Les jeunes Romands de 14 à 18 ans sont toujours plus nombreux à suivre une année de scolarité à l’étranger. En plus de la maîtrise d’une nouvelle langue, l’expérience leur apporte davantage de maturité et d’ouverture sur le monde. Témoignages.
«Lorsque j’étais toute petite, j’ai dit à mes parents qu’un jour j’apprendrais à écrire comme les Chinois.» Amandine Jaeger est en passe de tenir sa promesse. Depuis la mi-septembre, cette Vaudoise de 18 ans suit pour une année sa scolarité à Lanshou, dans la province du Gansu.
«C’est incroyable de voir avec quelle aisance les calligraphes chinois tracent des signes. Mais, malgré toute ma bonne volonté, je me trouve encore bien incapable de les imiter après sept mois passés ici.» Comme Amandine, près d’un millier de jeunes Suisses âgés de 14 à 18 ans, suit chaque année une année de gymnase à l’étranger. «C’est une expérience de vie extraordinaire», souffle Noémie Guyot, 18 ans, partie en 2007 en Nouvelle-Zélande avec l’organisateur AFS.
L’objectif principal de ce type de voyage reste d’apprendre une nouvelle langue: «L’enseignement scolaire permet aux élèves d’assimiler le vocabulaire et la grammaire, explique Stéphanie Tschäppät, responsable du bureau lausannois de l’organisateur de séjours linguistiques Education First (EF). Mais pour parler vraiment une langue, pour que le déclic se produise, rien ne vaut un séjour à l’étranger, une immersion totale dans le pays.»
Au retour, la différence de niveau est manifeste: «Lorsque je suis partie, j’étais absolument nulle en anglais, rigole Julie Huissoud, qui a passé 11 mois dans l’Ohio (USA) en 2005. Maintenant, rien ne me fait davantage plaisir que de regarder un bon film en version originale!»
«Les jeunes et leurs parents plébiscitent majoritairement les pays anglophones, note Isabelle Heughebaert, responsable pour la Suisse romande chez AFS. Néanmoins, je leur conseille toujours d’investir sur une autre langue, parce que l’anglais est accessible partout. Les jeunes pourront donc l’apprendre plus tard.»
A côté des Etats-Unis et de l’Angleterre, longtemps eldorados du voyage linguistique pour les Romands, les destinations se diversifient: Chine, Inde, Japon, Afrique du Sud, Europe de l’Est, Amérique du Sud… les jeunes Romands partent désormais aux quatre coins du monde. «Je voulais aller le plus loin possible, raconte David Etienne, 18 ans, qui vient de passer six mois en Argentine. Mon objectif était d’apprendre une autre langue que l’anglais.»
Mais l’acquisition d’une langue étrangère n’est pas le seul bénéfice de ce type de séjour. «Après plusieurs mois dans un pays étrangers, les jeunes reviennent changés, dit Peter Von Wartburg, responsable de l’antenne romande de l’organisation Youth For Understanding (YFU). Ils rentrent en Suisse beaucoup plus matures et sûrs d’eux-mêmes.» «À la maison, on est habitué à avoir maman qui fait tout et les amis qui sont là quand ça ne va pas, explique Antonnela Peluso, partie un an aux Etats-Unis avec AFS. Là, on se retrouve seul dans un pays inconnu. On est obligé de se débrouiller par ses propres moyens.»
L’expérience peut se révéler ardue pour un adolescent. Depuis la Chine, Amandine Jaeger ne cache pas les problèmes qu’elle rencontre: «Question difficultés, c’est sûr, je ne suis pas déçue! J’ai atterri dans un pays dont je ne connaissais rien. Et je ne peux compter que sur moi-même… Chaque jour, je suis confrontée à des problèmes nouveaux qu’il me faut résoudre. A chaque fois, je dois me demander comment contourner ces obstacles ou comment m’en accommoder.»
Pour être sûr que les adolescents supporteront ce saut dans l’inconnu, les organisateurs de voyage sélectionnent soigneusement les jeunes candidats au départ. «La personne doit être suffisamment mature et disposer d’un certain niveau dans la langue du pays d’accueil. Généralement, deux ans de pratique scolaire au moins sont requis, explique Isabelle Heughebaert d’AFS. Ensuite, nous organisons un entretien pour tester la motivation du candidat, pas celle de ses parents!»
Les organisations tentent ensuite de trouver la famille d’accueil qui corresponde le mieux aux aspirations du jeune voyageur: «Récemment, nous avons fait le bonheur d’une fille qui adore les chevaux, raconte Julia Steiner, directrice de l’Agence du même nom. Nous lui avons trouvé une famille qui réside près d’un manège, afin qu’elle puisse continuer son loisir préféré.»
Malgré ces précautions, il n’est pas rare que des jeunes abandonnent avant la fin de leur séjour: «Chaque année, sur les 30 personnes que nous plaçons, une ou deux rentrent prématurément, compte Peter Von Wartburg, d’YFU. Les raisons sont diverses: problèmes médicaux, familiaux, personnelles ou difficulté d’adaptation, tous les cas de figure se présentent.»
En cas de problèmes, les jeunes disposent généralement sur place d’un parrain ou d’une marraine pour les aider. «Lorsque j’ai débarqué dans le Minnesota (USA), je suis tombé dans une famille de militaires, très froide et distante. En plus la maison était très sale, raconte Antonnella Peluso. J’ai vite compris que je ne pourrais pas vivre un an dans un tel endroit. Ma marraine m’a alors hébergé chez elle pendant deux semaines, avant de me trouver une autre famille vraiment super!»
