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Pierrick Sorin, la magie de l’échec

large180809.jpgCela fait toujours plaisir de retrouver Pierrick Sorin, qui s’était un peu éclipsé de la scène de l’art contemporain ces dernières années au profit d’autres projets, notamment des mises en scène d’opéra. Cet artiste vidéaste attachant s’était fait connaître par l’intermédiaire de ses autofilmages en Super 8 à la fin des années 80 où il annonçait tous les matins au réveil qu’il était fatigué.

Il présente à Genève l’une de ses plus grandes expositions depuis sa rétrospective à la Fondation Cartier à Paris au début du millénaire. Le public l’adore, peut-être parce qu’il n’a pas à chercher midi à quatorze heures pour comprendre les saynètes de l’artiste.

A Genève, Pierrick Sorin propose un hommage à George Méliès. L’inventeur des effets spéciaux au cinéma représente une forme de figure tutélaire pour cet adepte du comique de répétition, du burlesque et des trucages old school, même s’il s’en éloigne par un jeu de références plus intellectuelles liées aux arts plastiques et par un goût du doute et de l’échec qu’il cultive aussi en interview.

Monsieur Sorin, avez-vous bien dormi cette nuit?

Euh…J’avais mal au dos alors j’ai pris un médicament. Mais, en fait je me suis réveillé en pleine nuit et j’ai travaillé. Donc, même en prenant un médicament, ça n’a pas marché.

Comment gérez-vous votre statut hybride d’artiste contemporain et d’humoriste, ce statut qui vous rend à la fois éminemment sympathique, mais qui détonne dans un milieu aux questionnements pas forcément plus profonds, mais en tout cas plus sérieux?

A mes débuts, j’étais présenté surtout dans des lieux d’art contemporain estampillés comme tels à l’image du Centre Pompidou ou de la Fondation Cartier. En parallèle à d’autres artistes, comme le Suisse Roman Signer, qui joue aussi sur la poésie de l’échec, j’ai amené à ce moment-là un vent fraîcheur, un humour et une simplicité qui faisaient défaut à ce milieu. Depuis 3 ou 4 ans, je suis moins à la mode. L’art contemporain a peut-être trouvé que je jouais trop sur la magie et sur une veine populaire, que je ne me renouvelais pas assez.

Dans le même temps, je me suis orienté vers le spectacle vivant. J’ai signé la mise en scène de deux opéras au théâtre du Châtelet à Paris et à la Scala de Milan où j’utilise la vidéo avec des acteurs incrustés dans de petites maquettes, alors que sur l’écran défile totalement autre chose. Je fais du Méliès en direct avec la complicité des chanteurs. J’ai aussi envie de faire du cinéma.

Vous avez déjà un projet?

Oui, je suis censé travailler avec le réalisateur Philippe Harel, mais comme je suis sans cesse occupé par l’opéra et des expositions, cela n’avance pas. En attendant, je vais présenter au Théâtre du Rond-Point à Paris en mars 2010 une sorte de brouillon du film. La scène va se transformer en atelier d’artiste vidéo qui montre son quotidien.

Qu’est-ce que le quotidien d’un créateur a de particulier?
Il y a des voyages, des rencontres inattendues et surtout des connexions qui se font entre des choses très bêtes. Par exemple, le fait de poser une chaussette sur l’abat-jour pour la faire sécher et de se rendre compte que l’ensemble devient une sculpture, puis de se mettre à travailler autour de ce sujet. C’est l’interaction de gestes banals qui donnent des idées.

Vous présentez dans le cadre du Festival de Bâtie une série d’œuvres en forme d’hommage au génie de Méliès. Que représente pour vous cette figure des débuts du cinéma?

Je l’ai découvert tardivement, après avoir déjà fait pas mal de petits films qui jouaient sur le motif du trucage. Il ne m’a donc pas directement influencé. Mais j’ai été frappé par ses premières réalisations de 1905. Par rapport aux clips modernes, il avait déjà presque tout inventé. Par la suite, j’ai relevé une certaine parenté avec ma pratique: comme moi, il travaillait seul ou en famille, dans son propre studio et de manière artisanale.

Quelles œuvres avez-vous sélectionnées?

Il y a différentes catégories de pièces. Pour aller dans l’ordre chronologique, je montre des petits films tout simples, des courts-métrages réalisés en autofilmage, des plans fixes qui jouent sur différents personnages, en noir et blanc.

L’un des clous de l’exposition sera l’installation «Une vie bien remplie». Les spectateurs viennent sur la scène d’une salle de spectacle pour regarder des images diffusées par des écrans suspendus au-dessus des fauteuils. Je renverse donc l’utilisation habituelle de la salle. Certains dispositifs font participer les spectateurs qui ont l’impression par exemple que le siège sur lequel ils s’asseyent prend feu. A la sortie de la salle, ils découvrent qu’ils ont été filmés à leur insu sur le principe de la caméra cachée. Les pièces les plus magiques, et donc les plus proches de Méliès, sont les théâtres optiques où l’on me voit en hologramme.

Il s’agit presque d’une rétrospective, avez-vous également créé des pièces spécialement pour l’événement?

C’est vrai, Méliès fait figure de prétexte pour réaliser l’une de mes plus grosses expositions depuis une rétrospective à la Fondation Cartier à Paris en 2001. Parmi les pièces nouvelles, j’ai imaginé une installation vidéo en hommage au cinéaste. On voit des sortes de coulisses avec une lune sur laquelle je projette mon visage. A un moment la lune se met à pleurer de la peinture qui coule partout. C’est un clin d’œil au film le plus connu de Méliès «Le voyage sur la lune».

Le motif des coulisses revient souvent dans votre travail. S’agit-il par ce biais de démystifier la magie et les trucages?

Non, pas du tout, je trouve juste les coulisses poétiques. J’ai tourné un clip pour Anaïs, une jeune chanteuse française. Il s’agissait d’un travelling sous la pluie. L’image finale est jolie, mais pas d’un grand intérêt. Par contre les efforts déployés pour réaliser cette scène avec un technicien qui envoie des gouttes d’eau sur un écran reflété par un miroir alors qu’il fait beau temps, cela rappelle un dispositif de sculpture ou d’une installation vidéo et c’est beaucoup plus intéressant.

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Le travail de Pierrick Sorin est présenté dans le cadre du Festival de la Bâtie, au théâtre Forum de Meyrin, du 28 août au 12 septembre, au Centre pour l’image contemporaine de St-Gervais, du 24 août au 12 septembre et à la Salle du Faubourg du 28 août au 12 septembre.