Partisans de Nord Stream et de Nabucco se livrent un combat à fleurets mouchetés pour avoir le privilège de nous alimenter en gaz. En toile de fond, la place de la Russie et de la Turquie dans l’Europe de demain.
Pas de trêve estivale pour les marchands de gaz! A la mi-juillet, les principaux protagonistes de Nabucco se rencontraient à Ankara pour signer un accord jetant les bases de ce projet de gazoduc. Une dizaine de jours plus tard, le patron du groupe français GDF Suez était lui à Moscou pour négocier avec Vladimir Poutine son entrée dans le capital de Nord Stream.
Nabucco (dont le nom renvoie à Nabuchodonosor, un roi de Babylone qui redressa son pays douze siècles avant J.-C.) est un gazoduc visant à transporter en Europe occidentale, près de Vienne, le gaz dont regorgent des pays comme l’Irak, l’Iran, le Turkménistan ou le Kazakhstan.
Son point de départ est situé à Erzurum (Est de la Turquie). Après avoir traversé la Turquie sur 2000 km, il rejoindra l’Autriche en passant par la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. La fin des travaux est prévue pour 2015, à condition que les problèmes de financement soient résolus.
Le projet germano-russe de gazoduc Nord Stream, dont la construction a commencé il y a quatre ans, devrait être prêt l’an prochain. Décidé par le duo Poutine/Schroeder, il avait fait scandale à l’époque parce que, reliant la Russie et l’Allemagne par le fond de la mer Baltique, il évitait la Pologne et les Pays baltes, privant ces derniers de coquets revenus (droits de transit) et de moyens de pression politiques.
A la simple énumération des noms d’Etats concernés, de la Bulgarie à la Pologne, on constate qu’ils sont tous d’anciens satellites de Moscou, tous membres aussi de la Nouvelle Europe chère à George W. Bush. Mais tous n’ont pas les mêmes relations avec le Kremlin. Alors que les Polono-Baltes auraient été prêts à toucher au passage quelques dividendes, les Balkaniques préfèrent éviter tout contact avec les Russes en s’appuyant sur la Turquie, avec laquelle ils ont plus d’affinités commerciales et culturelles.
L’Europe du Nord-Est, plus pragmatique, joue la carte du réalisme. Pour sa part, celle du Sud-Est croit encore à un certain idéalisme en préférant l’option turque soutenue modérément par l’Union européenne et fortement par les Etats-Unis au projet South Stream lancé par les Russes et les Italiens. Dans ce cas, c’est par le fond de la mer Noire que le gazoduc relierait la Russie et l’Europe.
Cette bataille du gaz et des gazoducs se greffe bien sûr sur des stratégies politiques différentes. Les gouvernements allemands (de Schroeder à Merkel) jouent avec aplomb la carte de l’ouverture à la Russie. En échange des contrats gaziers, ils comptent obtenir un accès privilégié au formidable marché russe. Ce n’est qu’un retour à la politique pratiquée par Bismarck et ses successeurs avant la Première Guerre mondiale et les grands bouleversements du XXe siècle.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, sachant d’expérience qu’ils ne peuvent avoir prise sur la Russie, s’en détournent et misent sur l’intégration de la Turquie à l’Union européenne, avec au-delà des ouvertures prometteuses sur un Proche-Orient théoriquement pacifié. Il suffit d’ouvrir un quotidien pour prendre la mesure de la fragilité de leur hypothèse politique en raison de l’instabilité de l’Irak et de l’Iran.
Le ralliement tardif de GDF Suez à l’option Nord Stream n’est qu’une bouderie sarkozienne de plus. Les Français désiraient participer au projet Nabucco, mais le gouvernement turc s’y étant opposé en raison du veto mis par le président français à l’entrée d’Ankara dans l’UE, ils sont allés frapper à la porte de Poutine.
Il n’est pas sans intérêt de constater que dans ce combat de titans, Gerhard Schroeder et Joschka Fischer, qui dirigèrent ensemble la politique allemande de 1998 à 2005, sont l’un et l’autre très impliqués dans ces projets, mais pas dans le même camp. Schroeder comme, mentionné plus haut, a lancé l’accord Nord Stream. Quant à Fischer, il vient d’entrer comme expert dans le projet Nabucco.
Cela nous permet au moins de savoir qui pèse économiquement en Europe!
