Prêter son argent à des particuliers, et recevoir la totalité des intérêts plutôt que d’en laisser les trois quarts à son banquier. En Grande-Bretagne, le concept de Zopa profite de la crise en zappant les intermédiaires.
«Jeune pompier cherche à emprunter 15’000 livres pour acheter une nouvelle voiture.» «Je me marie en juin et j’aimerais emprunter 6’000 livres à un taux maximal de 15%.» «J’ouvre un bar au centre de Londres et il me manque 10’000 livres d’investissement.»
Finies les confidences entre quatre yeux avec son banquier. Sur Zopa, une plateforme de prêt et d’emprunt en ligne, on expose ses besoins financiers au grand jour car ce sont les internautes qui jouent les créanciers.
Depuis son lancement en 2005, le site Zopa (acronyme de Zone Of Possible Agreement) connaît un succès grandissant en Grande-Bretagne. «Nous comptons 220’000 membres et avons déjà prêté près de 30 millions de livres à environ 6’000 personnes en quatre ans, résume Giles Andrews, 42 ans, directeur général et cofondateur de Zopa. Rien que pour 2009, nous nous attendons à prêter 30 millions, peut-être même davantage car notre expansion est très rapide actuellement.»
L’idée est simple. Le principe de Zopa consiste à se passer de l’intermédiaire d’une banque en matière de prêt et d’emprunt. Une solution financièrement avantageuse pour tout le monde puisque la personne qui emprunte s’en tire avec un taux meilleur marché que celui fixé par la banque, tandis que le prêteur a le privilège de fixer lui-même son taux.
«Nous estimons que les emprunteurs paient environ 20% de moins que s’ils empruntaient cet argent dans une banque. Quant aux prêteurs, leur taux de rendement a été de 9% ces douze derniers mois, et de 10% ces six derniers mois. Comparez cela avec les taux d’épargne de 2 ou 3% proposés par les banques», glisse Giles Andrews.
Mais les avantages financiers n’expliquent qu’une partie du succès de Zopa. Son aspect social joue aussi un grand rôle.
«Lorsque nous mettions notre concept sur pied en fin 2003, eBay était déjà le plus grand détaillant mondial. Nous en avons conclu que les gens aimaient négocier directement avec d’autres gens, et qu’ils préféraient souvent devoir faire confiance à un individu plutôt qu’à une grande institution.» Zopa propose donc deux options, suivant l’importance que l’on porte au côté social.
Dans le volet «listings», l’emprunteur écrit lui-même son profil en y joignant parfois une photo. Il explique à quoi l’argent est destiné, dans quel laps de temps il compte le rembourser et pourquoi on peut lui faire confiance. Les prêteurs peuvent ensuite lui poser des questions personnelles sur un forum.
Ceux qui préfèrent ne pas en dire (ou en savoir) autant peuvent choisir le volet «markets». Les emprunteurs y sont classés en cinq catégories de risque sans plus de détail sur la personne et la finalité de l’emprunt. Pour minimiser les pertes en cas de non-paiement, l’argent du prêteur est partagé entre plusieurs emprunteurs, au minimum 50 pour un prêt de 500 livres.
La sécurité du prêt est prise très au sérieux, mais il n’y a pas de garantie. «Nous ne cachons pas le fait que si le rendement est bon, c’est parce qu’il y a un risque. Mais il est assez prévisible, et nous invitons nos prêteurs à y mettre un prix.» Et si la dette n’est pas honorée dans les temps, un service de poursuites vient à la rescousse du prêteur.
Mais le directeur se veut rassurant. «Nous avons un taux de non-paiement de moins de 0,2%. Par comparaison, les banques connaissent des pertes de 4 à 5% dans les prêts individuels non sécurisés.» D’ailleurs tout le monde ne peut pas emprunter sur Zopa. Comme dans les banques, des contrôles approfondis sont effectués afin de vérifier qu’un nouvel emprunteur est solvable et pour le classer ensuite dans la bonne catégorie de risque. Quant aux prêteurs, ils sont soumis à moins de vérifications, mais doivent cependant donner leur identité afin d’éviter tout risque de blanchiment d’argent.
Les membres de Zopa viennent de tous horizons. «La plupart des emprunteurs ont besoin d’argent pour s’acheter une voiture, restaurer leur maison, se marier ou rembourser des dettes. Les fonds qu’ils empruntent sont directement utilisés.»
L’emprunt maximum est fixé à 15’000 livres. A l’inverse, aucun montant maximal de prêt n’a été fixé, mais à partir de 25’000 livres, le prêteur nécessite une licence de crédit à la consommation. Selon Giles Andrews, les prêteurs représentent tout le spectre social avec des prêts allant de 10 livres à 500’000.
«Certains sont uniquement intéressés par l’aspect financier, d’autres uniquement par l’aspect social, et la plupart se situe entre les deux. En général, ceux qui prêtent les plus grosses sommes sont à la retraite ou s’en approchent, mais nous avons aussi énormément de jeunes qui prêtent des petites sommes parce qu’ils trouvent ça sympa.»
Pour cette plateforme qui se veut une alternative au système bancaire, la crise financière est tombée à point. «Nous avons travaillé dur pour gagner la confiance des gens, mais il faut dire que les désastres provoqués par les banques nous ont incroyablement aidés, reconnaît le directeur. On lit parfois que le public juge Zopa plus fiable qu’une banque.»
Pour autant, Zopa n’est pas en compétition directe avec ces institutions puisqu’il possède un compte en banque où l’argent des prêteurs est placé en attendant d’être emprunté, et qu’il utilise le système bancaire anglais pour ses transactions.
Des cinq trentenaires qui ont fondé Zopa, Giles Andrews est le seul à l’avoir gardé comme activité principale. Actuellement, l’entreprise emploie 14 personnes dans son siège londonien. Leurs salaires sont payés par les frais versés par les membres.
En 2008, Zopa a exporté son concept en Italie, aux Etats-Unis et au Japon. La filiale américaine a été fermée à la fin de l’année suite à des problèmes de régulation internes au pays. Comme ces régulations diffèrent selon les territoires, chaque filiale de Zopa n’est ouverte qu’aux résidents du pays dans lequel elle est implantée. «Nous ne voyons pas encore comment créer un Zopa intereuropéen», dit Giles Andrews.
Quant aux Suisses séduits par le concept, ils devront patienter. Selon Alain Bichsel, chef de presse de la commission fédérale des banques, le transfert d’argent d’un particulier à un autre, tel qu’il s’effectue dans le volet «listings», n’est soumis à aucune autorisation.
Mais il en va différemment du volet «markets». «Si un particulier donne de l’argent à quelqu’un qui le prête à d’autres, une licence bancaire est nécessaire. Il en va de la protection des clients en cas de faillite.»
Le processus, très lourd administrativement, requiert un capital de 100 millions de francs. Pourtant, il y a fort à parier que les déçus des grandes banques nationales feraient bon accueil à un Zopa suisse.
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Une version de cet article est parue dans le magazine scientifique Reflex, en vente en kiosques en Suisse romande.
