KAPITAL

Fairtilizer: pour l’avenir de la musique

Olivier Rosset pilote depuis Genève un site de distribution musicale en pleine croissance, qui commence à secouer l’industrie du disque. Rencontre.

Bienvenue dans le futur de la musique. Lancé depuis Genève par Olivier Rosset, le site Fairtilizer s’impose piano mais crescendo comme la plate-forme de référence pour la production, l’écoute et la commercialisation en format digital de ce qu’on appelait autrefois le disque.

A destination des professionnels de la musique, mais aussi des fans qui le fréquentent de plus en plus, Fairtilizer s’apparente à une vaste bibliothèque musicale où tous les titres sont disponibles en streaming, mais aussi parfois en téléchargement légal.

On l’associe inévitablement à Myspace, sauf que Fairtilizer propose de nombreuses fonctionnalités supplémentaires parmi lesquelles un chart fondé sur le nombre d’écoutes de chaque titre et les votes des utilisateurs, la possibilité d’enregistrer et de publier des playlists, des espaces réservés aux professionnels, une ergonomie et surtout une vitesse de lecture étonnantes.

Avec 500’000 internautes qui visitent 10 millions de pages par mois, on reste encore loin du trafic mensuel du poids lourd Myspace qui dépasse les 100 millions de visiteurs. Mais chaque jour sa bibliothèque de 30’000 titres s’enrichit d’une centaine de morceaux. L’augmentation des inscrits, au nombre de 100’000, progresse aussi de manière exponentielle.

Wunderkind de la production musicale, le fondateur de Fairtilizer est un trentenaire qui partage son temps entre Genève, Paris et New York. Tombé dès l’adolescence dans l’industrie du disque, il a gagné ses galons en produisant le premier album du groupe de rap français 113, vainqueur de deux victoires de la musique en 2000. L’homme d’affaires Richard Branson l’embauche alors pour s’occuper des labels Chronowax et V2 où il œuvre jusqu’en 2003, signant des artistes comme Antony & The Johnsons, White Stripes ou Bloc Party.

C’est au sein de ces structures qu’il pronostique l’effondrement de l’industrie traditionnelle et décide de créer Fairtilizer, un site qu’il réalise grâce au savoir-faire technique du développeur web Jean-François Groff, un des pionniers d’internet au CERN. Aujourd’hui, Fairtilizer emploie une escouade de spécialistes des différents genres musicaux aux quatre coins du globe et cherche à s’imposer comme la première cyber-maison de disque de l’ère digitale.

En quoi se démarque votre site des sites d’écoutes de musique en ligne comme Deezer?

Les deux sites n’ont rien à voir. Sur Fairtilizer, ce sont les artistes ou leur maison de disque qui publient les morceaux ce qui règle d’emblée les problèmes de droits. Les artistes gardent l’entier contrôle sur leur production et peuvent privatiser leur contenu. Cette fonctionnalité leur permet de stocker des démos ou des morceaux avant la sortie officielle par exemple. Aujourd’hui, il n’y a que Fairtilizer et Myspace qui proposent ce mode de fonctionnement.

Qu’est-ce qui vous motive dans ce projet?

Au début, je l’ai lancé comme un projet annexe. Mais aujourd’hui j’ai lâché toutes mes autres activités car j’ai l’impression d’avoir quelque chose de très gros entre les mains. La tournée mondiale de Justice a réuni 1,4 millions de spectateurs. Il y a dix ans, il fallait vendre quatre fois plus de disques pour rassembler autant de monde au cours de la tournée. Or, Justice n’a écoulé que 80’000 albums ! C’est un signe fort de la révolution qui a lieu en ce moment dans l’industrie. Notre but est de nous substituer aux maisons de disques en offrant les mêmes services, de la production à l’écoute en passant par la promotion. Sauf qu’au contraire d’une maison de disques, notre modèle peut croître de manière exponentielle sans coût supplémentaire. Nous publions en une journée autant d’artistes qu’une major en signe en un an. A mon avis, tous les morceaux seront bientôt doté d’un URL. Chaque passage radio en streaming, chaque lecture sur un ordinateur ou sur un téléphone portable influencera alors les statistiques qui seront plus parlantes que les statistiques de vente.

Comment se développe le site?

Il a grandi énormément l’été dernier lorsque le groupe anglais Bloc Party l’a utilisé pour son nouveau single comme canal de diffusion à destination des médias. Le morceau était protégé par un code qui a été distribué à la presse spécialisée et aux radios pour écoute. La maison de disques, qui envoie habituellement un CD sous forme physique, a ainsi économisé énormément d’argent et a pu contrôler qui lisait le fichier. En retour, cela a généré du trafic et des commentaires élogieux pour le site. L’hebdomadaire musical anglais NME l’a élu parmi les dix meilleurs sites musicaux du web.

Est-ce que ce projet rapporte de l’argent?

Non, nous avons décidé d’attendre encore un peu avant de le monétariser. Je pense qu’il faut croître de manière stable pour ne pas imploser. Nous travaillons donc toujours selon un système d’invitation ce qui nous permet d’opérer un tri parmi les utilisateurs et de construire une communauté aux goûts musicaux pointus. Nous collaborons par contre avec iTunes sur un gros projet et, lorsque nous ouvrirons le site à tous, nous intégrerons certains services payants. Nous allons aussi héberger prudemment de la publicité, mais je réfléchis encore à sa nature car je ne veux pas imposer de réclame sur les pages des artistes.

Votre site propose pour l’instant de la musique de qualité en rock, rap, et en electro. Ne craignez-vous pas que vos charts ressemblent au Top 50 à partir du moment où le nombre de visiteurs aura dépassé le stade des initiés?

Non, car on parle ici de deux types très différents de consommateurs de musique. Quand on regarde les charts des sites de téléchargement en ligne, on remarque qu’ils se singularisent franchement du Top 50. L’un concerne la consommation des plus jeunes, l’autre renseigne sur la consommation des plus âgés. Aujourd’hui, on assiste à un étonnant phénomène de relocalisation de la consommation de disques. Les hit-parades américains, français, espagnols et japonais se différencient énormément en mettant en avant les artistes nationaux. Seul peut-être un Kanye West transcende les barrières culturelles. On revient à une situation semblable à celle des années 50. L’ère de la superstar mondiale est révolue.

Le classement du site qui s’établit grâce aux votes des internautes fait émerger certains noms. Est-ce que des artistes ont atteint la notoriété grâce à ce principe?

Il s’agit d’un point très difficile à déterminer, mais clairement Santogold et Crystal Castles qui ont employé la plate-forme dès leurs débuts en ont profité. De même que Passion Pit dont on a commencé à beaucoup parler avant même la sortie de leur album. Mais les artistes trouvent aussi d’autres intérêts à fréquenter Fairtillizer. J’ai reçu par exemple un message du groupe Chromeo qui disait qu’il avait trouvé un remixer sur le site. De même, Rick Rubin, le producteur de Red Hot Chili Peppers, raconte qu’il a découvert de nombreux groupes sur Fairtilizer.