CULTURE

Un cinéma réactif et tridimensionnel

Films en relief, transmissions d’événements en direct, offres de luxe… L’industrie du cinéma est en pleine mutation. Enquête auprès des distributeurs suisses.

Depuis son invention à la fin du 19ème siècle, le cinéma n’a cessé d’évoluer: apparition du son, puis de la couleur, innovations en termes de prises de vue, de montage ou de techniques de projection… La manière de réaliser, mais aussi de consommer les films s’est radicalement transformée au fil des ans. Une évolution qui se poursuit aujourd’hui grâce aux technologies numériques.

Propagation de la 3D
Les producteurs et les gérants de salles testent aujourd’hui diverses pistes afin de prévenir une désaffection future du public. Parmi elles, la 3D a fait une entrée remarquée ces derniers mois dans les salles équipées du matériel adéquat.

Plus convaincante que les vieilles lunettes bleu et rouge, cette nouvelle technologie, qui permet de voir en relief, reste cependant coûteuse: l’investissement pour diffuser de tels films s’élève à 100’000 francs par projecteur numérique, auxquels s’ajoutent 10’000 francs de matériel additionnel pour permettre la projection en 3D et 100 francs par paire de lunettes (prêtée à chaque spectateur). Pour couvrir ces coûts importants, le groupe Pathé, qui compte en Suisse 70 écrans, a décidé de majorer le prix du billet d’entrée de 4 francs.

«L’année 2009 sera une année test lors de laquelle nous allons vérifier la réaction du public, précise Brian Jones, directeur général pour la Suisse. Nous verrons notamment combien de lunettes vont disparaître et à quel rythme nous pourrons les amortir.»

Le relief, qui concerne aujourd’hui essentiellement les films d’animation, va s’étendre aux films classiques (en Suisse, dès cet hiver, avec «Avatar» de James Cameron). D’un point de vue technique, l’effet est surprenant. Il s’intègre si bien aux images, qu’au bout de dix minutes de visionnement, le spectateur en viendrait presque à ne plus le remarquer.

«La différence est en revanche très nette lorsque l’on revoit un film en 2D par la suite», dit Brian Jones. Les limites de l’effet 3D se situent surtout au niveau du cadre même de l’écran: celui-ci «casse» l’effet d’immersion. Pour s’en mettre plein les yeux, il est donc vivement recommandé de s’assoir assez près de l’écran, voire au premier rang. A moins de transformer les salles et de les équiper d’écrans à 180 degrés…

En cas de réponse positive des spectateurs, est-il envisageable qu’à terme la 3D s’impose face à la 2D, au même titre que la couleur a supplanté le noir blanc ou le son le muet? «Je pense que les deux vont coexister, dit le Britannique, qui a notamment travaillé dans le domaine de l’automobile, de la publicité et du marché de l’art. Certains films d’auteur pourront se passer de la 3D, d’autres n’auront tout simplement pas les moyens d’investir dans cette technologie. Ce qui est certain, en revanche, c’est le remplacement du 35mm par le numérique. Plus facile à manipuler, il offre une meilleure qualité de son et d’image sans que le film ne s’abime au fur et à mesure des projections.» Le processus de transition devrait s’achever d’ici 3 à 4 ans dans les salles du groupe.

Projections d’événements en direct
Une autre grande piste de développements futurs est à chercher du côté des retransmissions par satellite d’événements en direct. Les salles Pathé proposent déjà en live des opéras produits par le Metropolitan Opera de New York, qui diffuse ses représentations depuis 2 ans dans diverses salles à travers le monde et sur le Net.

Moyennant une communication adéquate avec le public, notamment en ce qui concerne l’annonce des dates et des heures de diffusion, le concept pourrait s’étendre aux pièces de théâtre, aux concerts et aux grandes manifestations sportives.

«Au-delà de la taille de l’écran et de la qualité du son et de l’image, nous voulons surtout offrir une expérience unique au public. Les gens auront toujours besoin de sortir de chez eux pour assister à des spectacles en groupe.» Dans ce but, l’industrie réfléchit à des moyens d’accroître l’interactivité avec les spectateurs (notamment par le biais de l’éclairage ou de vibrations dans les sièges synchronisées à l’action du film, par exemple).

Salles haut-de-gamme
L’offre d’un service de luxe compte également parmi les déclinaisons futures. A Dietikon, Pathé propose déjà des projections au prix d’une quarantaine de francs par billet. Les salles disposent de 40 sièges larges, depuis lesquels les spectateurs peuvent commander à boire et être servis durant le film en toute discrétion.

Un encas leur est également proposé avant la diffusion du film. Ce type d’offre pourrait se développer uniquement sur les balcons et s’adresser plus directement aux entreprises ou aux sponsors. Dès cet été, l’ouverture d’une salle haut-de-gamme est prévue à Bâle. En cas de succès, l’expérience pourrait par la suite se renouveler à Genève.

«Le public alémanique a tendance à dépenser plus, à prévoir ses sorties à l’avance et à réserver ses places dans la salle depuis internet. Il est donc beaucoup plus facile d’y prévoir le lancement et le développement de nouveaux projets.» Pour la clientèle jugeant le prix d’entrée actuel d’une place de cinéma trop élevé (18 francs pour un adulte), le groupe mise sur les abonnements mensuels ou annuels permettant de réduire considérablement les prix unitaires.

Jeux vidéos: partenaires et concurrents
Dernière grande piste de développements potentiels: le jeu vidéo. Les synergies entre le cinéma et cette industrie, dont l’intérêt au sein de la population jeune ne cesse de croître, se développent toujours plus. «Les univers du jeu vidéo et du cinéma continuent à être étroitement liés, confirme Eric Simonovici, du webzine français Overgame.com. L’un continue à faire appel à l’autre, qu’il s’agisse de jeux adaptés de films ou le contraire. On note cependant depuis un an une tendance relativement nouvelle: certains éditeurs privilégient désormais avant tout la création d’univers cross-média capables d’être déclinés en jeu vidéo, bien sûr, mais aussi en bande dessinée ou en film.»

Dans les années à venir, les jeux vidéos représenteront ainsi le principal concurrent pour les salles de cinéma: «Microsoft se réjouissait il y a un an et demi d’avoir battu les records de vente établis par le blockbuster «Spider-Man 3» avec son «Halo 3», poursuit Eric Simonovici. Les machines elles-mêmes brouillent les pistes: outre le jeu pur, elles s’imposent désormais comme de vrais centres multimédia connectés, permettant de télécharger, voire même de diffuser des films, des épisodes de séries télé et des bandes-annonces cinéma en streaming.»

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.