Un problème quasi folklorique (la possibilité pour les naturalisés d’helvétiser leurs noms de famille) révèle un travers politique récurrent: escamoter la vie concrète au profit de principes peut-être généreux mais parfaitement vides.
Velupillai Prabhakaran: pas facile de retenir le nom du chef suprême des Tigres tamouls, à la une de l’actualité pourtant depuis quelques jours. Pour sa mort présumée, après 27 ans de guérilla, abattu par l’armée cinghalaise alors qu’il fuyait à bord d’une ambulance. Que dire alors des 1’500 Tamouls suisses manifestant leur désarroi devant l’ONU à Genève? Des noms imprononçables, inaudibles, ajoutés à une discrétion forcenée: nous ne savons pas qui sont ces gens-là.
Les Tamouls de Suisse – 46’000 au total – ont été pris en exemple, avec les Balkaniques, par une curieuse initiative qui a provoqué de curieuses réactions: le postulat de la socialiste bâloise Anita Fetz souhaitant donner aux naturalisés la possibilité d’«helvétiser leur nom». Au motif qu’un nom un peu trop exotique ou biscornu – le président de l’association Forum Tamouls Suisse s’appelle ainsi Atchuthar Maalmarugan – pouvait s’avérer professionnellement et socialement plutôt handicapant, voire carrément discriminant.
Il est amusant qu’un autre exemple d’helvétisation de patronyme donné par Anita Fetz soit hongrois: un Mészaros naturalisé suisse pourrait ainsi devenir Metzger – proche de la signification de Mészaros – ou Messer – avec ici une traduction qui s’appuie plutôt sur la consonance. Amusant parce que des dizaines de milliers de Hongrois ont de lointaines origines allemandes et qu’au cours du XXe siècle la «magyarisation» des noms de famille y a été massive. Et qu’il est bien possible que les grands-parents de ce Mészaros-là se soient effectivement appelés Metzger ou Messer.
Cette proposition de bon sens – laisser cette possibilité de changer de nom qui ne violenterait pas outre mesure une législation exigeant simplement de justes motifs – a pourtant donné lieu à une réponse plutôt inepte du Conseil fédéral et des réactions hostiles de parlementaires – essentiellement à gauche – guère plus honorables.
Que dit le Conseil fédéral? Qu’une légère modification d’orthographe pourrait largement suffire. Notamment pour les nombreux patronymes balkaniques, en transformant par exemple un «ic» très ex-yougoslave en un «itsch» sonnant un peu plus alémanique. Qui se souvient en effet que le conseiller national Daniel Jositch a des origines balkaniques et que son vrai nom était Josic?
Certes lorsque l’on est motivée et née femme, tout devient plus facile. La conseillère nationale UDC Iveta Gavlasova a simplement pris le nom de son mari lucernois et occidentalisé son prénom: là voilà désormais Yvette Estermann.
Mais il s’agit là d’un cas un peu extrême et l’argumentation principale du Conseil fédéral sombre dans la mauvaise foi:«La priorité ne doit pas être donnée à l’adaptation du nom mais aux efforts de sensibilisation et de lutte contre les discriminations afin que les préjudices liés au nom soient évités.» De la pure langue de bois politiquement correcte pour éviter de faciliter la vie au jour le jour des confédérés affublés d’un nom imprononçable ou disgracieux pour des oreilles européennes.
C’est la même idéologie sourde au concret et à l’intérêt pratique des gens qu’articule le Vert genevois Antonio Hodgers: «Au lieu de critiquer et de lutter contre les discriminations liées aux noms de famille, on demande aux gens de renier un héritage familial et héréditaire.»
En attendant que l’hydre de toutes les discriminations soit définitivement terrassée, plusieurs générations d’Atchuthar sont priées d’aller se faire voir, de rester avec la solide consolation de leur patrimoine «familial et héréditaire».
Le sujet certes n’est peut-être pas d’une importance bouleversante, mais néanmoins très révélateur d’une manière de refuser le débat sur un simple problème pratique. Et cela au nom de grands principes aussi creux que ronflants, qui deviennent prétexte à l’inaction et au statu quo. Le contraire de la générosité sous l’emballage de la générosité.
La loi précise parmi les «justes motifs» de changement, un nom qui causerait «un préjudice long et durable», «exposerait à la moquerie» ou serait «continuellement mal prononcé». Des critères suffisamment larges. Mais avec la réponse obtuse du Conseil fédéral, il semble bien, contrairement à ce que prétend le quotidien «Le Temps», que seul Monsieur Hitler ou Madame Conne pourront continuer de troquer facilement leurs lourds patronymes.
