La nouvelle ligne ferroviaire doit voir le jour d’ici à 2016. Sa mission: relier rapidement les gares de Cornavin et d’Annemasse, en desservant les pôles principaux de l’agglomération. Mais les Genevois peinent à s’enthousiasmer.
Demain, un amateur de théâtre de Coppet pourra quitter son domicile une demi-heure avant le début du spectacle donné à la Comédie, au-dessus de la gare des Eaux-Vives. Un habitant de Chêne-Bourg ne mettra que 11 minutes pour se rendre à son travail dans le quartier en pleine expansion de La Praille.
Des temps de trajet qui pourraient devenir réalité en 2016, si le projet de Réseau Express Régional (RER) franco-valdo-genevois voit le jour. Il prévoit de connecter quarante gares situées dans les deux cantons lémaniques, ainsi que dans les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie. Au centre de l’agglomération, les trains circuleront toutes les 10 minutes de 5h à 1h du matin entre Genève et Annemasse, à la façon d’un métro.
En projet depuis plus de 150 ans, la ligne Cornavin Eaux-Vives Anemasse (CEVA) n’a jamais été réalisée, empêchant la ville de se connecter à son arrière-pays savoyard par le rail. «Au cœur d’un important maillage routier depuis le Moyen-Age, Genève a complètement manqué son entrée dans le réseau ferroviaire européen en faisant de Cornavin un cul-de-sac, analyse Gérard Duc, historien spécialiste en transports publics. En la connectant avec Annemasse, la liaison CEVA lui permettra de rétablir son rôle de carrefour.»
Le CEVA, concrètement, comprend 7 gares (Cornavin, Lancy-Pont-Rouge, Carouge-Bachet, Champel-Hôpital, Eaux-Vives, Chêne-Bourg et Annemasse) et 16 km de lignes. Seulement 4,8 km de voies sont à construire, le reste devant être adapté ou dédoublé. «Relier les carrefours ferroviaires de Cornavin et d’Annemasse permettra de démultiplier les connexions régionales et internationales, précise Nicole Surchat Vial, cheffe du Projet d’agglomération genevoise. Les gares du CEVA se grefferont sur les réseaux de trams et de bus existants et deviendront des pôles centraux de mobilité.»
Une opposition farouche
Alors que les habitants du bassin franco-valdo-genevois ne sont que 12% à utiliser les transports collectifs, contre 36% en moyenne en Suisse, la mobilité de la région croît de 8% par an depuis 2000. Le futur réseau ferroviaire représente évidemment une solution pour désengorger Genève: «Le RER se révèle le moyen de transport le plus efficace dans les agglomérations urbaines de grande et de moyenne taille», observe Giuseppe Pini, de l’Observatoire de la mobilité à l’Unige.
Pourtant, les Genevois ont accueilli le projet avec froideur. «Nous avons reçu plus de 1600 recours contre le CEVA, raconte Christophe Genoud, responsable mobilité à l’Etat de Genève. C’est du jamais vu en Suisse! Cela a provoqué de la stupéfaction, voire de l’hilarité, chez nos collègues de Berne et de France voisine. Parmi ces recours, il y a ceux, compréhensibles, d’habitants qui se préoccupent des nuisances liées aux travaux. Mais il y a également ceux qui proviennent d’une partie de la population genevoise qui, historiquement, refuse de voir la ville croître au-delà de ses remparts. Lorsqu’on leur dit que Champel sera à moins de 10 minutes d’Annemasse, c’est justement ce qu’ils ne veulent pas!»
Egalement en cause, le manque de culture ferroviaire de la population: «Beaucoup de gens n’ont pas l’habitude de prendre le train, ajoute Christophe Genoud. Ils confondent d’ailleurs tram et train. Or ces deux modes de transports sont complémentaires: avec une vitesse moyenne de 15 km/h, le tram est idéal pour une desserte fine et de courte distance. Le RER roule entre 60 et 80 km/h, ce qui lui permet d’être efficace sur des trajets régionaux. Quant au Barreau Sud, le projet des opposants qui propose une voie ferrée jusqu’au cul-de-sac de St-Julien en desservant la campagne genevoise, il montre qu’ils n’ont pas intégré la notion de réseau ferroviaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce projet avait été écarté au profit du CEVA dans les années 90 (l’initiative des opposants a par ailleurs été invalidée par le Grand Conseil en 2007, ndlr).»
Les meilleurs pronostics pour le début des travaux du CEVA tablent sur 2010. Le projet est actuellement bloqué pour deux raisons. Il reste 56 recours à liquider et le Tribunal Fédéral doit décider cet automne d’une levée de leur effet suspensif. Cruciale, elle permettrait de débuter les travaux sur certains tronçons. L’autre obstacle concerne le crédit. Estimé à 960 millions au début des années 2000, le projet CEVA a vu sa facture augmenter à 1,5 milliard en 2009. A noter que Berne vient de confirmer sa participation à 57% dans le projet réévalué.
Un référendum lancé par les opposants porte sur la rallonge de crédit de 113 millions, acceptée par les députés genevois en juin dernier. La votation aura probablement lieu cet automne et les résultats s’annoncent serrés. «Si elle est refusée, ce serait un signal catastrophique pour Genève, avoue Christophe Genoud. Le RER et tous les projets connexes de développement urbain seraient plantés pour plus d’une décennie.»
