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Le casse-tête des écoles privées lémaniques

«L’école ferme définitivement ce soir. Nous sommes désolés.» En janvier dernier, les parents d’élèves du Lycée français de Genève ont eu la mauvaise surprise de recevoir ce message laconique. Du jour au lendemain, l’école privée qui accueillait leur bambin a clos ses portes, laissant sur le carreau dix-sept enseignants et, aussi, quarante élèves.

Pour éviter ce genre d’écueil, mieux vaut bien choisir son établissement. «Beaucoup d’écoles privées de l’arc lémanique sont des machines à sous, peste Sandra Biver, épouse du bouillonnant CEO des montres Hublot et mère de trois enfants scolarisés à l’Ecole nouvelle de Suisse romande (ENSR). Ce sont des établissements qui ne se préoccupent que de faire de l’argent, sans penser à l’éducation des jeunes. Sur leur site Internet, ces écoles vous en mettent plein les yeux mais, en réalité, beaucoup ne tiennent pas leurs promesses.»

Alors, comment trouver la bonne école privée? Devant l’offre pléthorique proposée en Suisse romande, répondre à cette question relève du casse-tête: chaque établissement possède sa propre vision pédagogique, conduit à des diplômes particuliers, offre plus ou moins de suivi…

Bref, après un choix complexe, de nombreux parents finissent dépités par de mauvaises expériences: «J’ai été tellement déçue par les écoles privées dans lesquelles j’avais placé mes enfants auparavant qu’à une époque j’ai pensé à créer mon propre établissement!», dit Sandra Biver.

Une autre mère poursuit: «J’avais placé ma fille dans une école privée très prestigieuse et très onéreuse, pour être sûre qu’elle réussisse ses études. Elle n’a pas supporté la discipline trop stricte de l’établissement et cela s’est très mal passé.»

L’école est-elle reconnue?

Lors de la fermeture du Lycée français de Genève, les parents d’élèves se sont tournés vers les autorités françaises afin de trouver une solution pour leurs enfants. Et là, stupeur: en dépit de son nom trompeur, l’établissement n’était pas reconnu par l’Etat français. «Dès juin 2007, nous avions attiré l’attention sur le fait que ce lycée n’était pas homologué, souligne Norbert Foerster, président de l’Association genevoise des écoles privées (Agep). En outre, cette école ne faisait pas partie de notre association.» Choisir un établissement membre des associations faîtières – l’Agep dans le canton de Genève ou l’Advep dans le canton de Vaud – offre certaines garanties. «Toutes les écoles membres de l’Agep possèdent un certificat de qualité reconnu par la Fédération Suisse des écoles privées», souligne Norbert Foerster. L’Office cantonal d’orientation scolaire vaudois conseille également de vérifier que l’école a obtenu un label. «Par exemple, les certifications Eduqua ou ISO qualifient des institutions remplissant des critères minimum», précise l’Office.

Maturité, baccalauréat ou un autre diplôme?

L’Ecole Moser à Genève ne prépare ses élèves qu’à la maturité Suisse, le Rosey à Rolle ne conduit qu’aux Baccalauréat français et international, tandis que d’autres écoles, comme l’Institut Monte Rosa à Montreux, ne proposent que des examens anglo-saxons comme l’IGCSE (International General Certificate of Secondary Education). Parmi cette diversité, quel diplôme choisir pour son enfant? «Généralement, les parents Suisses vont plutôt orienter leurs enfants vers la maturité, les français vers le baccalauréat et les couples d’autres nationalités vers le baccalauréat international ou les diplômes anglo-saxons», note Nicolas Catsicas, directeur pédagogique de l’Ecole nouvelle de Suisse romande (ENSR). En effet, pour les enfants souhaitant poursuivre leurs études en Suisse, le choix s’oriente naturellement vers la Maturité fédérale, qui ouvre les portes de toutes les universités et EPF (Ecole polytechnique fédérale).

En revanche, pour les élèves qui ne souhaitent pas nécessairement étudier en Suisse, la réflexion peut être différente. Dans l’Union Européenne, le baccalauréat français permet l’accès à toutes les universités européennes et américaines. Avec mention, il ouvre également aux bacheliers les portes des universités suisses. Pour ceux qui n’auraient pas la mention (au moins 12 sur 20 de moyenne) des examens d’entrée ardus sont toutefois nécessaires. Le baccalauréat international (BI), quant à lui, est assez reconnu, même s’il faut vérifier auprès des pays ou universités pour être sûr de sa validité.

