La Corée du Nord fera-t-elle la guerre au reste du monde? A lire les dernières dépêches, cela n’est pas impossible. Elle se donne en tout cas des airs de matamore dignes d’un torero agitant furieusement sa cape sous le nez de la bête qu’il se propose de vaincre. A cette différence — énorme si l’on s’y arrête un instant — que le toréador est connu de ses aficionados, ses défauts ont été mille fois analysés, sa psychologie aussi.
De la Corée du Nord, nous ne savons rien, ou presque. Un peu plus de 20 millions d’habitants, une dictature rigide et impitoyable, des bombes et des missiles, des soldats et des flics partout, la famine récurrente, et?
Même un photographe aussi curieux que Nicolas Righetti, qui y a pourtant séjourné à diverses reprises, est incapable de définir l’âme nord-coréenne, de transmettre autre chose que l’hyperréalisme que son œil doublé d’une camera capte dans les rues de la capitale. Tout est figé. Gens et choses semblent participer du même vide immobile qui relève des abîmes interstellaires plus que de l’humaine condition.
Alors que la mondialisation a submergé la planète depuis plus d’une décennie en fondant sa réussite sur l’extrême développement des réseaux de communication, le mystère nord-coréen est un défi aux oscillations médiatiques, aux vibrations du monde, aux trépidations de ceux qui pensent maîtriser l’information. Ce mystère-là est en somme la négation de notre être au monde, de la société des humains telle que la majorité d’entre eux l’entendent.
La preuve? L’image déplorable répandue par les spécialistes universitaires et autres observateurs qualifiés convoqués par les médias pour commenter l’actualité. Chez eux, la vacuité ampoulée le dispute aux affirmations sentencieuses peinant à cacher l’ignorance la plus crasse.
N’étant pas plus savant que mes confrères, je me bornerai à quelques constatations. Il s’agit premièrement de prendre acte du fait que les Etats qui refusent d’entrer dans le concert des nations sont de plus en plus nombreux.
Il y a bien sûr en première ligne la Corée du Nord, pays hermétique, vraisemblablement doté de la bombe. Ses gesticulations actuelles remettent en cause les équilibres de l’Extrême-Orient : le Japon et la Corée du Sud (donc les Etats-Unis comme garants militaires depuis la guerre) plus la Chine et la Russie qui ont une frontière commune avec la Corée. Cela signifie que toutes les grandes puissances — sauf l’Europe — sont directement impliquées par ce qui se passe à Pyongyang.
En second lieu, l’éclatement du Proche-Orient s’approfondit de jour en jour. Tous les dangers s’accumulent autour de trois puissances nucléaires, l’Iran, le Pakistan et Israël dont les gouvernements sont de moins en moins contrôlables, au Pakistan par sa déliquescence, en Iran et en Israël par leur extrémisme.
Enfin, la situation de faiblesse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’administration Obama est très dangereuse. Un premier signal a été donné il y a trois semaines au Proche-Orient. Depuis lors, la claque donnée au président par le Congrès dans l’affaire de Guantanamo et la morgue affichée par Netanyahu en visite à Washington prouvent que la droite américaine, sonnée par sa défaite électorale, s’est réveillée et reprend l’offensive avec l’appui du lobby militaro-industriel et de la hiérarchie militaire.
Cet affaiblissement probablement conjoncturel de la présidence Obama profite tant aux petits chefs qui dirigent l’Iran et la Corée du Nord qu’à ceux qui, à l’intérieur des Etats-Unis, veulent la peau d’un président honni.
C’est dire que la paix dans le monde se retrouve aussi menacée qu’aux pires moments de la guerre froide, début des années 1960 (crise de Berlin) et début des années 1980 (crise des missiles). Comme il n’y a plus de volonté de conquête chez les grandes puissances, le danger se polarise sur les trublions de bas étages, les Kim Jong-il, Netanyahu, et autres Ahmadinejad. L’été sera très chaud.