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Quelle place pour la culture?

Quand il s’agit de parler économie, la culture est systématiquement absente. C’est d’autant plus regrettable que ce secteur pèse plus que l’horlogerie ou la chimie.

Belle réussite, une fois de plus, pour le Forum des 100 organisé par L’Hebdo sur le site universitaire de Dorigny à Lausanne. Les acteurs de l’économie romande ont pu se rencontrer, discuter, ébaucher des projets. Comme le note Alain Jeannet, rédacteur en chef de L’Hebdo, dans son édito du 7 mai, «ce qui continuera, malgré les pressions, de faire la force de cette région, de Genève à Porrentruy, c’est son extraordinaire biodiversité économique, pardonnez l’expression. L’horlogerie, la chimie, la gestion de fortune, le tourisme, les fabricants de machines coexistent avec les jeunes pousses bio, clean ou nanotech.»

Dans son énumération, il oublie la culture. Encore arcboutés sur une conception traditionnelle de ce qui fait la richesse des nations, les analystes contemporains n’arrivent pas à intégrer la culture dans le calcul du PIB, ni de la considérer comme un secteur de l’économie parmi d’autres, plus porteur peut-être que les autres. Dans les plaisants raouts où se retrouve le beau monde qui compte, les cultureux sont invités au compte goutte, comme figurants.

Or figurer ne signifie pas exister, ainsi que ne manquerait pas de le proclamer Christophe Gallaz, le seul intellectuel pur sucre dont la trombine réjouie se perd au milieu des «people» efficaces dans les trois pages illustrées publiées dans le numéro du 14 mai, au moment du bilan. Gallaz en danseuse des 100 Romands qui comptent, c’est jouissif, mais cela ne dit rien sur le poids économique réel de cette culture où il s’est forgé une belle notoriété à la force de sa plume.

Un politicien, le conseiller aux Etats Luc Recordon, s’est penché sur ce problème l’hiver dernier. Conscient qu’un renforcement de l’industrie culturelle pourrait contribuer à atténuer l’impact de la crise économique, il a déposé en décembre 2008 une motion très intéressante. Soulignant que «le domaine de la culture est traditionnellement sous-estimé lorsqu’il s’agit d’engager des fonds publics», Recordon affirme que «le contexte actuel est donc idéal pour réparer avec pertinence ce manque. Il s’agit d’examiner toutes les manières de favoriser les diverses branches de la culture, qui sont d’un enrichissement considérable pour la prospérité du pays au sens le plus large, y compris en tenant compte de l’effet de levier de la culture sur une consommation intérieure digne d’intérêt et sur le tourisme. Les secteurs concernés sont les plus variés: cinéma, théâtre, écriture, danse, musique, beaux-arts, photographie, édition et impression, etc.»

Faut-il préciser que la motion a été prestement balayée en février par un Conseil fédéral jamais à court de langue de bois?

Pour tenter de faire prendre conscience du poids de la culture, Recordon s’appuie sur les travaux de Christoph Weckerle de la Haute Ecole des Arts de Zurich, un chercheur qui applique dans son analyse les critères officiels du SECO. Il avance (selon 24 Heures du 11.02.09) que l’industrie culturelle représente 4,2% du PIB, plus que l’industrie horlogère ou que la chimie (!) et occupe environ 200’000 personnes. Laissant de côté les institutions contrôlées par l’Etat, ces chiffres ne prennent en compte que les activités culturelles privées (intellectuelles et manuelles), allant des musées et théâtres à l’imprimerie et à la presse, en passant par le cinéma ou la musique.

Pour situer la place de la Suisse par rapport à ses voisins le site Cultural Policies analyse et compare les politiques culturelles européennes. Indubitablement, ce secteur de l’économie est en pleine progression. Eclaté, fragmenté, il est peu visible, sauf pour le consommateur qui lui consacre une part coquette de son budget.

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Gérard Delaloye vient de publier « L’Evêque, la Réforme et les Valaisans (XVIe et XVIIe siècles) », coédité par le Hier+Jetzt et le Musée d’Histoire à Sion. 148 pages et une quarantaine d’illustrations. 39 francs