Outre cet aspect, l’orientation vers un baccalauréat ou une maturité peut se faire selon d’autres critères: «La maturité est un examen très complet, où l’élève doit maîtriser treize disciplines différentes pour réussir, poursuit Nicolas Catsicas. A l’inverse, le baccalauréat international (BI) est plus anglo-saxon dans sa philosophie. L’élève ne choisit que six matières, qu’il approfondit davantage.» En d’autres termes, si un enfant est passionné par la physique, par exemple, mais qu’il déteste la géographie, mieux vaut choisir une école qui propose le BI. «Ma fille déteste les mathématiques ce qui l’empêchait de facto d’obtenir la Maturité, raconte le père de Mathilde, une enfant scolarisée à l’ENSR. Nous l’avons donc orientée vers le BI, qui lui ouvrira les portes de toutes les universités.» Par ailleurs, «le BI propose beaucoup de travaux pratiques, alors que la maturité – et le baccalauréat français – sont davantage théoriques, estime Marc Paloma, directeur du Collège du Léman. Pour les enfants très créatifs, je conseille donc toujours le BI.»

Enfin, certains établissements délivrent leur propre diplôme. «Nous délivrons un certificat de capacité interne non reconnu par les institutions, reconnait Philippe Mossu, professeur de français à l’école Steiner de Lausanne. Si les élèves souhaitent obtenir une maturité, ils doivent faire un an de raccordement dans un autre établissement avant de se présenter.»

Ecole suisse ou internationale?

«Le mélange de nationalités reste la caractéristique la plus précieuse de notre école, dit Marc Paloma, directeur du Collège du Léman. Dans nos classes se mélangent 120 nationalités, ce qui apporte une richesse culturelle très importante pour les enfants. Chez nous, des valeurs comme la tolérance et le respect de l’autre s’imposent de manière naturelle.» Mais cette mixité culturelle n’est pas sans poser problèmes.

«Mon enfant était dans une école internationale mais j’ai fini par la changer d’établissement, raconte une mère suisse. Il y avait de plus en plus d’élèves qui arrivaient sans connaitre ni le français, ni l’anglais, ce qui baissait le niveau des classes.» Pour limiter les phénomènes de bandes liés aux nationalités, certains établissements ont choisi d’introduire des quotas: «Depuis les années 1980, nous limitons à 10% le nombre d’élèves qui viennent d’un même pays ou d’un groupe de pays voisins», dit Philippe Gudin, le directeur du Rosey.

Par ailleurs, dans les écoles internationales, beaucoup d’élèves ne restent qu’un ou deux ans, le temps que dure la mission ou le mandat de leur parent en Suisse. La pédagogie de ce type d’école est donc souvent définie pour facilité le passage vers d’autres établissements internationaux. A l’inverse, les écoles plus ancrées en Suisse accueillent souvent des élèves du début jusqu’à la fin de leur scolarité, ce qui permet un meilleur suivi. «L’ENSR est clairement une école régionale: 60% de nos élèves sont Suisses et nous revendiquons un fort ancrage lausannois, met en avant son directeur. Par ailleurs, les 40% d’étrangers que nous accueillons sont les enfants de parents qui souhaitent s’installer durablement en Suisse.»

Eduction stricte, libertaire ou alternative?

«Chaque année, au moins un élève est expulsé, pour une faute inexcusable qui peut être le vol ou la consommation de stupéfiants. Toutes les drogues sont interdites ici. Comme sur le Tour de France, nous réalisons des dépistages salivaires et urinaires sur des élèves pris au hasard. En cas de test positif, l’exclusion est immédiate. Les élèves le savent, ils ont signé des codes qui sont très clairs sur ce point.»

Philippe Gudin ne s’en cache pas: au Rosey, la discipline est stricte. «Nous disposons de tout un arsenal de sanctions en fonction de la gravité de la faute. Pour des désobéissances comme ne pas ranger sa chambre ou arriver en retard, les sanctions vont être, par exemple, de nager quarante minutes à 6 heures du matin dans la piscine, éplucher les patates ou ramasser les feuilles mortes.» Même son de cloche à Champittet: «Nous offrons à nos élèves une pédagogie traditionnelle et structurée, explique Roland Lomenech. Les parents et les enfants doivent adhérer à cette culture, propre à notre école.»

Certains parents et enfants recherchent ce type d’encadrement très conservateur, voire à caractère religieux. Père de trois enfants scolarisés à Florimont et président de l’Association des parents d’élèves de l’Institut Florimont (Apef), Antoine Maillard apprécie la rigueur de l’établissement: «L’ambiance est très chaleureuse et les enfants sont toujours très bien encadrés ce qui représente un gage de sureté. La confession catholique de l’établissement était également importante pour nous.»

A l’opposé, d’autres établissements tentent de responsabiliser les élèves en évitant les sanctions. «Si un élève sèche les cours, nous ne le sanctionnons pas, explique Jean-Jacques Le Testu, directeur pédagogique de la Mutuelle d’études secondaires, à Genève. Nous essayons de les responsabiliser un maximum pour les préparer à ce qui les attend à l’Université.» Ce système se révèle à double tranchant, témoigne un ancien élève de la Mutuelle: «Personnellement, j’étais un peu rétif à l’autorité, et cette très grande liberté m’a aidé. J’ai obtenu mon baccalauréat international facilement. Mais cela demande une motivation personnelle sans faille. Certains élèves ont complètement lâché. Comme ils n’avaient pas d’obligation d’être présent aux cours, ils ont fini par ne plus venir du tout.»