Ces difficultés ne doivent pas décourager les candidats au départ: à leur retour, les jeunes sont pour une grande majorité extrêmement satisfaits: «Je recommande un tel voyage à tout le monde, c’est une véritable aventure, souligne David Etienne. Pendant mon séjour en Argentine, il y a eu une crise économique. Les paysans ont bloqué l’ensemble du pays. Habituellement, il s’agit d’événements que l’on suit à la télévision sans réellement les comprendre. Là, j’y étais. J’ai découvert une autre culture, une manière de vivre et une nourriture différentes. C’était extrêmement enrichissant.»
«Nous insistons beaucoup sur l’aspect culturel, précise Isabelle Heughebaert, responsable Suisse romande chez AFS. Notre projet est d’ouvrir les jeunes à d’autres conditions de vie que celles qui existent en Suisse.» Le retour au pays, après avoir découvert tant de choses, n’est d’ailleurs pas toujours aisé: «Rentrer à la maison? C’est ça le plus dur, estime Noémie Guyot. Après un an en Nouvelle-Zélande, la Suisse me semble bien fade.»
Combien ça coûte?
«Six mois en Argentine m’ont coûté environ 8’000 francs, sans compter l’argent des sorties sur place, constate David Etienne, 18 ans. Ce n’est pas un voyage donné! Heureusement que mes parents ont accepté de payer.» La Suisse romande compte cinq organisations qui mettent en place des voyages pour les 14 à 18 ans, à titre non lucratif: AeA, AFS, Into, Rotary Club et YFU. Parallèlement, des sociétés à but lucratif comme EF, ESL et l’agence Julia Steiner, complètent l’offre. Dans tous les cas, le coût dépend de la destination et de la durée du séjour. Chez YFU par exemple, il faut compter 10’950 francs pour passer 11 mois aux Etats-Unis, 8’900 francs en Allemagne et 8’800 francs en Afrique du Sud. Ces prix comprennent la nourriture et le gîte offerts par la famille d’accueil. A cela s’ajoute les frais de sorties et d’achats divers. «Tout dépend aussi de la famille dans laquelle on tombe, souligne Antonnella Peluso, partie un an aux Etats-Unis avec AFS. Certaines familles très aisées payent tout. Ce n’était pas le cas de ma famille d’accueille, donc j’ai dû débourser pas mal d’argent de ma poche: environ 150 dollars par mois.»
Paroles de jeunes voyageurs
David Etienne, Fribourgeois de 18 ans, parti 6 mois en Argentine avec AFS: «Mon grand frère avait découvert la Bolivie grâce à AFS. J’avais envie de faire comme lui. Longtemps avant le départ je me réjouissais de partir et puis, plus la date a approché et plus j’ai eu peur! Peur de tout quitter, ma famille, mes amis, ma copine… Finalement, je me suis envolé vers l’Argentine début 2008. Au début, c’était assez dur: je m’ennuyais, il faisait chaud, ma vie en Suisse me manquait et puis parler en permanence dans une autre langue, c’est très fatigant. Après trois semaines, l’école a débuté et tout s’est arrangé. J’ai rencontré des jeunes de mon âge, très ouverts, qui m’ont invité partout. Hélas, dès que l’on commence à vraiment s’habituer à sa nouvelle vie, il faut déjà la quitter!»
Noémie Guyot, 18 ans, de la Chaux de Fonds, partie 1 an en Nouvelle-Zélande avec AFS: «Je voulais partir très loin dans un pays que je ne connaissais pas. J’ai choisi la Nouvelle-Zélande. J’ai d’abord débarqué dans une famille indonésienne qui parlait très mal anglais. Au bout d’un mois, je suis partie. J’ai alors vécu pendant deux mois chez un responsable AFS, avant que celui-ci ne me trouve une autre famille. C’était une famille géniale, avec qui je garde toujours contact. Là-bas, le système scolaire n’est pas très exigeant, donc c’est assez facile de suivre des cours dans une autre langue. Grâce à ce voyage j’ai gagné en maturité et j’ai perdu ma timidité. J’ai également découvert une autre culture. C’est une expérience extraordinaire! Le plus dur, au final, reste le retour. J’ai constaté que mes amis, qui sont restés ici, n’avaient pas changé autant que moi pendant mon voyage.»
Julie Huissoud, 20 ans, partie 11 mois dans l’Ohio (USA), avec YFU: «Le premier jour, on a l’air un peu bête! Bien sûr, les gens sont très patients, mais on ne comprend pas tout et on ne sait ni que faire, ni comment le faire. Par exemple, dans le village où je résidais, il n’y avait pas de transports publics. Ca a l’air très bête, mais cela m’a décontenancé. En Suisse, j’ai l’habitude d’aller où je veux par mes propres moyens. Là, j’étais complètement dépendante de ma famille d’accueil. Au bout de trois mois, j’ai commencé à rêver en anglais, je m’étais enfin mise dans le bain. Ce voyage m’a permis de voir mes limites et de développer mes capacités d’adaptation. Désormais, je vais beaucoup plus facilement vers les autres. Si c’était à refaire, je n’irais pas aux Etats-Unis. C’est un pays dans lequel on peut se rendre n’importe quand dans sa vie. Je choisirais un endroit plus difficile d’accès et dans lequel on parle une autre langue que l’anglais.»
——-
Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.
