Valentine Ebner a lancé Industrial Craft Design, une marque suisse active dans la literie haut de gamme. Avec leur design minimaliste et leurs couleurs naturelles, ses produits séduisent les hommes.
Une literie de qualité peut procurer près d’une heure de sommeil quotidien en plus. La démonstration, récemment apportée par une étude menée au sein du Centre hospitalier universitaire de Montpellier, devrait participer à stimuler le secteur de la literie de luxe. Et plus particulièrement en Suisse, qui compte les fabricants les plus prestigieux tels que Boller Winkler, Fischbacher ou encore la start-up lausannoise Industrial Craft Design.
Fondée en 2007 par Valentine Ebner, une styliste neuchâteloise, cette dernière veut se créer un nouvel espace dans ce marché. Le pari est osé, car la concurrence est rude: les marques précitées culminent en tête des ventes depuis belle lurette. Mais la styliste possède de solides arguments. Elle a été pendant plusieurs années responsable de production auprès de Li Edelkoort, grande prêtresse des tendances, fondatrice du bureau de style le plus écouté de l’industrie de la mode internationale. Une expérience parisienne très formatrice, durant laquelle Valentine Ebner a beaucoup étudié la maison et son intérieur.
«L’industrie du drap est plutôt conservatrice et ses produits n’évoluent pas beaucoup, explique la patronne. Environ 90% des modèles sont soit ultrabasiques, c’est-à-dire blancs ou gris, soit très classiques, avec des imprimés fleuris.» La jeune femme, qui est également chargée de cours à la Haute Ecole d’art et de design de Genève, vise donc d’autres produits que ses concurrents, plus pointus et plus modernes.
Pour cela, elle s’est éloignée des lavandes et autres pivoines proposées par les maisons traditionnelles pour concevoir une literie aux lignes épurées, pouvant se combiner à du mobilier contemporain. Ses draps ne comportent pas de motifs imprimés, mais des coutures et des finitions complexes: des pliages, de la broderie ou des rubans, qui exigent des heures de travail à la main. «C’est cela, combiné à des matières nobles comme le satin de coton ou le lin, qui fait la sophistication de mes collections.»
Les précieuses étoffes d’Industrial Craft Design sont vendues uniquement par correspondance, au travers du site Internet de la marque. Il faut compter environ 1000 francs pour un jeu de lit complet, un prix légèrement inférieur à ceux proposés par les autres marques. Le bouche à oreille fonctionne. «Contrairement à une montre ou une voiture, les tissus haut de gamme sont un luxe abordable pour beaucoup de gens, mais plus intime, moins ostentatoire. C’est une façon particulière de se faire plaisir, une question de priorité et d’envie…»
Valentine Ebner s’est appuyée sur ses propres fonds – plusieurs dizaines de milliers de francs – pour lancer son entreprise en 2007. Elle conçoit elle-même le design de ses collections puis achète les tissus en Suisse ou en Allemagne. Les draps sont ensuite produits dans des ateliers au Maroc. «Chez Li Edelkoort, je collaborais avec une association baptisée Heartswear, qui soutenait des projets de développement en Afrique et en Asie. Cette expérience multiculturelle, de même que mon mariage avec un Marocain m’ont ouvert les portes du milieu de l’artisanat du Maghreb.» Industrial Craft Design possède un atelier de confection à Agadir et collabore avec des brodeuses. En tout, l’entreprise emploie une dizaine de personnes sur place.
«Le salaire des artisans marocains, qui s’élève à environ 90 euros la semaine, permet à la marchandise d’être rentable, commente la styliste. Et leur savoir-faire en matière de broderie amène une valeur ajoutée au produit. Les couturières emploient une technique traditionnelle dite «au calcul», qui produit des motifs identiques des deux côtés du tissu.» Mais produire au Maroc comporte aussi des difficultés: «Le rapport au travail n’est pas le même qu’en Europe. Pour des raisons culturelles, les artisans refusent les contrats à durée indéterminée. Ils tiennent à garder leur liberté, et leur loyauté envers leur patron et leur hiérarchie est différente.»
La literie traditionnelle étant conçue pour correspondre à des goûts féminins (d’où les sempiternels motifs floraux), par conséquent peu d’hommes s’y intéressent. Valentine Ebner élabore certaines de ses collections spécifiquement pour la clientèle masculine. Elle a été d’ailleurs surprise du résultat: «Beaucoup d’hommes ont passé commande. J’ai pu constater que cela répondait à une demande.»
Si les hommes apprécient les modèles exclusifs de Valentine Ebner, c’est sans doute pour leurs couleurs naturelles (blanc, gris, beige ou noir), ainsi que pour leur design minimaliste inspiré du courant allemand Bauhaus, qui combine des motifs industriels avec du travail fait main.
Après ses premiers succès, Valentine Ebner projette de diversifier ses points de vente en proposant sa luxueuse literie dans des boutiques de design. Elle souhaite également élargir son champ de production avec des nappes, des sets de table et du linge de maison. Mais sans brûler les étapes: «Je prends mon temps, car le marché du drap suit un cycle beaucoup plus lent que celui du vêtement. Et surtout, je fonctionne à l’instinct.»
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La literie suisse, une référence internationale
Deux entreprises alémaniques sont parvenues à se construire une tradition de prestige.
CHRISTIAN FISCHBACHER, une saga familiale
Le jeune Michael Fischbacher, qui représente la sixième génération, vient de reprendre la tête de l’entreprise, qui emploie 450 personnes dans une douzaine de pays et réalise un chiffre d’affaires s’élevant à 85 millions de francs. A l’origine de cette société saint-galloise, on trouve une saga familiale qui débute en 1819. Son fondateur sillonne le Toggenburg pour acheter des tissus qu’il écoule à Saint-Gall. Dans les années 1960, c’est le grand-père de l’actuel directeur qui forge la réputation de la marque, grâce à ses contacts avec la haute couture parisienne et à des filiales en Europe, aux Etats-Unis, au Japon.
BOLLER WINKLER, l’inventeur du drap-housse
Cette entreprise familiale zurichoise a le même âge que l’Université de Zurich, soit 176 ans. A la fin des années 1950, elle s’oriente vers les textiles de maison haut de gamme en lançant les marques Schlossberg et Bonjour. L’invention du drap-housse et le lancement d’une ligne en jersey (qui libère les clientes du repassage) propulsent l’entreprise au premier rang du marché suisse en 1979. Les créations Schlossberg et Bonjour s’exportent aujourd’hui dans vingt-six pays. En 2007, le groupe a inauguré ses propres boutiques de distribution en Suisse et cherche à étendre ce concept en Asie.
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Une version de cet article est parue dans le magazine économique Bilan du 25 février 2009.
