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«La Suisse entrera dans l’Union européenne»

Suite de la série consacrée à l’avenir de la Suisse: selon Alain Berset, le système politique va évoluer vers un système majorité/opposition. Le pouvoir de Berne sera renforcé, au détriment des cantons. Dont le nombre va se réduire.

Pascal Sciarini, directeur du Département de science politique à l’Université de Genève, résume la complexité des prédictions en matière de politique. «Lorsque l’on évoque la politique suisse en 2029, une question fondamentale se pose: dans l’Union européenne (UE) ou en dehors? Si la Confédération entre dans l’UE, un certain nombre de modifications institutionnelles interviendront. Sinon, la politique pourrait ressembler fortement à ce qu’elle est aujourd’hui.»

«En 2029, l’Union européenne existera toujours et la Suisse y aura adhéré par réalisme, prédit Alain Berset, président du Conseil des Etats (PS/FR). Au terme d’âpres négociations, les Suisses auront accepté par référendum d’entrer dans l’UE. Je pense que nous aurons obtenu d’excellents résultats lors de ces négociations, qui nous permettront de maintenir la démocratie directe et de rester institutionnellement assez proches de ce que nous sommes aujourd’hui, avec deux chambres.»

Un avis partagé par Pascal Sciarini: «L’entrée dans l’Union européenne ne devrait pas tout bouleverser. Elle ajoutera un étage au-dessus, un peu comme lorsque les cantons ont créé la Confédération. En revanche, nous ne pourrons plus décider dans tous les domaines: l’agriculture, par exemple, sera soumise à la politique agricole commune.»

«Notre devise, le franc suisse, existera probablement toujours en 2029, affirme Alain Berset. Tant que Londres n’aura pas abandonné la livre sterling, nous conserverons notre monnaie.»

Les prévisions d’autres experts divergent sur la possibilité de l’entrée de la Suisse dans l’UE à l’horizon 2030. Le politologue Andreas Ladner, professeur à l’IDHEAP (Institut de hautes études en administration publique), estime que «l’entrée de la Suisse dans l’UE dans les vingt prochaines années est peu probable. Je n’y crois pas.» «Il y aura une nouvelle votation populaire et les citoyens répondront non, prédit l’ancien conseiller national, Claude Frey (PRD/NE). Nicolas Sarkozy dira alors qu’il faut que la Suisse réfléchisse et revote: dès lors, ce sera définitivement fini!»

Europe ou non, la Suisse adaptera sa politique d’ici à 2030, afin de mieux répondre aux défis de la mondialisation. «Le système actuel est trop complexe, il y a trop de niveaux intermédiaires, souligne Andreas Ladner. Pour répondre aux questions internationales, le pouvoir de Berne sera renforcé, ainsi que celui des communes, tandis que les cantons risquent de perdre de leur influence.»

«Vingt-six cantons, c’est trop! En 2030 il y en aura moins, estime Andreas Ladner. C’est un changement qui peut intervenir très rapidement. Il y a encore quinze ans, il était absolument tabou de parler d’une éventuelle fusion de cantons. Aujourd’hui, l’idée est dans l’air du temps.»

«Si, mais seulement si, les populations en question sont d’accord, il y aura effectivement une diminution du nombre de cantons, tempère Alain Berset. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’en 2030, la politique intercantonale aura été largement modifiée. Il y a un tel besoin de coopération entre les cantons, dans les transports, dans les infrastructures culturelles, les universités, etc., que ceux-ci ne pourront plus agir seuls.»

Au niveau régional, le nombre de communes devrait aussi diminuer dans les vingt prochaines années. «Entre 1999 et 2009, le nombre de communes dans le canton de Fribourg est passé de 242 à 168, souligne Alain Berset. Je pense que ce mouvement de concentration devrait se poursuivre. Le pouvoir des grandes communes, à l’image de Zurich ou de Genève actuellement, va se renforcer.»

«D’ici à 2029, nous allons sortir de la formule magique, estime Andreas Ladner. Un peu à la manière de ce qui s’est passé avec Christoph Blocher. Les membres qui s’intègrent mal ne seront plus élus.» Cette mutation a d’ailleurs déjà commencé. «La formule magique a duré de 1959 à 2003. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dedans, explique Alain Berset. Je pense que les membres du Conseil fédéral seront élus davantage sur un véritable programme, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.»

Pascal Sciarini va plus loin: «Dans vingt ans, le système de concordance aura atteint sa limite. Nous ne serons pas forcément dans un système gouvernement/opposition comme en France ou aux Etats-Unis. Je pense qu’il y aura une grande coalition au pouvoir, comme il existe en Allemagne. Nous ne verrons plus réunis au sein d’un même gouvernement l’UDC et le PS, ou des partis pro et anti-européens.»

«En 2029, le Conseil fédéral sera constitué de plus de sept membres, estime Pascal Sciarini. Pour répondre à la fois aux questions internationales et nationales, il comptera soit plus de personnes, soit nous aurons un gouvernement à deux étages avec des secrétaires d’Etat.» Pour peser à l’étranger, le pouvoir du président sera renforcé.

«La présidence sera toujours tournante en 2029, prévoit Alain Berset, le mandat sera peut-être plus long afin de mieux répondre aux impératifs internationaux. Tous les partis auront complètement intégré les réflexions environnementales. Le développement durable ne sera pas seulement au cœur de tous les programmes politiques comme aujourd’hui, il sera effectivement mis en œuvre.»

A tel point que Pascal Sciarini n’hésite pas à le dire: «Les Verts seront au gouvernement.» Les partis en eux-mêmes pourraient d’ailleurs ne plus être ceux que l’on connaît actuellement. «Les électorats du Parti socialiste (PS) et des Verts sont très proches. Il est possible que d’ici à 2030 ils aient fusionné», poursuit Pascal Sciarini.

«De la même façon, à droite, j’ai du mal à imaginer qu’en 2030 les Partis radical (PR), démocrate-chrétien (PDC) et libéral (PL) continuent de coexister en même temps», souligne Andreas Ladner. Quant à l’UDC, va-t-elle rester aussi forte qu’aujourd’hui? «Son potentiel n’a pas tellement augmenté depuis 1995, explique Pascal Sciarini. Sa marge de progression est limitée. De plus, ses résultats dépendent beaucoup de la personnalité de Christoph Blocher, qui n’est pas éternel. Je m’attends donc à un tassement des résultats de l’UDC dans les prochaines années.»

«Nous voterons évidemment tous via Internet. Plus que cela, ce média aura considérablement modifié la relation entre le peuple et la politique, estime Andreas Ladner. Les électeurs sauront davantage se servir des outils en ligne. Ils seront mieux informés des problématiques et seront donc plus attentifs.»

Par ailleurs, «les Suisses de l’étranger disposeront de représentants au parlement», prévoit Alain Berset. Quant aux étrangers vivant en Suisse, s’ils disposent déjà du droit de vote dans certains cantons, ce mouvement devrait s’étendre. «La plupart des cantons auront donné le droit de vote aux étrangers et les procédures de naturalisation auront été simplifiées, estime Alain Berset. De manière générale, la Suisse sera davantage ouverte sur le monde.»

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Profil

Alain Berset, 37 ans, préside le Conseil des Etats depuis décembre 2008 où il siège depuis 2003 sous les couleurs socialistes. Docteur en sciences économiques, il s’est spécialisé dans le développement économique régional et les migrations. Il s’est fait connaître dès 2000 en étant actif au sein de l’Assemblée constituante fribourgeoise.

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Extrait d’une série, cet article a été publié dans PME Magazine à l’occasion des 20 ans de la publication, en mai 2009.