Attaqué dans les médias, sermonné par le Vatican, bousculé sur la scène politique, le fantasque président du Conseil traverse une passe difficile. La rentrée s’annonce vive.
Trop sûr de lui, bravache et fanfaron, Silvio Berlusconi serait-il en train de creuser avec application sa propre tombe politique? On a beau être milliardaire, flatter la plèbe dans ses instinct les plus vils, donner l’impression de surfer sur d’excellents sondages, il faut tout de même garder une certaine mesure.
Au-delà des frasques néroniennes qui ont alimenté les chroniques estivales, le président du conseil vient de commettre quelques erreurs qui, soudain, mettent en évidence ses faiblesses. Sur un ring, il serait dans les cordes.
Il y a bien sûr ce voyage à Tripoli où seul chef de gouvernement de l’UE, il est allé lécher les bottes de Kadhafi, le guide de la révolution libyenne qui célèbre les quarante ans de son coup d’Etat. Porté par l’exubérance de son tempérament et la légèreté de ses vues politiques, il n’a pas compris (au contraire de Sarkozy ou Brown) qu’en ce moment précis, se faire filmer aux côtés du dictateur était, plus qu’une faute politique, une grave erreur médiatique. Que la considération qu’il portait à son hôte le déconsidérait lui-même.
Il y a ensuite une attaque violente contre quelques-uns des rares médias qui échappent encore à son emprise. En fin de semaine dernière, les avocats de Berlusconi faisaient savoir qu’ils portaient plainte pour diffamation contre le quotidien La Repubblica, coupable de lui poser chaque jour depuis des semaines les mêmes dix questions sur les frasques rapportées par la presse et le risque que ce comportement fait courir à la sécurité de l’Etat.
L’histrion prétendument diffamé par le rappel répétitif de ses partouzes géantes réclame un million d’euros d’indemnité pour le tort causé. Dans la foulée, il s’en prend aussi au Nouvel Observateur qui devrait être sous peu assigné en justice pour les mêmes raisons. Par ailleurs, la télévision publique italienne Rai (sous contrôle gouvernemental) a refusé de diffuser pour des raisons «politiques» la bande-annonce du film Videocracy, une charge contre l’empire médiatique berlusconien qui sera présenté à la Mostra de Venise.
Plus grave encore, la coalition gouvernementale est entrée en guerre avec le Vatican. Depuis quelques temps, l’Eglise ne supporte plus la politique raciste et xénophobe pratiquée par le ministre de l’Intérieur qui est aussi un des deux ou trois grands patrons de la Ligue du Nord. Le sort des Tsiganes et des Africains a enfin ému les éminences vaticanes qui le font savoir. La prolifération du fascisme rampant des organisateurs des rondes civiques dans les communes lombardo-vénitiennes crée elle aussi un malaise dans certains secteurs du clergé.
Le traitement inhumain et terroriste des réfugiés économiques qui tentent d’entrer en Italie par la mer (73 morts, 5 survivants sur un frêle esquif la semaine dernière) commence à susciter des oppositions. Elargissant le débat, le quotidien catholique Avvenire a dénoncé l’indifférence occidentale sur l’immigration clandestine, la comparant à celle qui accompagna la circulation des convois de déportés par les nazis.
Cela n’impressionne pas la Ligue du nord qui demande des poursuites judiciaires pour les cinq survivants du bateau, en application d’une loi entrée en vigueur début août qui considère l’immigration clandestine comme un délit. Cela n’impressionne pas non plus le directeur du Giornale (contrôlé par Berlusconi) qui attaque le directeur du journal catholique sous la ceinture en l’accusant à la fois d’homosexualité et de harcèlement sexuel envers la femme d’un de ses amis.
Jamais à cours d’idées médiatiques, Berlusconi espérait couvrir cette dangereuse effervescence en se faisant filmer vendredi dans la cathédrale de L’Aquila, la ville dévastée par un tremblement de terre, à l’occasion d’une fête locale du Pardon. Il comptait même y parader aux côtés d’un cardinal censé partager sa table après l’office. Mais l’invitation fut refusée.
A peine ébauchée, la rentrée politique s’annonce donc très vive. La gauche étant toujours dans les choux, les enjeux concernent la droite gouvernementale. La Ligue du Nord a toujours le vent en poupe et multiplie les provocations non seulement contre les étrangers mais aussi contre les institutions de la République en remettant en cause son unité.
Le PDL (Il Popolo della Libertà), parti berlusconien dans lequel se sont fondus Forza Italia, l’Alliance nationale de Gianfranco Fini et divers groupes mineurs, est secoué à l’intérieur par le clivage entre droite laïque et catholique. D’aucuns prétendent que le conflit avec le Vatican vise à empêcher l’Eglise de provoquer une renaissance du parti catholique au centre-droite.
Pour le moment, Berlusconi tient le coup grâce à sa télénotoriété et à la force de sa majorité parlementaire. Tout cela est fragile. S’il ne parvient pas à éviter des craquèlements visibles et bruyants, l’accentuation du chômage prévue pour l’automne devrait le mettre en difficulté. N’empêche! Le règne de cette droite bouffonne et fascisante n’est pas, pour le moment, sérieusement remis en question.
