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L’abandon du secret bancaire sort la Suisse de son isolement

L’appétit fiscal de nos voisins marque la fin d’une époque. La Suisse doit maintenant imaginer une intégration dans la société mondialisée. Analyse.

C’est, pour le positionnement de la Suisse dans le monde, un changement de cap à 180 degrés que va induire l’abandon du secret bancaire par la place financière helvétique.

Ce fameux secret qui, couplé avec la neutralité, a si longtemps fait fantasmer les grands et petits possédants de tous les pays. Or plus encore que la neutralité, le secret bancaire ne souffre aucune entorse et les combines échafaudées par les financiers de Genève, Bâle ou Zurich ne parviendront jamais à rétablir la confiance perdue.

Qui désormais après les accords récemment signés avec les Etats-Unis et prévoyant la divulgation au fisc de milliers de noms recourra aux services de nos banques pour fuir des fiscalités dévoreuses?

L’avidité d’un quarteron de dirigeants d’UBS aura ainsi non seulement fait tarir des sources de profits considérables, mais elle aura aussi dessillé les yeux de leurs confrères en leur faisant prendre conscience du peu de soutien dont ils disposent dans la population.

Prenant l’autre jour congé de ses pairs, Pierre Mirabaud, le très blochérien ex-président des banquiers privés suisses, s’étonnait de la haine que suscitent ses collègues. La réponse n’était pourtant pas difficile à trouver: depuis son invention en 1934, le secret bancaire dispensateur d’hypocrisie et de mensonge ne tourmentait pas que les consciences des clercs.

Cette disparition va donc normaliser les activités bancaires et mettre nos établissements au niveau de leurs concurrents étrangers. Il leur reste tout de même de solides atouts, à commencer par un savoir faire séculaire qui leur a, au fil des générations, attiré une clientèle fidèle.

À cela s’ajoute l’attrait, ancien lui aussi, de la stabilité politique et institutionnelle du pays. Placer de l’argent en Suisse signifie pour beaucoup qu’on est certain de le retrouver: nombre de familles de dictateurs déchus ont pu en faire l’expérience au cours de ces dernières années, à commencer par les Mobutu ou les Duvalier.

La réputation internationale de cette traditionnelle stabilité implique évidemment qu’elle soit soignée et fasse l’objet des préoccupations du monde politique. Or il faut bien admettre que depuis l’irruption du populisme blochérien dans le champ politique helvétique, la stabilité est paradoxalement mise à rude épreuve par des gens qui se prétendent les défenseurs en chef de la suissitude.

À l’heure actuelle, le danger ne vient pas tant du choc des idéologies que du jeu des partis. En se neutralisant comme ils viennent de le faire lors de l’élection de Didier Burkhalter sur le plus petit dénominateur commun, ils s’empêchent d’adapter la gouvernance du pays à l’évolution de la société. La réforme du Conseil fédéral, qui a prouvé cette année qu’il n’a plus les moyens de gouverner convenablement, est de première urgence. Or pour les politiciens, la plus impérative des urgences est de la renvoyer.

Là réside dans l’immédiat une source de troubles qui pourraient écorner notre légendaire stabilité en raison même du manque de crédibilité du Conseil fédéral.
On sait que l’effondrement soviétique et le renforcement de l’Union Européenne ont privé de sa substance le concept de neutralité. Neutre par rapport à qui puisque nous sommes entourés d’Etats qui ont totalement désactivé leurs frontières et dont les rêves guerriers cherchent un exutoire en Afghanistan?

Comme les contacts avec l’UE sont pour l’essentiel l’apanage des services économiques de la Confédération, depuis une quinzaine d’années, le Département des Affaires Etrangères se borne surtout à gérer nos relations avec les organisations internationales. Dépourvu d’objectifs dynamisants, il a choisi de miser sur la défense des droits de l’homme et la lutte contre la misère du monde en s’inspirant des leçons d’Henry Dunant, pour ne pas donner l’impression, comme le Département de la Défense, de tourner dans le vide.

Ce n’est pas la timide ouverture vers l’adhésion possible (quand?) au «club» européen esquissée dans le Rapport 2009 de politique étrangère de la Confédération qui va changer grand-chose. Considérer l’Union Européenne comme un «club» en dit hélas long sur l’assoupissement mental des hauts fonctionnaires du DFAE!

La disparition du secret bancaire, pierre angulaire du Sonderfall helvétique, qui nous singularisait au niveau mondial met encore plus en évidence la nécessité de prendre la mesure de notre petitesse et de réfléchir à la position que nous voulons occuper dans la communauté internationale, en nettoyant nos choix politiques des résidus du nationalisme fin XIXe siècle et de l’idéologie de la guerre froide.

Malgré les coups durs de ces derniers mois, nous jouissons encore d’une économie solide. C’est en l’intégrant et la confrontant loyalement à celle de nos partenaires européens que nous pourrons défendre notre raison d’être. Continuer comme aujourd’hui reviendrait à donner raison à Kadhafi.