A l’Institut Monte Rosa de Montreux, on mise également sur la responsabilisation: «Les jeunes ont le droit à l’erreur, explique son directeur Bernhard Gademann. Si l’on sent que l’élève a compris sa bêtise, nous lui proposons de définir lui-même sa sanction. Et généralement, ils sont beaucoup plus sévères avec eux-mêmes que nous le sommes!» Les écoles Steiner, quant à elles, ont aboli le redoublement: «Chez nous, il n’existe ni classement, ni compétition, et nous ne donnons pas de notes avant le secondaire supérieur, explique Philippe Mossu. Les élèves accomplissent tous leur scolarité sans redoubler.»

Quelles langues sont enseignées?

L’atout principal des écoles privées demeure l’apprentissage des langues. «Le système public ne permet pas aux élèves de devenir véritablement bilingues, estime Birgit Sambeth-Glasner, avocate genevoise. Lorsque mes deux enfants quitteront l’école Moser, ils seront quasiment trilingues.» En plus, certains établissements proposent l’apprentissage de langues exotiques. Au Rosey, par exemple, treize langues différentes sont proposées. Le Collège du Léman enseigne le chinois et l’ENSR le russe… «Il existe un véritable intérêt pour ces deux langues, qui ont un fort potentiel», constate Marc Paloma du Collège du Léman.

Tous les directeurs ne sont pas d’accord sur l’intérêt de tels apprentissages: «Nous ne rentrons pas dans les phénomènes de mode comme l’enseignement du chinois ou du russe, dit Alain Moser de l’école homonyme. S’il n’y a pas d’échange, cela ne marche pas. Pour bien apprendre une langue, il faut la pratiquer!» L’Ecole Moser insiste donc davantage sur l’anglais, le français et l’allemand. «Nous possédons une école à Berlin, ce qui nous permet d’effectuer des échanges d’élèves», poursuit Alain Moser. Une pratique également courante à l’école Steiner. «Dès la 9e, nous proposons à nos élèves la possibilité de partir 3 ou 5 mois dans une autre école Steiner, explique Philippe Mossu. Une opportunité pour partir loin, puisqu’il en existe dans presque tous les pays du monde…»

Ecole élitiste ou ouverte à tous?

Aucune école ne se revendique ouvertement comme élitiste. Mais dans la pratique, certains établissements sélectionnent massivement leurs élèves. Le premier écrémage se fait évidemment par l’argent: placer son enfant au Rosey, où l’écolage annuel s’élève à 80’000 francs, n’est pas possible pour tout le monde. «Mon seul regret vient du fait que mes enfants soient au milieu d’un sérail qui ne correspond à l’ensemble de la population, concède Birgit Sambeth-Glasner, mère de deux enfants scolarisés à l’école Moser (dont l’écolage est de 20’000 francs par élève). Le système privé fait qu’il n’y a pas de brassage social.» «Dans certains internat internationaux, poursuit Sandra Biver, les élèves sont comme dans une secte. Ils passent toutes leur scolarité entre eux, ils sont choyés, mais lorsqu’ils se retrouvent dans la « vraie vie », c’est très dur pour eux de s’adapter, parce que tout y est différent.»

L’Ecole Benedict, dont les prix oscillent entre 13’000 et 16’000 francs par an, figure parmi les moins chers de l’arc lémanique. «Cela ne veut pas dire que nous offrons de moins bons services, précise d’emblée Eric Zürcher, son directeur. Cela nous permet d’avoir une population socioéconomique plus étendue, ce qui est un avantage. Certaines mères font des ménages pour offrir notre école à leurs enfants.»

La sélection aux portes des écoles privées se fait également sur les résultats scolaires. «Le dossier académique des années antérieures est très importants dans le choix d’un élève, souligne Marc Paloma, directeur du Collège du Léman. Si nous avons un doute nous voyons les enfants et nous leur faisons éventuellement passer des tests.» Bref, si votre enfant est un cancre ou un élève turbulent, beaucoup de portes d’écoles privées lui seront fermées, à double tour.

Mais pas toutes. «Pour entrer à la Mutuelle d’études secondaires, il faut disposer d’un niveau de 9e, explique Jean-Jacques Le Testu. Mais si un élève n’a pas le niveau requis, nous n’allons pas pour autant le refuser. Ce qui compte, c’est la motivation.» Un mode de fonctionnement partagé par l’Institut Monte Rosa: «Nous ne sommes pas élitiste. Tous les enfants ont le droit de recevoir la meilleure éducation possible, explique Bernhard Gademann. Notre école s’adapte au besoin de chaque élève, et non l’inverse.» Certains établissements, comme La Passerelle à Vésenaz, se sont même spécialisées dans l’accueil des enfants présentant des difficultés d’apprentissages.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan.