à 12% du chiffre d’affaires 2009 de son entreprise, lequel s’établissait l’an dernier à 16,5 millions.
La plupart du temps, Mathys travaille comme sous-traitant à la manière d’une entreprise générale dans la construction. Des bureaux de design lui soumettent des plans que l’entreprise se charge de réaliser et de monter. Outre une collaboration étroite avec Geneva Palexpo sur l’ensemble des salons organisés sur le site, elle est active sur le marché régional pour les acteurs institutionnels et les PME genevoises, mais aussi pour des sociétés internationales pour tous les événements qui se déroulent dans les centres de congrès de Genève, Lausanne ou Montreux.
De grosses sociétés internationales implantées sur l’arc lémanique la mandatent également pour construire des stands dans des foires étrangères. Mathys détient une position de quasi monopole en Suisse romande. «Les seules entreprises qui exercent la même activité que nous et qui sont capables de livrer de stands clés en main se situent de l’autre côté de la Sarine», se réjouit son directeur. Autre secteur d’activité important pour la société de Vernier: l’impression numérique et le marquage publicitaire, notamment sur les bus TPG.
NEO Advertising, affichage numérique
World Telecom devrait représenter 2 à 3% du chiffre d’affaires de NEO Advertising, évalué à 3,5 millions de francs pour 2009. Plus qu’une source de revenu exceptionnelle, le salon fait figure de belle vitrine pour cette régie publicitaire, leader suisse de l’affichage numérique ou DOOH (Digital Out of Home). La société, qui avait installé, il y a cinq ans, un réseau d’écrans à l’intérieur de Geneva Palexpo, a remporté l’an dernier l’exclusivité de la concession publicitaire. A cette occasion, elle a remplacé le dispositif existant par de nouveaux écrans LCD. Mais elle n’a pour l’instant pu commercialiser son nouveau parc d’écrans que durant le Salon de l’Auto en mars.
«Nous avons été informés en avril que les travaux de rénovation du complexe, prévus pour 2011, étaient avancés à septembre de cette année, ce qui a nécessité que nous démontions nos écrans flambants neufs», explique sa directrice helvétique Olivia Gautrois-Vilais. Un concours de circonstances qui a permis à la firme de repenser sa stratégie. A l’occasion de Telecom, elle lance ainsi en première suisse un nouveau format d’écran vertical 9:16 spectaculaire à la place du traditionnel 16:9 horizontal.
«Nous avons pu vérifier par l’intermédiaire de nos filiales à l’étranger que ce format semblable à une affiche a un impact énorme.» Clou de l’installation: les cinq piliers équipés d’un mur de neuf écrans verticaux d’une surface imposante de 3,15m sur 1m80, qui viennent compléter une soixantaine d’autres écrans individuels qui ponctuent toute la superficie du salon.
Prix d’une seconde de vidéo publicitaire sur ces écrans: 900 francs. Les acheteurs se comptent parmi les exposants désireux de renforcer leur présence sur le site et des entreprises extérieures qui souhaitent toucher le public de la manifestation. «A l’heure actuelle, nous avons vendu 120 secondes de vidéo, ce qui correspond à un tiers du temps que nous avons à disposition. Le démarrage de la commercialisation était assez difficile. Depuis quelques semaines, les choses bougent enfin et ceux qui se déplacent ont de beaux budgets.»
Si, généralement, les multinationales fournissent directement le matériel vidéo à diffuser, l’équipe de créatifs de NEO Advertising peut aussi réaliser des spots d’une dizaine de secondes pour des entreprises plus modestes. Les vidéos défilent en boucle durant toute la durée de la manifestation.
Outre les centres de congrès, NEO Advertising a mis en place des réseaux d’écrans dans de nombreux points de vente en Suisse. Elle possède notamment l’exclusivité dans les supermarchés Coop. Elle a étendu son offre aux réseaux de communication interne, par exemple pour les restaurants McDonald’s qui informent, par l’intermédiaire de ces écrans. leur personnel et leurs clients.
Fondée en 2003 par Christian Vaglio-Giors et Alexandre de Senger, NEO Advertising a développé ses activités dans une quinzaine de pays dont la Chine, le Canada ou la France et s’est constitué en holding en 2007. La filiale suisse occupe une vingtaine de collaborateurs sur trois sites à Genève, Lausanne et Zurich.
Green Me 5, arrangement floral et location de plantes
Guillaume Gicquiau a repris l’an dernier l’activité de location de plantes de son ancien employeur, Geneva Palexpo Fleurs, pour fonder sa propre société: Green Me 5.
Ses liens avec le complexe de congrès genevois lui ont permis de décrocher le statut de «végétaliseur» officiel des manifestations qui s’y déroulent. Il a déjà assuré la livraison de plantes pour une dizaine de foires dont le lucratif Salon de l’Auto qui lui a rapporté entre 50’000 et 60’000 francs de contrats, soit une part « supérieure à 15%» de son premier exercice annuel qu’il n’a pas encore bouclé.
Mais à l’approche de Telecom, il s’avoue un peu perplexe. «Pour l’instant (septembre 2009), on ne m’a retourné que deux bulletins de commandes fermes. J’espère tout de même que les demandes vont approcher celles du salon Ebace de l’aviation privée, comparable en termes d’occupation des halles de Palexpo, au cours duquel j’avais loué pour 25’000 francs de végétaux.»
D’expérience, il prévoit que les demandes se précipiteront à la veille de la manifestation. «Je suis la cinquième roue du carrosse. Les plantes, c’est ce qu’on choisit en dernier, s’il reste de l’argent.» Il s’agit donc de savoir gérer les requêtes de dernières minutes.
Pour parer toute éventualité, Guillaume Gicquiau, qui travaille habituellement seul, embauche de l’aide, généralement des proches, à l’approche des grands rendez-vous. Il doit aussi prévoir des stocks conséquents dans sa serre de Carouge pour anticiper tous les besoins. «J’ai entre 400 et 500 plantes en réserve, avec à chaque fois un minimum de vingt pièces par variété.» Plutôt traditionnels dans leur choix, les exposants portent généralement leurs faveurs sur les longilignes palmiers kentia, les bambous et autre ficus.
Selon la durée du salon, il loue ses plantes entre 60 et 120 francs pièce, un prix qui inclut la livraison, la mise en place, l’entretien sur le site et la reprise. Pour l’UIT, par contre, le service est gratuit. «Il s’agit d’une forme de contrepartie en échange du contrat de partenariat sur la manifestation.» Guillaume Gicquiau assure également la livraison de fleurs qui décorent les desks et les petits salons VIP des stands, grâce au concours d’un nouveau sous-traitant, dont il tait le nom car leur contrat attend encore un paraphe.
Entre les salons de Palexpo, Green Me 5 travaillent essentiellement avec les grandes agences d’organisations d’événements et les privés pour des mariages ou des Bar Mitzvah. L’occasion pour cet ancien paysagiste, qui a travaillé pour le cinéma en France, d’exercer sa créativité. A Palexpo, il le reconnaît, c’est le business qui domine son activité: «Je fais des devis, les clients disposent.»
Serbeco, transport, tri et recyclage
Active depuis 1987 dans le transport, le tri et le recyclage des déchets, Serbeco s’est développé parallèlement au renforcement des normes environnementales. Numéro un du canton, la société genevoise occupe désormais soixante personnes sur son site de Satigny.
Geneva Palexpo, où ses bennes sont installées en permanence, fait partie de ses gros clients après les communes genevoises. Entre ces deux types de mandataires, l’activité de l’entreprise diffère sensiblement. «Un salon comme Telecom fonctionne comme un gros à-coups. Il nous force à travailler le soir et à effectuer d’énormes contorsions pour satisfaire le client», explique Jean-François Bouvier, directeur commercial de l’entreprise.
Serbeco doit en effet débarrasser les déchets du site en continu, pour éviter l’amoncellement. «Nous allons jusqu’à dépêcher un employé sur place. Quoique difficile à estimer à l’avance, le volume de déchet de Telecom devrait avoisiner les 115 tonnes, un chiffre en baisse par rapport aux éditions précédentes et qui ne devrait représenter qu’une part négligeable dans le chiffre d’affaires de Serbeco qui ne publie pas ses comptes. «Auparavant, tout était jeté et détruit. Depuis le dernier Telecom, les exposants ont pris l’habitude de réutiliser leurs stands pour différentes manifestations. Ainsi, à nombres d’exposants constants, on produit de moins en moins de déchets. Une prise de conscience a priori salutaire, même si on peut se demander si elle n’implique pas un transfert de pollution en direction des transports.»
Sur ce point, Serbeco demeure irréprochable puisque ses camions roulent au biodiesel de colza et ne relâchent dans l’atmosphère que le CO2 absorbé par la plante durant sa croissance. Autre point où Serbeco se veut responsable: l’embauche dans son centre de tri d’une dizaine de personnes en voie de réinsertion professionnelle.
Acteur du développement durable, Serbeco parvient à recycler 60% des déchets qui lui sont confiés. 15’000 tonnes de verre de la région genevoise transitent chaque année par son centre de Satigny avant d’être acheminé à la verrerie de St-Prex. Le bois qui était envoyé en Italie pour être revalorisé dans l’industrie jusqu’au début de la crise sert aujourd’hui à alimenter la chaufferie communale de Cartigny ainsi que de combustible pour l’usine d’incinération des Cheneviers. Compacté en balles cubiques, le PET est envoyé chez PET Recycling qui en fait de nouvelles bouteilles ou des doublures pour anoraks.
Des prestataires peu sollicités
Une constellation de prestataires de services gravite autour de World Telecom 2009. Tous avouent des performances moyennes et, pour les moins bien lotis, des carnets de commandes vides. Au rayon traiteurs, Expo Gourmet s’adjuge la part du lion. Cette filiale de DSR détient la concession des restaurants de Geneva Palexpo. Une présence sur place qui lui vaut en outre près de 90% des commandes d’exposants. Son directeur Gérard Agassiz évalue l’opération à 15% de son chiffre d’affaires. Les autres fournisseurs officiels sélectionnés par l’UIT: Gilles Desplanches, Philippe Chevrier, Canonica Management, Joël Theillard Traiteur SRG, Kofler et Kompanie, Compass Group, Eve.Rest, Novae Restauration, l’Hôtel Crowne Plaza et l’Hôtel Beau-Rivage se partagent les miettes.
On en sait moins sur les services de locations d’hôtesses d’accueils. L’agence officielle KNTM Concepts refuse de livrer ses chiffres. Mais ce marché est plus ouvert que celui du catering. Des concurrents comme Compétence Image et Be My Guest parviennent à placer respectivement entre 10 et 20 hôtesses, ce qui correspond pour la dernière citée à environ 5% du chiffre d’affaires annuel.
GL Limousine, qui a déjà loué une trentaine de véhicules pour l’occasion, s’attend une part de recette similaire. Aucune réservation par contre pour son concurrent nyonnais Delux Transportation, qui commence à regretter l’argent versé à Palexpo pour figurer sur le site internet des prestataires de services.
Les entreprises de décoration font également grise mine. Luminance qui loue du mobilier et des accessoires ne compte qu’une seule commande réduite. Décostructure, spécialiste de design de stands, travaille sur cinq devis importants: «Mais à trois semaines de l’événement, les clients hésitent toujours», dixit son directeur. Même son de cloche du côté de Bercher Affichage. La régie publicitaire leader sur le site de l’aéroport ne devrait afficher aucun exposant du salon, alors que l’édition 2003 avait généré près de 500’000 francs de recettes.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.
